Albert Hourani est historien anglophone du monde arabe décédé en 1993. Son ouvrage incontournable sur l’empire ottoman et porté par l’actualité est réédité en langue française par les éditions Atlande dans la collection Référence. L’importance de cet ouvrage est rappelé en avant-propos par Gilles Kepel qui a récemment publié La fracture .
Un livre incontournable pour qui veut comprendre les rapports intellectuels entre les deux rives de la Méditerranée, les influences sur quatre générations d’écrivains arabes de 1830 à la guerre froide. Il sera utile aux candidats au CAPES et à l’agrégation pour la session 2017.

L’ouvrage commence par des rappels de l’histoire depuis l’apparition de l’Islam.

L’Etat islamique

C’est d’abord un essai de définition de la nation arabe depuis la prédication de Muhammad, des repères sur l’histoire du monde musulman tant en ce qui concerne le domaine religieux que politique : relations entre pouvoir politique, loi et religion. L’auteur développe en particulier l’idée que le pouvoir émane de Dieu, élément fondamental pour comprendre les évolutions à venir.
C’est un tour d’horizon de la pensée au cours du Moyen-âge : Ibn SinaAvicene, Ibn Taymiyya, Ibn Khaldun.
D’où il ressort que l’Etat islamique est un mélange de royauté mulk et d’Etat fondé sur la shari’a.

L’Empire ottoman

Cet empire découle du même principe. L’auteur fait une description de son fonctionnement, un état guerrier s’appuyant sur l’orthodoxie sunnite, un produit de la longue évolution de la umma.
Le pouvoir est fondé non pas sur la succession apostolique du Prophète mais sur le droit divin conféré à ceux qui ont établi leur pouvoir dans l’intérêt de l’Islam.
L’auteur aborde l’organisation de l’empire, la place des différentes communautés y compris non-musulmanes.

Premiers regards sur l’Europe

Dans le très vaste empire ottoman le déclin commence dès le XVIIe siècle : crise politique avec le déclin du sultan au profit de grand vizir, crise économique, montée de pouvoirs locaux dans les provinces.
L’auteur développe l’influence au XVIIIe siècle d’Ibn ‘Abd al-Wahhab qui propose un Islam rigoriste fondé sur la shari’a.
Dans le même temps les puissances européennes contrôlent de plus en plus la Méditerranée et s’y présentent en protectrices des chrétiens à l’intérieur de l’Empire.
Cette Europe est observée, copiée en matière militaire. On observe son influence sur des personnages comme Ahmed Vefik Pacha.
Vers 1830 s’ouvre une période de réformes d’inspiration occidentale dont l’auteur montre les effets en Egypte, en Syrie, en Tunisie, vers un éclatement de l’Empire.

La première génération : Tahtawi, Khayr al-Din et Bustani

C’est ici le tableau précis des réformateurs de la seconde moitié du XIXe siècle : une tentative pour concilier le modèle démocratique européen et l’Islam.
L’auteur présente de façon très détaillée : portrait, activités et pensée de Tahtawi, figure des jeunes réformateurs égyptiens.
Khayr al-Din pose avec plus d’acuité le problème du rapport entre loi divine et codes légaux, pouvoir du sultan de droit divin et limitation de ce pouvoir, réflexions qu’il met en œuvre en Tunisie.
Le maronite Butrus al-Bustani défend l’idée que le renouveau du Moyen-Orient passe par la découverte de la pensée de l’Europe moderne.

Jamal al-Din al Afghani

Face à l’ingérence toujours plus grande des puissances européennes, à la perte des provinces extérieures, en 1876 est proclamée la première constitution. Mais en même temps est réaffirmé le rôle du souverain ottoman comme protecteur de la religion musulmane.
Cette période est marquée par un penseur : Jamal al-Din al Afghani, un panislamisme, mélange de sentiment religieux, de sentiment national et de radicalisme européen. Il est favorable à une réforme de l’Islam visant à son unité et voit l’Islam comme une civilisation.
L’auteur détaille son parcours, les influences reçues, ses lectures des auteurs français, il analyse sa pensée politique.

Muhammad ‘Abduh

Disciple et collaborateur du précédent, à travers son portrait, sa carrière et notamment comme mufti d’Egypte, c’est-à-dire chef de tout le système de la loi religieuse on découvre sa réflexion visant à une réinterprétation de la loi religieuse pour s’accorder aux besoins du temps. Comment lutter contre la sécularisation croissante de la société en réaffirmant une éthique morale et religieuse. Pour lui l’Islam peut être la base morale d’une société moderne et progressiste.

