5 % seulement de la surface des fonds marins situés à plus de 200 mètres de profondeur a été cartographiée à ce jour. Il s’agit dans cet ouvrage de considérer les fonds marins dans leur pluralité et aussi d’élargir la chronologie et le tout permet de nouvelles perspectives. Les différents auteurs de l’ouvrage nous éclairent donc sur un monde encore bien souvent mystérieux.

Un sujet en construction

Tout un imaginaire de la frontière sous-marine est réactivé mais il s’était déjà manifesté dans l’histoire. Cet imaginaire est façonné par des savants, journalistes, ingénieurs ou explorateurs. Une des grandes questions océanographiques du XIXème siècle est celle de la vie profonde longtemps présumée impossible. Si les sciences de la nature ont attendu la seconde moitié du XIXème siècle pour s’emparer de la question des fonds marins, celles de la société ont tardé bien plus. Depuis vingt ans, les sciences sociales se sont emparées de ce sujet. L’ouvrage est structuré en trois parties, elles-mêmes divisées en chapitres.

La mise en ressources des fonds marins

Molly Warsh étudie les riches pêcheries d’huitres perlières établies au début du XVIème siècle par les colons hispaniques dans la mer des Caraïbes. L’attrait exercé par les perles figure en bonne place dans les premiers compte-rendus des richesses du Nouveau Monde. Tout au long du XVIème siècle, les habitants de la Côte des Perles ne cessent d’insister auprès de la Couronne espagnole sur le fait que les pêcheries de perles ne sont pas de simples mines sous-marines dont les produits peuvent être régulés à la manière des métaux précieux.

Hugo Vermeren s’intéresse à la colonisation du Maghreb sous l’angle des eaux. Les mers du Maghreb apparaissent comme des zones d’expérimentation, des laboratoires d’une colonisation verticale. Cette colonisation n’est pas qu’une affaire coloniale puisqu’elle se joue à la même époque sur toutes les mers du globe, mais elle n’est au Maghreb qu’une affaire d’Européens. De plus, le recours aux savoirs locaux s’amenuise à mesure que la pratique scientifique se professionnalise et s’institutionnalise.

Le troisième article insiste sur les tentatives pour encourager le dragage de différents gisements situés au large des côtes de la Manche dans les années 1960-1970. Le dragage industriel des fonds marins s’inscrit dans l’histoire de la plus grande extraction de matière jamais vue en France : celle du granulat. Après un engouement de 1965 à 1975, puis un échec cuisant au vu des objectifs (1975-1980), vient le temps d’une relance permanente de la part des pouvoirs publics.

L’invention des fonds marins

La première contribution est intitulée « L’invention de la profondeur dans la Méditerranée contemporaine ». La Méditerranée est ici envisagée comme un laboratoire des sciences de la mer. D’abord vue comme une surface , elle fut progressivement considérée comme un volume. La technologie qui a le plus fait progresser les interactions avec l’environnement marin au XIXème siècle est le télégraphe sous-marin. Les sous-marins transforment les fonds de la Méditerranée en champ de bataille dans les premières décennies du XXème siècle. Ce n’est qu’à la fin des années 1970 que l’exploration du sous-sol marin connait un essor remarquable grâce à des nouveaux dispositifs. C’est cette combinaison des intérêts pétroliers et d’une nouvelle curiosité internationale pour l’étude de la croute océanique méditerranéenne qui permet la connaissance du sous-sol méditerranéen en profondeur.

Il s’agit dans la deuxième contribution de revenir sur l’idée de coloniser les mers et océans telle qu’elle s’est développée de 1930 à 1980. « Vingt mille lieues sous les mers » est un livre qui a influencé des générations d’aventuriers. L’article insiste ensuite sur le parcours du commandant Cousteau. Précédant le film, l’ouvrage « Le monde du silence » paraît en 1953. On peut relever aussi qu’existent deux programmes de colonisation du plateau continental dès 1962. Trois ans plus tard, des expériences de vie sous mer se développent. L’envol d’une industrie pétrolière off-shore conduit à privilégier des solutions plus raisonnables et plus sûres que les habitats imaginés par les pionniers. La raison économique l’a emporté, balayant le rêve d’humains retournant à la mer.

La troisième contribution porte sur les origines de la fragmentation juridique des océans. Les fonds marins furent longtemps considérés comme vides. Virginie Tassin souligne que «  l’emprise des Etats sur la mer fut proportionnée à leurs moyens de surveillances et de protection ».

Les fonds marins à l’heure de l’Anthropocène

La première entrée aborde le cas de l’immersion en mer des déchets radioactifs. La définition d’une stratégie de surveillance des grands fonds marins implique de prendre en considération trois éléments : les données produites, les directives et les contraintes matérielles et les difficultés d’accès. Jusqu’au milieu des années 1960, les opérations d’immersion s’effectuaient dans un cadre national.

Le deuxième article porte sur les oppositions et mobilisations contre la prospection pétrolière sur le littoral français entre 1950 et 1980. L’opposition à la prospection pétrolière émerge en France à compter des années 1950, des réactions des professionnels de la mer et de leur administration de tutelle confrontée à une activité qui menace les populations marines animales.

La dernière entrée revient sur les butins de chalut. Elle s’appuie sur une thèse menée auprès des jeunes marins-pêcheurs bretons entre 2014 et 2019. Ils se représentent la mer, soit comme un eldorado de richesses et plein de surprises, soit comme une vaste décharge dont les remontées questionnent le modèle de la pêche industrielle.

C’est donc un ouvrage qui propose de multiples éclairages sur la question des fonds marins. Certaines entrées sont certes spécialisées mais toutes, à leur façon, éclairent d’un nouveau jour ce territoire que l’Homme ne connaît finalement que de façon encore très partielle.