Cet ouvrage, qui vient après celle de Monique Cottret, professeure émérite de Paris-Nanterre, est sa première publication. Choiseul demeure dans les mémoires comme l’un des (trop) nombreux ministres de Louis XV, un des favoris de la favorite, la marquise de Pompadour.

Dès l’Introduction, l’auteur souligne que la « vox populi » Choiseul cumule les défauts caricaturaux du maître dans les comédies du 18e siècle, duplicité et fourberie, comme le personnage du comte Almaviva des œuvres de Beaumarchais. Image ternie et paradoxalement entretenue par son disciple Talleyrand, qui disait de lui-même : « On dit toujours de moi ou trop de mal ou trop de bien ; je jouis des honneurs de l’exagération ».

Qui est l’auteur de cet ouvrage ?

David Feutry est archiviste paléographe, agrégé de l’université et docteur en histoire. Il enseigne l’histoire-géographie au lycée Édouard-Branly de Dreux. Entré à l’École Nationale des Chartes en 2004, David Feutry y soutient en 2008 une thèse consacrée au procureur général au parlement de Paris, Guillaume-François Joly de Fleury (1675-1756) (publiée en 2011, « Un magistrat entre service du roi et stratégies familiales, Guillaume-François Joly de Fleury (1675-1756) »), sous la direction d’Olivier Poncet et Olivier Chaline. Agrégé de l’université (2008), il devient allocataire-moniteur (2008-2011) puis ATER (2011-2012) à l’université Paris-Sorbonne-Paris IV. ATER à l’université de Franche-Comté, il soutient sa thèse de doctorat en 2012 sur « le parlement de Paris au XVIIIe siècle » (publiée en 2013, Plumes de fer et robes de papier : logiques institutionnelles et pratiques politiques du parlement de Paris au xviiie siècle) sous la direction d’Olivier Chaline. Actuellement il est aussi chargé de cours à l’Institut National du Patrimoine (histoire des institutions, préparation du concours de l’Inp – Archives pour la CPI), au Centre National de la Fonction Publique Territoriale (préparation du concours interne de l’Inp) et au Ministère de la Culture (Histoire des institutions).

Quelle est la véritable personnalité de Choiseul ?

L’auteur va tenter de cerner de manière objective et exhaustive le portrait de Choiseul, à travers 3 axes :

– « une comète politique au XVIIIe siècle» = « une ascension rapide et d’autant plus exceptionnelle qu’elle est systématique dans toutes les carrières qu’il entreprend : l’armée, la diplomatie, la politique » ;

– « L’homme des paradoxes » = il dresse lui-même son portrait atypique «J’aime mon plaisir à la folie » avec les amis de Voltaire, D’Argental et Richelieu, il met son intelligence au service de ses vertus comme de ses vices ;

– « L’orgueil au pouvoir, l’orgueil du pouvoir » (qui est d’ailleurs le sous-titre de cet ouvrage) par un épisode révélateur lorsqu’en 1752 il intime à la femme de son cousin Choiseul-Beaupré, courtisée par le roi, de quitter Versailles « pour l’honneur de sa famille ». Détesté par le clan ultracatholique des « dévots » emmené par le Dauphin, Choiseul cultive « l’hybris » (la démesure) dans sa vie privée dont se régale la Cour. Même son union est « scabreuse » : marié à la jeune cadette de sa maitresse, née Crozat, une des plus grandes fortunes sous Louis XIV. Une épouse fidèle qu’il trompe ouvertement dans son hôtel particulier ou dans son château de Chanteloup, comme il le raconte vulgairement dans une lettre à son ami Voltaire en 1759 : « le cul de ma maîtresse me fait oublier tous ces objets et augmente mon mépris pour les grandes actions de grands personnages qui ont de pareils défauts ». Il se pose en libertin, ami des philosophes des Lumières. En disgrâce de 1770 à 1785, il se venge en attirant la Cour de Versailles à Chanteloup dans des fêtes sans limite. Ses sentiments le poussent à rédiger ses « Mémoires » pour attribuer ses difficultés aux cabales de ses médiocres ennemis auprès d’un roi faible : la crainte d’une nouvelle guerre contre le Royaume Uni, l’hostilité à la Du Barry. Son espoir de retour en grâce à la mort de Louis XV en 1774 est balayé par Maurepas, précédemment évincé par la Pompadour, et surtout Vergennes aux Affaires étrangères.

Quelle est la trajectoire de vie de Choiseul ?

