Auguste ALLEMANE est né le 5 mai 1870 à Bordeaux. Il est entré en 1893 à la mairie de Bordeaux comme employé auxiliaire après 3 ans d’engagement volontaire dans le 18e régiment d’infanterie. Marié en 1894, il a 4 garçons. L’aîné, Maurice, admis à Polytechnique et à Centrale, décède à Paris à 21 ans quelques jours avant l’armistice de 1918, des suites de ses blessures de guerre.

En 1914, au moment de la mobilisation, Auguste ALLEMANE est chef de cabinet de Charles GRUET, maire de Bordeaux. De la frontière belge à l’Oise, la Marne et l’Aisne, il survit à 4 années dans les tranchées. Il reçoit la Croix de Guerre en 1916, est fait chevalier de la Légion d’Honneur en 1918 puis officier en 1929. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, il participe à la protection de jeunes juifs. Il meurt en 1955 à l’âge de 85 ans.

Un témoignage au plus près des combats

« Ce journal d’un mobilisé, mis en ordre dans les années 1920 à partir de notes et de lettres écrites sur le vif, depuis le front et les tranchées, est bouleversant », de l’aveu même de ses petits enfants Josette PERROMAT et Didier ALLEMANE. Au fil des lettres sont abordés de nombreux thèmes :

