L’exposition « 1725. Des alliés amérindiens à la cour de Louis XV » redonne vie à un épisode méconnu des relations entre les Amérindiens venus de la vallée du Mississippi et la cour du roi Louis XV. Le catalogue de l’exposition qui se tient jusqu’au 3 mai 2026, au Château de Versailles, dans l’appartement de la Dauphine, propose des œuvres peu connues et pour certaines jamais exposées : des cartes de la Louisiane, des artefacts issus des collections du musée du Quai Branly-Jacques Chirac.

Cette visite de chefs des Nations Otoe, Osage, Missouria et Illinoises est importante. Elle est le point culminant des relations diplomatiques et commerciales des nations alliées de la vallée du Mississippi avec la Compagnie des Indes et la France de Louis XV comme le montre la relation qui en a été faite dans le Mercure de France. Cette exposition a été construite en collaboration avec les nations autochtones originaires du bassin du Mississippi.

Ce catalogue offre au lecteur de très nombreuses représentations : cartes, photographies de paysages, d’objets qui mettent en valeur la richesse du patrimoine des Premières Nations.

L’histoire qui nous unit

Jonas Muscoet Paz Núñez-Regueiro présentent le contexte de l’exposition dans le cadre du projet CRoyAN-Collections royales d’Amérique du Nord et le travail engagé avec les peuples autochtonesCarte p.11  qui, en Oklahoma, ont gardé vivante la mémoire de la présence française.

Pour marquer ce passé commun, chaque chapitre comprend une présentation générale et un focus pour chaque nation amérindienne par un descendant de cette nation.

Les nations du « grand fleuve »

La carte de la Louisiane en 1718 montre l’ambition française au début du XVIIIe siècle. C’est un très vaste espace, des Grands Lacs à l’embouchure du Mississippi, qui abrite une grande variété de peuples. Les auteurs présentent cette réalité diverse tant dans l’organisation sociale que dans les modes de vie. Les rivalités entre nations et les épidémies ont été nombreuses affaiblissant les communautés.

Ce sont des Amérindiens qui se chargent de la présentation de leur nation respective, un texte court et une illustration pleine page. Ian Thompson dresse un portrait des Choctaw et Everett Bandy des Quapaw. Elsie Whitehorn présente les nations Otoe et Missouria, quand Logan York s’occupe des Miami. Marla Redcorn-Miller relate la situation des Osages. Enfin Burgundy Fletcher traite de la Confédération illinoise qui regroupe plusieurs nations alliées des Français depuis les années 1670.

Le projet colonial français en Louisiane

Ce chapitre, qui s’ouvre sur l’aventure de René-Robert Cavelier de La Salle, retrace les rêves d’expansion française depuis la Nouvelle France. Cécile Vidal montre les explorations, la politique de la métropole et les conséquences des guerres en Europe. Faute de moyens financiers, le roi confie la colonisation à la Compagnie des Indes et la fondation de la Nouvelle-Orléans en 1718Reproduction du plan de la ville p. 48-49. La mise en valeur est rendue difficile, les colons peu nombreux10 000 colons et esclaves à la fin de la guerre de Sept Ans se fixent à proximité des villages autochtones, une « intimité à distance »selon l’historien Joseph Zitomersky, cité p. 50

Les difficultés financières de la Compagnie des Indes fragilisent la présence française en Louisiane. À la fin de la guerre de Sept Ans, la Couronne cède La Nouvelle-Orléans et la partie occidentale à l’Espagne, la rive orientale du Mississippi à la Grande-BretagneTraités de Fontainebleau et de Paris en 1762-1763.

Focus sur le pays Choctaw vers 1732, par Ryan Spring

La diplomatie amérindienne dans la vallée du Mississippi

Depuis les premiers contacts avec les Européens, les nations autochtones ont mis en œuvre un système diplomatique très codifié. Les rivalités entre nations autochtones amènent à des alliances avec les Européens pour se défendre, développer le commerce ou pour étendre leur influence, comme par exemple la Confédération haudenosaunee (iroquoise). Elizabeth Ellis décrit les cérémonies (calumet de la paix, place des femmes) et les dynamiques d’alliance. Les alliances entre les nations autochtones et les colons français sont bénéfiques pour les uns comme pour les autres, même si la compréhension mutuelle n’est pas toujours facile. De nombreux exemples permettent de percevoir la réalité de cette diplomatie amérindienne. Lorsque la France cède ses territoires, les nations autochtones se sentent trahies. La visite des chefs, en 1725, reste un témoignage éloquent de ces relations.

