Fabrice Monnier est historien, spécialiste de l’empire ottoman. Il met en évidence le lien entre les événements politiques et militaires du premier conflit mondial au Moyen-Orient et le chaos actuel de la région.
Un livre précis d’histoire militaire, en phase avec les anniversaires de la Grande Guerre qui est aussi utile pour comprendre les guerres d’aujourd’hui.

Cet ouvrage est consacré à un épisode oublié de l’année 1916 : la bataille de Kut-el-Amara, la capitulation du corps expéditionnaire britannique sous les ordres de Charles Townshend à 160 km de Bagdad, une des rares victoires turques de la première guerre mondiale.

Le jeu britannique dans le golfe persique et la situation dans l’empire ottoman

Dès 1914 l’entrée en guerre de l’empire ottoman, allié des Puissances centrales impose ou offre au Royaume-Uni une action dans le golfe persique avec le contrôle du Chatt-el-Arab pour protéger les intérêts de l’Anglo-Persian Oil Company.

L’auteur analyse la situation stratégique à l’échelle du continent : relations entre l’Entente et la Russie coupée en Mer noire, espoirs allemands d’un soulèvement des Musulmans des Indes, état des relations dans l’empire ottoman entre les provinces et le sultan Mehmet V, intérêts pétroliers en Mésopotamie.

La présentation de la situation économique en Irak met en évidence à la fois l’isolement et le déclin de cette région et explique en partie l’affrontement entre deux nationalismes, celui des Jeunes-turcs et celui des Arabes qui refusent la « turquisation ». C’est l’occasion de montrer que, contrairement aux idées fréquemment énoncées, la répartition territoriale des communautés : chiites, sunnites, kurdes et la mosaïque ethno-linguistique et religieuse de l’Irak n’était pas plus simple hier qu’aujourd’hui.

L’auteur évoque la question de la mobilisation et du dispositif militaire ottoman dans un pays où les infrastructures logistiques sont balbutiantesle chemin de fer Constantinople-Bagdad, bagdadbahn est en construction.

Les opérations militaires
Très vite les Britanniques, malgré une armée anglo-indienne peu efficace contrôle le Chatt-el-Arab et la ville de Bassora en novembre 1914 face à des Ottomans confrontés au double-jeu des Bédouins.

Fort de ce premier succès le corps expéditionnaire remonte vers le Nord. L’auteur détaille les mouvements de troupes, l’organisation des armées en présence, les batailles de l’année 1916. A la fin de l’année après un premier succès, loin de ses bases l’armée britannique est prise au piège de Kut-el-Amara.

L’analyse des décisions stratégiques montre l’impréparation, la médiocrité des troupes anglo-indiennes et de leurs chefs et explique les divers temps de la bataille, la dureté du siège. Le sort des populations civiles est rapidement évoqué. Les Britanniques ont sous-estimé le redressement ottoman soutenu par l’Allemagne. Les opérations de diversion (Gallipoli, Aden) et la tentative allemande d’entraîner la Perse dans le conflit en 1916, la position des Russes sur la Caspienne ajoutent à la désorganisation du Moyen-Orient.

Les extrêmes du climat irakien rendent la difficile situation des troupes de Townshend alors que s’enlisent les expéditions de secours du Tigris Corp. Leur échec et l’épuisement des assiégés conduisent à la reddition sans condition le 29 avril 1916.

Les opérations militaires sont expliquées en détail de même que le sort des Arabes qui ont collaboré et celui des prisonniers cipayes et autres soldats1900km à parcourir jusqu’aux camps d’Anatolie alors que Charles Townshend est traité en « hôte honoré de la nation turque ».

L’épilogue permet d’évoquer le soulèvement du chérif Hussein à La Mecque, la commission d’enquêté anglaise sur le fiasco de Kut, l’attirance du sultan Enver Pacha pour l’Azerbaïdjan qui permet le retour vainqueur des Britanniques à Bagdad en février 1917.

Le livre se termine sur l’impossible bilan humain de cette guerre.

Certes ce n’était pas le sujet mais le génocide arménien n’est pas abordé, on peut s’en étonner.