Agréable découverte que ce livre signé par l’un des co-directeurs avec Nicolas Baupré de l’Histoire mondiale du XXe siècle (PUF, 2022). C’est assurément un ouvrage permettant de travailler à mourir moins bête.

Déconstruire une confortable certitude

Après avoir expliqué à leurs élèves comment dater les siècles, les enseignants doivent ensuite relativiser l’importance d’un système de balisage du temps décalé par rapport aux rythmes des permanences et des ruptures qui fondent le découpage du temps de l’histoire. On s’est ainsi installé depuis longtemps dans la confortable certitude que la rupture de 1914 marquerait l’entrée dans le XXe comme celle de 1814-1815 ferait rentrer l’Europe et le monde dans le XIXe.

Avec l’idée que ces notions d’unité de siècle relèvent de constructions intellectuelles fragiles, Florian Louis souligne ici que la rupture historiographique placée en 1914 est marquée par un contestable eurocentrisme et qu’une grande partie de ce qui peut faire sens dans la notion de XXe siècle s’annonce après tout dès 1904, année marquée par quatre ruptures qui définissent l’économie de l’ouvrage : l’extermination des Hereros et des Namas dans le Sud-Ouest africain, l’avènement du corollaire de Théodore Roosevelt à la doctrine Monroe, la victoire japonaise sur l’Empire russe et les débuts de l’Entente cordiale.

Un ouvrage aux multiples points forts

L’ouvrage est d’emblée stimulant et possède la particularité de pouvoir être lu dans le désordre au gré des envies de chacun et chacune. Parmi ses qualités évidentes, il faut souligner sa propension à traiter sur un pied d’égalité des faits qui sont souvent traités de façon fort différentes selon qu’ils concernent l’Europe, les Amériques ou l’Afrique et l’Asie. Ainsi, la victoire éthiopienne d’Adoua (1896) sur les Italiens n’a pas ici la marginalité qu’elle a dans d’autres ouvrages français plus classiques. Elle est d’ailleurs mise en résonance avec la victoire zoulou d‘Isandhlwana (1879) et celle de la coalition cheyenne et sioux de Sitting Bull et Crazy Horse sur le 7e de cavalerie du général Custer (1876). A cette nuance près, bien sûr que Little Bighorn et Isandhlwana restent sans lendemain au contraire d’Adoua qui, dans un contexte profondément imprégné de racialisme, marque la première défaite d’une puissance européenne réputée blanche face à des Africains réputés racialement inférieurs et non civilisés. Adoua intervient neuf ans avant la victoire japonaise de Tsushima sur une Russie censée garantir l’alliance de revers des Français en cas de conflit avec l’Allemagne. En cela, le moment 1904-1905 annonce la fin d’une suprématie européenne.

La question de l’extermination des Hereros et des Namas dans la Südwestafrika est traitée à la fois à l’échelle de ce territoire colonial allemand et à celle de son importance dans l’histoire de la résistance à l’impérialisme colonial européen. On appréciera donc la manière qu’a l’auteur de nous présenter le fait pour son importance mondiale et la façon dont il restitue les figures hereros et namas de premier plan qui orchestrent la lutte contre l’autorité coloniale allemande. On apprécie également la mise au point historiographique qui permet à l’auteur de demander, comme il l’écrit lui-même, si le Sonderweg passe vraiment par le Waterberg.

Politique du Gros bâton et Entente cordiale

Souvent confondu avec la doctrine Monroe, le corollaire Roosevelt (la Big Stick Policy) est présenté ici de façon synthétique avec ses implications pour le continent américain – notamment la sécession du Panama jusque-là colombien et l’investissement étasunien dans le canal transcontinental. Avec T. Roosevelt, les EU font leur le discours de supériorité qui fonde déjà l’impérialisme colonial européen. L’importance des migrations caribéennes dans la main d’œuvre pour le creusement du canal n’est pas oubliée. Enfin, l’Entente cordiale, terme journalistique qui ne figure pas dans l’accord, est traitée pour ce qu’elle est : un règlement pacifique des différends entre la France et le Royaume-Uni et en aucun cas l’alliance des régimes parlementaires contre les régimes autoritaires comme le dépeignent les reconstructions a posteriori. Surtout, elle est confrontée à la difficulté qui préside à la construction progressive d’une Triple entente dans le contexte finissant du Great Game russo-britannique et de la Splendid Isolation. Elle est également questionnée pour la crainte et l’hostilité qu’elle suscite en Allemagne, nourrissant paradoxalement les tensions internationales.

On s’agace volontiers de l’évocation creuse de lieux soi-disant « chargés d’histoire (sic) ». On ne peut pourtant qu’être d’accord avec la quatrième de couverture qui annonce une année 1904 chargée d’histoireS. Il faut donc conseiller ce stimulant ouvrage à tous ceux et celles qui souhaitent renouveler leur regard sur le XXe siècle, voire préparer Science po.