L’auteur revendique le choix d’une histoire nationale pour comprendre l’évolution du regard porté sur les événements du passé et contribuer à un imaginaire collectif. Il choisit huit dates qu’il considère comme incontournables.

1603 : La tabagie de Tadoussac, l’alliance avec les Autochtones

Si l’implantation de Champlain à Québec, le 3 juillet 1608, est été considérée comme le premier acte de l’histoire québécoise, l’alliance les Français avec les Autochtones de la coalition laurentienne à Tadoussac en mai 1603 est sans doute le moment le plus important dans l’installation des Français dans la vallée du Saint-Laurent. Certes des Français avaient déjà pris pied sur cette côté : Cartier en 1534, des morutiers basques ou bretons qui ont rapportés les premières fourrures prisées dès la fin du XVIe siècle, c’est Henri IV qui soutient les expéditions américaines en fixant la politique à tenir avec les populations locales : « traiter » et à « contracter […] paix, alliance, confédération et bonne amitié correspondance et communications avec les dits Peuples et leurs Princes […] négotier et traffiquer amiablement et paisiblement […] leurs octroyer et donner droits et privilèges, charges et honneurs »

D’après l’acte officiel qui fait de Pierre Dugua de Mons son lieutenant en Nouvelle-France, extrait de « Lettre par laquelle le Roy fait son lieutenant general le S. DeMonts au pays de l’acadie, terre aux Indes ainsi appelée » citée dans Marc Lescarbot, Histoire de la Nouvelle-France, Paris, Librairie Tross, 1866 [1609], vol. 2, p. 411. – cité p. 27

Le poste de traite des fourrures de Tadoussac était connu et fréquenté par les Français depuis longtemps. L’auteur décrit l’expédition de 1603, dirigée par François Gravé Du Pont accompagné d’un jeune cartographe Samuel de Champlain. Il narre la rencontre avec les Algonquins et les Etchemins, Hochelaga qu’avait rencontré Cartier n’est plus là par contre ils sont impressionnés par Anadabijou, un grand chef innu qui mène la tabagie. Une tabagie est une grande rencontre où on fume pour célébrer un événement important ici une victoire sur les Iroquois. L’auteur reprend la description qu’en fit Champlain

Les voyages du sieur de Champlain Xaintongeois, capitaine ordinaire pour le roy, en la marine, A Paris, : chez Iean Berjon, rue S. Iean de Beauuais, au Cheual volant, & en sa boutique au Palais, à la gallerie des prisonniers, 1613 – Consultable sur le site de la BNF ou sur Internet Archive

. La participation des Français scelle une alliance qui vise à une implantation à long terme en Amérique du Nord. Ils souhaitent développer le commerce du poisson et des fourrures et trouver des métaux précieux s’il y en a. La tentative d’imposer un monopole du commerce des fourrures entraîne une détérioration des relations avec les peuples autochtones, notamment les Innus qui étaient les intermédiaires avec les marins bretons, basques… qui fréquentaient la vallée du Saint-Laurent (mort de Français en 1617 et en 1627), les relations commerciales n’ayant pas la même signification de part et d’autre. Si en 1603, se noue un dialogue, un partenariat il y a aussi un malentendu.

1663 : Filles du roi, mères d’une nation

De 1663 à 1673, ce sont environ 760 femmes, filles à marier, qui traversent l’Atlantique, soit 8 % de toute l’immigration française en Nouvelle-France. L’auteur rappelle le contexte : une colonie peu peuplée, essentiellement des hommes venus comme « engagés », en proie à la menace iroquoise. Sous la pression des jésuites, Louis XIV va faire de La nouvelle France une « province » de France et la dote d’institutions qui remplacent la gestion de la Compagnie des Cent-Associés. Ce sont les congrégations religieuses qui sélectionnent les candidates, chaque année le nombre varie : une quinzaine en 1664, 1672 et jusqu’à 132 en 1670. Si la plupart ont été recrutées et dotées par le roi, certaines ont pris l’initiative de se joindre à aventure en se présentant sur les quais d’embarquement de La Rochelle ou de Dieppe. Si les deux tiers des Filles du roi sont des orphelines, l’âge médian est

24 ans.