Les disciples égyptiens d’Abduh : l’Islam et la civilisation moderne

De Qasim Amin le Kurde et l’émancipation des femmes qui revendique pour la civilisation le droit d’élaborer des normes tout en respectant la religion à Ahmad Lufti al-Sayyid l’Egyptien qui défend l’idée d’une nation égyptienne héritière des pharaons et présente la liberté comme une nécessité vitale (liberté intellectuelle, de parole, de publication) les successeurs d’Abduh complètent sa pensée réformiste avec au centre la nation.

Avec Mustafa ‘Abd al-Raziq c’est la question du califat qui est posée.

Le nationalisme Egyptien

L’auteur revient dans ce chapitre sur la relation entre Islam et nationalisme égyptien, il en retrace l’histoire depuis la révolte du Caire contre Bonaparte en 1798. Il présente les différents auteurs qui éclairent la montée de ce nationalisme, les influences occidentales en particulier sur des hommes comme Mustafa Kamil ou Sa’d Zaghlul.

Rashid Rida

La fin du XIXe siècle a vu se développer partout en terre musulmane une pensée réformatrice.
Rashid Rida est originaire de la région de Tripoli, muni d’une solide éducation traditionnelle il fréquente un ordre mystique. Sa méfiance à l’égard du soufisme l’amène à lire al Afghani et Abduh. Au début du XXe siècle il participe activement à la vie politique syrienne.
L’auteur analyse sa réflexion sur le rapport entre religion, modernité et prospérité. Rida croit en l’unité possible des sunnites et des chiites, en la nécessité de changer la loi en accord avec les besoins de l’époque par exemple en ce qui concerne les prêts d’argent. Sur la question du jihad, il l’estime légitime quand il s’agit de protéger l’Islam pas pour le propager.

La pensée séculaire des chrétiens Shumayyil et Antun

Ecrivant en langue arabe les penseurs chrétiens ont sur leurs lecteurs musulmans une influence pour des questions comme la recherche de la vérité, les découvertes scientifiques (hygiène, darwinisme) et même sur une vision de la société.
L’auteur développe en particulier les idées de Shumayyil sur le lien entre progrès scientifique et progrès social et celles d’Antun pour le débat sur le domaine de l’intellect (raisonnement, méthode scientifique) et le domaine du cœur (acceptation du contenu des livres sacrés). Pour cet auteur la tolérance est un préalable au sécularisme

Le nationalisme arabe

Partant de l’union originelle entre Islam et peuple arabe, Albert Hourani montre, face à la désintégration de l’empire ottoman, la naissance et le développement d’un nationalisme arabe : les motifs, les temps forts, le rôle de la résurgence de l’idée de grand califat. Un nationalisme entre affirmation religieuse et forme séculaire où la langue joue un grand rôle.
Dans ce chapitre on retrouve les penseurs présentés dans les chapitres précédents. L’analyse du nationalisme syrien permet d’aborder les conséquences des traités qui mettent fin à la première guerre mondiale (Palestine, Liban…) quand la place de l’Egypte introduit l’unité du nationalisme arabe après 1945.

Taha Husayn

Retour sur l’entre-deux-guerre ou comment se débarrasser de la domination politique européenne tout en adhérant au concept occidental de nation?
C’est le cas du penseur égyptien Taha Husayn qui est au centre de ce chapitre. Ce chantre d’une conception occidentale et non orientale de l’Egypte montre une définition de la nation non fondée sur la religion.

Passé et avenir

1939 est une date clé, d’un nationalisme qu’il soit religieux, territorial ou linguistique aux aspirations limitées, la seconde guerre mondiale ouvre la porte à la revendication d’indépendance politique totale face à l’Europe mais aussi à une place au sein des non-alignés.
Le développement d’une nouvelle société où l’industrie prend une place importante et un développement des villes associé à un fort prolétariat urbain amène à un renouvellement de la pensée évoquée à grands traits ainsi que les grands courants politiques : nasserisme, parti Ba’th, frères musulmans, néo-destour.

Un livre dense utile à une bonne compréhension de l’évolution des idées dans le monde musulman.