Focus : par Ian Thompson sur le calumet de la paix, par George Ironstrack à propos de la langue de la diplomatie amérindienne

Le château de Versailles un outil diplomatique

Bertrand Rondotconservateur en chef au Musée national des châteaux de Versailles rappelle brièvement l’histoire du château, son organisation pour la vie de cour et le faste destiné à impressionner lors des visites diplomatiques. Un médaillon de la galerie des Glaces est consacré aux Ambassades envoyées des extrémités de la terre. Bertrand Rondot rappelle les précédentes visites de représentants des Amérindiens, comme en juin 1706, le Prince des Abénaki reçu par Louis XIV.

Les visiteurs de 1725, outre le château, visitèrent la machine de Marly et le Trianon avant leur audience avec le roi à Fontainebleau. L’auteur décrit en détail les tenues occidentales ou « sauvages » des visiteurs. La visite devait laisser un fort souvenir, les impressionner, montrer la magnificence du Roi et la puissance des Français.

Une délégation amérindienne à la cour de France : chronique d’un voyage

Paz Núñez-Regueiro et Jonas Musco rapportent, de façon très détaillée, les motifs de cette ambassade, les péripéties du voyage, les visites parisiennes, dont on connaît le déroulé et les impressions des Parisiens grâce au Mercure de France. On retrouve la visite à Versailles, la rencontre avec la Compagnie des Indes et la réception à Fontainebleau. Enfin, on aborde le retour de la délégation.

En complément : le texte de la harangue des chefs Missouria, Otoe et Osages en réponse à l’invitation de la Compagnie des Indes.

Focus par Sophie White sur Ignon Ouaconetan, la fille du grand chef Missouria qui faisait partie de la délégation.

Une rencontre exceptionnelle entre les chefs et le roi

Muriel Barbier, Jonas Musco, Paz Nuñez-Regueiro les auteurs reviennent en détail sur la rencontre du jeune roi, 15 ans et de la délégation amérindienne. Les codes montrent une alliance et non pas l’audience de sujets. Des cadeaux sont échangés et les auteurs évoquent les conditions d’un dialogue malgré l’obstacle de la langue et grâce à la présence du père Beaubois qui maîtrise la langue illinoise. L’audience permet à la délégation de faire connaître des revendications et un soutien dans la guerre des RenardsL’Empire face aux Renards – La conduite politique d’un conflit franco-amérindien, Raphaël Loffreda, Québec, éditions du Septentrion, 2021.

En complément : les harangues des chefs à Louis XV, extraits du Mercure de France, décembre 1725 : Mamantouensa, chef Kaskaskia ; Chicagou, chef Michigamea p. 128-133

Focus sur Le père Beaubois et la Compagnie de Jésus en Louisiane par Xenia von Tippelskirch, historienne des religions.

Une alliance vivante

L’alliance avec la France reste très vivante dans la mémoire des familles d’ascendance franco-amérindienne et la mémoire collective des différentes nations autochtones de la vallée du Mississippi. Elle fut longtemps synonyme d’une époque d’autonomie relative et de souveraineté sur leur terre. Ils tiennent aujourd’hui à faire perdurer et connaître leurs cultures traditionnelles. Ils ont participé à l’élaboration de l’exposition comme à la rédaction du catalogue.

« La célébration du tricentenaire de la délégation de 1725 ouvre ainsi un nouveau chapitre : celui d’un dialogue renouvelé qui, nous l’espérons, continuera de s’épanouir à travers les échanges culturels, la recherche et les projets partagés. » (p. 139)

Un très bel ouvrage, c’est certain, même si je n’ai pu le lire qu’en version numérique. Un témoignage de la présence française en Amérique, souvent oubliée notamment dans la mémoire et l’histoire des États-Unis.

Une visite à faire avant le 3 mai 2026.