Pour en savoir plus voir les ouvrages de la Société d’histoire des Filles du Roy Société d’histoire des Filles du Roy : Les Filles du Roy pionnières de Montréal, Québec, Editions Septentrion, 2017Les Filles du Roy pionnières de la Seigneurie de la Prairie, Société d’histoire des filles du roy, Marie Royal, GFA, et Michelle Desfonds (coord.), Québec, Editions Septentrion, 2019 – Les Filles du Roy, pionnières de la Seigneurie de Repentigny, Société d’histoire des Filles du Roy/ Marie Royal et Michelle Desfonds (coord.), Québec, Editions Septentrion, 2021

L’auteur décrit brièvement le voyage. Il présente le groupe : 63 % sont des citadines dont 265 Parisiennes. Les autres viennent plutôt des provinces de l’Ouest. Elles ne sont pas préparées à la vie rude qui les attend. Dès leur arrivée, prises en charge par les religieuses, elles sont assez rapidement mariées. Les contrats notariés montre le consentement des femmes et un écart d’âge faible 5 ans en moyenne. Des couples jeunes qui vont peupler la colonie : de 1664 à 1702, elles donnent naissance à 4459 enfants, une moyenne de 6 à 8 par femme.

1759 : Pitt, Choiseul et le destin de la Nouvelle-France

Ce troisième temps de l’histoire du Québec est consacré à la guerre de Sept-Ans et ses conséquences. Il s’ouvre avec la victoire de James Wolfe sur les plaines d’Abraham, lors du siège de Québec, le 13 septembre 1759.

L’auteur porte son regard sur l’arrière-plan géopolitique à Londres et à Paris. Il replace cet épisode dans un contexte historique plus large de l’opposition de la couronne britannique et de la royauté française. Il présente longuement les deux protagonistes : William Pitt et Étienne François de Stainville, duc de Choiseul et la guerre de Sept-Ans.

Si la chute de Québec puis la capitulation de Montréal sont importante, le Canada a été perdu dans les négociations et les considérations économiques : défendre le sucre des Antilles plutôt que les fourrures, d’ailleurs en déclin, du Canada.

1784 : Du Calvet emprisonné, un peuple sous surveillance

En 1774 l’Acte de Québec définissait les conditions de la domination britannique : notamment la reconnaissance du droit civil français par les différentes cours de justice, maintien de la religion catholique, des accommodements destinés à séduire la population d’origine française. Ces concessions ouvrent la porte à des contestations des colons américains contre Londres et à la guerre d’indépendance.

Dans ce contexte les Anglais attendent des Canadiens un appui sans faille. L’auteur dresse le portrait d’un récalcitrant : Pierre du Calvet, un Toulousain arrivé au Québec en 1758 et protestant affirmé. Ayant perdu tous ces biens dans un naufrage, il est commissaire aux approvisionnements en Acadie où il participe à la bataille de Sainte-Foy d’avril 1760 avant de se montrer Sainte-Foy d’avril 1760 de se soumettre à la Couronne anglaise. Il s’installe dans le commerce à Montréal.

En juin 1775, les Américains lancent donc une offensive contre ces possessions britanniques du nord et occupent Montréal jusqu’en juin 1776. Pierre du Calvet leur souhaite la bienvenue et joue un rôle actif dans le ravitaillement de l’armée. Quand les Britanniques reprennent la ville la mission du nouveau Frederick Haldimand est de rétablir l’ordre et punir les traîtres dont Pierre du Calvet emprisonné, le 27 septembre 1780. L’auteur rapporte ses démêlés avec la justice. Disciple des Lumières et de John Locke, du Calvet défend l’idée que toute autorité, pour être légitime, doit obtenir le consentement du peuple. Il dénonce le pouvoir arbitraire d’ Haldimand et réclame la restauration de l’Habeas corpus. Il souhaite la liberté de la presse dans un livre d’il publie en 1784 : Appel à la justice de l’État.

1845 : Garneau l’historien, la survie par les mots

C’est un hommage à celui qui est, Outre-Atlantique, considéré de son vivant comme historien national. C’est l’histoire de son temps, première moitié du XIXe siècle qui est abordée ici. Avec l’émergence d’un mouvement patriote et les affrontements armés de 1837-1838, l’Acte d’union des deux Canadas avec l’interdiction de la langue française dans les institutions de la nouvelle colonie vise à l’assimilation des Francophones même s’ils sont démographiquement majoritaires.