Issu d’une famille possessionné en Lorraine, duché longtemps indépendant du royaume de France. Le propre père de Choiseul a suivi son duc, François de Lorraine, à Vienne lorsque ce dernier est devenu l’époux de l’archiduchesse Marie-Thérèse, héritière des Habsbourg, troquant ainsi son duché, promis à la France, contre le titre d’Empereur en 1738 (Chapitre 4 : « Choiseul, conjureur de la malédiction familiale »). Le futur duc de Choiseul choisit le service du roi de France et devient militaire (Chapitre 1) : il se bat ainsi pendant la guerre de succession d’Autriche de 1740/1748. Sous la protection de Bernis, la paix le reconvertit dans la diplomatie auprès du Pape Benoit XIV (1753/57) (Chapitre 2) pour avoir trahit la liaison de Louis XV avec sa cousine au profit de La Pompadour, puis de Vienne (Chapitre 3) pour maintenir l’alliance. Peu apprécié de Louis XV, Choiseul est riche (en tant qu’époux d’une fille du financier Antoine Crozat), volontiers libertin (le futur duc de Lauzun est ainsi son fils adultérin). Surtout, il gagne peu à peu l’amitié de la maîtresse principale de Louis XV devenue marquise de Pompadour, un avantage décisif pour contrôler la politique de Louis XV de 1758 à 1764 (décès de La Pompadour), puis « tout-puissant » de 1764/70 (Chapitre 7).

Quel est l’héritage de la politique de Choiseul ?

C’est un ambitieux astucieux. En politique extérieure, la France commence la guerre de sept ans (1756/63) par des victoires. Mais la guerre offensive du roi de Prusse Frédéric II amène des défaites sur le continent. Héritier du « renversement des alliances » de Bernis à l’origine du rapprochement historique (après 3 siècles de conflits) entre les 2 dynasties absolutistes. Choiseul est un de ceux qui estime que le choix de l’alliance autrichienne disperse les forces françaises au moment où le Royaume Uni impose des défaites qui font perdre des possessions en Inde et au Canada. Pour ne pas perdre la paix (Chapitres 5 et 6) , Choiseul établit le « Pacte de famille » en 1761 : « Je n’ai qu’un système politique pour la France, qui est l’union intime avec l’Espagne ». Il tente d’éviter le désastre au moment du traité de Paris de 1763. Choiseul sauve ce qu’on appelle les îles à sucre mais perd le Canada et la Louisiane. Il réforme alors l’armée (le choix du futur canon Gribeauval) et la marine, fait annexer la Corse pour récupérer pied en Méditerranée (Chapitre 9). Ayant joué sur le patriotisme de l’opinion pendant la guerre de sept ans, il prépare la revanche (Chapitre 8), persuadé comme Louis XV que les colonies américaines vont entrer peu à peu en conflit avec Londres. Dans ses « Mémoires », Talleyrand dira de lui « un des hommes de notre siècle qui a le plus d’avenir dans l’esprit, qui déjà prévoyait la séparation de l’Amérique et de l’Angleterre et craignait le partage de la Pologne ».

En politique intérieure, Choiseul a été longtemps perçu comme l’ami des Parlements, qui veulent partager l’autorité du Roi. C’est une erreur due à un besoin de financement, mais il n’a pas l’ambition d’un Maupéou de procéder à leur éviction (Chapitre 10). Dans les Chapitres 11 et 12, Choiseul tombe en disgrâce pour avoir négligé l’importance des rancœurs qu’il a suscité, pour avoir également sous-estimé un roi qu’il méprise face à la nouvelle maîtresse royale, Jeanne du Barry. Les Chapitres 13 et 14 forment « le crépuscule d’une idole » à Chanteloup où la Cour se presse pour admirer le grand homme, dont le jeune Talleyrand.

Dans le Chapitre de Conclusion « Choiseul en héritage », David Feutry indique que « Durant tout le XIXe siècle, l’orgueil français s’incarne dans la poursuite de l’action du duc : la politique d’expansion coloniale face à l’Angleterre … ». Glorifié par Lavisse, sous la IIIe République il est présenté comme l’homme des réformes après la défaite face à « l’ennemi héréditaire » (içi le IIe Empire allemand depuis 1871). « Si son premier héritage est stratégique et international, le second est politique. Si Choiseul est détesté par Michelet, … parce qu’il est lorrain … », il « apparaît sous la plume des historiens et des politiques sous deux facettes intéressantes : l’homme de l’État moderne et le libéral ». Au XIXe siècle, « Là s’explique alors le principal paradoxe sur Choiseul, pas assez monarchiste pour les uns, mais pas encore assez républicain pour les autres ». Un bel anachronisme.

L’auteur termine sa biographie « Par ses réseaux tant clientélaires qu’intellectuels, ses relations avec les grandes femmes du temps, ses réformes et ses choix politiques, il avait aussi accompagné l’esprit de ce temps ».

Au final, David Feutry a signé une excellente biographie.