  • L’envie d’en découdre avec l’ennemi : [1er Septembre 1914] Nous nous morfondons ici et il me tarde de jouer enfin un rôle actif quel qu’il soit. Nous rongeons notre frein et tout vaudrait mieux que l’indécision dans laquelle nous sommes ballotés. Attendre, et c’est notre vie journalière comme celle de toutes les troupes accumulées au nord de la Loire, dans l’expectative d’évènements inconnus.
  • Combattre pour gagner : [9 Septembre 1914] Vous avez raison d’avoir confiance dans le succès final. Cette confiance, nous l’avons aussi et la conserverons quoi qu’il arrive, quelles que soient les alternatives des opérations dont le cadre est immense.
  • Le froid et la pluie : [15 Novembre 1914] Le grésil fouette les visages et il ne fait pas bon traîner sur les routes. C’est l’hiver du Nord qui commence. [23 juillet 1915] Entrée dans un nouveau boyau ; l’eau dépasse les genoux. Et il pleut toujours ! De temps à autre, dans la file qui serpente derrière moi, au milieu d’une épaisse nuit, on entend un grognement, un juron étouffé, des froissements d’armes, un « plouf ! » caractéristique. C’est une glissade et une chute. Je fais comme tout le monde et si terreux que je sois, je me relève encore plus sale. [25 octobre 1915] Sans arrêt depuis une vingtaine d’heures, le Nord nous apporte, sur un vent froid et rafales courtes, une pluie cinglante et glacée. Rien ne peut nous en abriter. Des blocs d’argile se détachent de mon abri qui n’aura bientôt plus que son armature. [2 novembre 1915] La tempête continue et rien ne résiste à l’action de l’eau. Tout s’effrite et s’aplatit comme beurre au soleil. Le sol regorge d’humidité. [28 Novembre 1915] Froid noir : 6 degrés au-dessous de zéro. [30 Janvier 1917] Le temps est implacable de froid. Un vent aigu brûle les yeux et pique les oreilles. [9 Janvier 1918] Grosse tombée de neige. Froid vif et verglas.
  • La censure : [26 Décembre 1914] Bouche cousue maintenant sur ce que je verrai et entendrai. Une circulaire du généralissime prescrit impérativement de s’abstenir de toute communication relative à la guerre dans les correspondances.
  • L’éloignement des proches : [2 Janvier 1915] Voici un 1er janvier achevé dans la mélancolie. Ce jour de famille par excellence est devenu celui de la séparation. [10 Septembre 1916] Un de mes soldats, originaire des environs de Lens, est, depuis deux ans, sans nouvelles de sa femme et de ses trois enfants.
  • Sur l’arrière : [24 février 1915] : C’est pour moi une stupéfaction que de considérer les envois faits de la meilleur foi du monde, par les braves gens qui croient ainsi, très fermement, améliorer le sort du soldat. Des pardessus civils usagés, des petits gilets de haute fantaisie, des pantalons et même une longue redingote noire avec des revers de soie ! 30 ballots de papier hygiénique. Quelle dérision ! [13 mai 1915] des journaux nous font connaître l’attitude de « l’héroïque » population parisienne à propos de l’envoi de trois bombes d’avions dans la banlieue à Saint-Denis. Ce sont là crottes de pigeon. Mais qu’on décore tout le monde et n’en parlons plus ! [15 Février 1916] De Luze rentré hier de permission me vante la bonne tenue de Bordeaux et dit beaucoup de mal de Paris où l’on ne pense guère qu’à s’amuser. [7 Décembre 1916] Nos députés passent leur temps en querelles personnelles et pensent aux portefeuilles.
  • Les combats : [5 mai 1915] en face de nous, les Boches sont solidement établis. Chaque effort n’aboutit qu’à faire amocher quelques centaines des nôtres inutilement. [29 Décembre 1915] Il est bien certain que nous sommes en guerre ! C’est un véritable feu d’artifice. C’est tout pleurant que j’écris, les yeux rouges et larmoyants, sous la piqûre des gaz contenus dans les obus qui nous sont dispensés avec prodigalité. Mon camarade Duffour, qui est un savant chimiste, m’assure que ces obus sont farcis au bromure de benzyle. Un bruissement trop caractéristique s’est fait entendre et, avant que nous ayons pu faire même un mouvement, quelque chose d’indéfini s’est enfoncée dans le sol, à courte distance. Des éclats voltigeaient de toutes parts. C’était un énorme obus de 420. [30 Mai 1917] Les Boches jugent intéressant, aujourd’hui, de se livrer à un arrosage en règle de nos positions.
  • La vie dans les tranchées : [18 mai 1915] : voici 25 jours que je ne me suis pas déshabillé sauf pour changer de linge et faire ma toilette. Quels délices ce serait de disposer de draps et d’un matelas, au lieu de la couche de paille qui est notre lot. Inutile de dire que la toilette, si intime soit-elle, est faite à peu près publiquement et sans préoccupation du voisinage. C’est la guerre. [17 Décembre 1915] Ce qui est arrivé, c’est une note nous invitant à chasser les rats nous-mêmes. Fortune inespérée ! Le gouvernement allouera une somme de 5 centimes par rat capturé et incinéré…! [18 Février 1914] Quelle boue !
  • L’ennui : [27 juin 1915] La vie que nous menons peut paraître accidentée, de loin ; elle est en réalité, extrêmement monotone car, si diverses que soient les circonstances, les mêmes situations se représentant chaque jour. Voici deux mois que nous allons et venons dans un secteur de quelques kilomètres de côté.
  • La mort : [26 août 1915] Pas de changement. Que de morts sur cette terre saturée ! Sur un faible espace, des centaines et des centaines de morts à demi ensevelis et le sol en est parfois constitué. [28 Novembre 1915] Je viens de l’inhumation d’un de nos sous-officiers qui a été frappé, hier soir, d’une balle malheureuse qui lui a tranché la carotide. [19 Mai 1917] Vu hier soir, en bordure d’un petit chemin de côte, une tombe fraîchement ornée presque pimpante, sous les deux drapeaux français et américain fichés dans la terre. L’avion de ce jeune pilote américain était venu s’abattre là.
  • Les baisses de moral : [10 Septembre 1916] Les jours pèsent de plus en plus lourd. Combien de nos soldats faut-il maintenir par l’amitié, les attentions, le réconfort de la sympathie. Pour certains, une usure profonde se manifeste, le moral devient moins solide, le cœur moins bien accroché surtout si aux peines physiques s’ajoutent les ennuis et les malheurs familiaux. [23 Décembre 1917] Un de mes hommes est devenu fou cette nuit.
  • La victoire : [8 Août 1918] Bonnes nouvelles de la dernière offensive qui pourrait bien faire évacuer par l’ennemi la région Montdidier-Noyon. [5 Septembre 1918] Prise de nouvelles positions. [27 Septembre 1918] L’Allemand commence à trouver l’affaire mauvaise. [11 Novembre 1918] La solution attendue est devenue certaine, nous a été connue cette nuit. L’armistice marque, en réalité, la fin de la guerre. [19 Décembre 1918] Adieu la pétaudière où nous vivons, sans ordres, sans instructions, sans réponse à nos questions quelles qu’elles soient.

A la lectures de ces lettres qui parcourent la 1ère Guerre Mondiale de bout en bout, on ne peut être qu’impressionné par le parcours de vie d’Auguste ALLEMANE. Elles sont un témoignage, utile aux professeurs d’Histoire pour décrire à leurs élèves la vie au front et l’horreur de la Grande guerre, même si l’auteur lui-même les considère « bien sages » et peuvent « laisser croire aux lecteurs familiaux que, après tout, les choses ne sont pas si terribles » et « je ne retrouve pas ou bien faiblement évoquées, les scènes violentes qui me paraissent maintenant irréelles, survenues dans un été second ».