C’est dans ce contexte que François-Xavier Garneau publie, en 1845, le premier tome de son Histoire du Canada, une affirmation de la réalité des Canadiens français. C’est un autodidacte, la première université de langue française est fondée à Québec en 1852. Il se heurte aussi à la mauvaise conservation des archives et à la nécessité de gagner sa vie de petits métiers ; clerc de notaire, caissier de banque… L’auteur développe sa biographie et le caractère ambitieux de son œuvre.

1887 : Mercier ou les origines de l’autonomisme québécois

Honoré Mercier a été le premier premier ministre libéral québécois à dénoncer les dysfonctionnements du régime fédéral et à défendre l’autonomie politique du Québec. Après une formation chez les Jésuites ce nationaliste devient chef du parti libéral à partir de janvier 1883. L’auteur montre comment s’est petit à petit construite la doctrine autonomiste hostile au financement des grands travaux ferroviaires qui entraînent une dette vis-à-vis d’Ottawa. La crise née de la pendaison d’un chef métis, Louis Riel, en novembre 1885 va permettre à Mercier qui s’appuie sur la moire des Patriotes, d’accéder au pouvoir. Il se présente comme « comme chef du Parti national » et organise la première conférence interprovinciale du Canada en octobre 1887 face à la gestion centralisatrice d’Ottawa, décrite par l’auteur.

1907 : Fonder HEC Montréal, combattre l’infériorité économique des Canadiens français

Face au conservatisme clérical et à la domination économique des Anglophones déjà au milieu du XIXe siècle, des intellectuels canadiens-français milite pour un développement économique de la nation française en Amérique. HEC Montréal est fondé en 1907. L’auteur montre que les historiens aujourd’hui remettent en cause l’image d’un Québec religieux et économiquement soumis. Il décrit un patriotisme économique incarné notamment par le curé Labelle et Étienne Parent qui n’empêche pas le départ de nombreux Canadiens français vers les emplois mal payés dans les manufactures de la Nouvelle-Angleterre. Face à cette saignée démographique des hommes d’affaires canadiens-

français plaident pour une éducation primaire et supérieure pratique, moderne. C’est dans ce contexte que naît HEC.

1977 : La loi 101 adoptée, une charte pour le français au Québec

En Amérique, le statut de la langue française a toujours été précaire mais défendue avec vigueur. L’auteur évoque le combat des années 1960 pour garder la langue française et défendre sa place dans l’enseignement non sans débats sur la place à accorder au « joual », la langue populaire des Québécois. Des auteurs comme Claude Jasmin (Pleure pas Germaine, 1965), Michel Tremblay (Les Belles-sœurs, 1968) ou Léandre Bergeron avec son Dictionnaire de la langue québécoise (1980) défendent un français vivant mais détaché des normes franco-françaises. En 1969, le gouvernement fédéral de Pierre Elliott Trudeau adopte la « Loi sur les langues officielles » : le Canada est un pays bilingue. Mais la loi 63 laisse aux parents le choix de la langue d’enseignement, les immigrants choisissent généralement l’anglais au grand mécontentement des Québécois francophones. En 1976 le gouvernement de René Lévesque prépare une nouvelle loi qui érige le français comme langue d’enseignement : « Langue distinctive d’un peuple majoritairement francophone, la langue française permet au peuple québécois d’exprimer clairement son identité. L’Assemblée nationale reconnaît la volonté des Québécois d’assurer la qualité et le rayonnement de la langue française. Elle est donc résolue à faire du français la langue de l’État et de la Loi aussi que la langue normale et habituelle de travail, de l’enseignement, des communications et des affaires ».Citation p. 146

Les débats furent vifs, la loi promulguée contestée devant les tribunaux et la Cour suprême la déclare anticonstitutionnelle. L’article 23 de la loi constitutionnelle de 1982 garantit à tous les Canadiens le droit de recevoir un enseignement dans l’une ou l’autre des deux langues officielles du pays, quelle que soit la province. La « Charte de la langue française » de 1993 semble faire consensus malgré les craintes devant le développement de l’anglais, l’attractivité des institutions universitaires anglophones et la situation démographique de la région de Montréal.

La défense du français est désormais affaire de la société civile : en 2018, Dany Laferrière, Pauline Marois, John Parisella et d’autres personnalités créent, pour en assurer sa promotion la « Fondation pour la langue française ».

Un ouvrage à mettre dans sa valise si vous compter vous rendre au Québec.