L’historien Henri de Wailly vient de publier aux éditions Perrin 1945. L’empire rompu. Il s’agit de l’histoire de la chute de l’empire colonial français en Syrie, en Algérie et en Indochine. C’est une période certes cruciale, mais pourtant assez largement ignorée, qui concerne les trois guerres coloniales qui ont ébranlé la France au cours du XXe siècle. En 1945, en l’espace de quelques semaines, de profonds craquements se sont en effet fait entendre dans l’empire colonial français. Au Levant, en Indochine, ainsi qu’en Algérie, d’immenses mouvements de foule eurent brusquement lieu. Généreuse, républicaine, libérale, exportatrice des grands principes de 1789, la France va pourtant se montrer pendant vingt ans violente et hésitante.

A ce propos, le contraste est tout à fait saisissant si l’on compare la situation française avec celle des autres pays occidentaux. En effet, en 1945, les alliés de la France tendaient à se désengager : alors que les Etats-Unis d’Amérique quittaient les Philippines, la Grande Bretagne abandonnait quant à elle les Indes et les Pays-Bas évacuaient l’Indonésie. L’autorité de la France était d’autant plus contestée et, pour beaucoup, c’est à la Grande Bretagne que l’on devait la prospérité. La volonté des pays arabes comme l’Égypte, le Liban et la Syrie était alors de créer une sorte de marché commun. Ce qui eut pour conséquence directe de provoquer une lutte sourde entre la France d’une part et la Grande Bretagne d’autre part.

De Gaulle estimait en effet que la garantie donnée par l’Angleterre durant la guerre d’accorder l’indépendance ne le concernait en aucune façon. Il ne voulait pas laisser le champ libre aux Britanniques en s’extirpant trop rapidement de la zone. La concurrence faisait donc rage, les Anglais accusant la France de soutenir des bandits notoires, parce qu’ils se disaient profrançais, et les Français dénonçant à l’inverse le déversement de l’or britannique retournant leurs partisans en alliés de la Couronne. A la suite de tous ces événements, Churchill et de Gaulle restèrent irréconciliables. François Kersaudy estime à cet égard que de Gaulle devint à cette époque « un ennemi mortel de l’Angleterre ». A la fin de la guerre, seuls les Français défilèrent à Damas, et ce en faisant beaucoup de bruit et pendant plusieurs jours, alors que les Anglais qui étaient les véritables vainqueurs au Levant restèrent fort discrets.

La France débarqua de nouvelles troupes au Liban, malgré les démarches anglo-américaines, ce qui provoqua de vives tensions. Il y eut un soulèvement très violent en Syrie, dont la répression par les Français fit quelques 2.000 morts du côté syrien et 50 morts environ du côté français. La fête nationale syrienne correspond au départ des troupes françaises. Après le départ des Français, tout tomba sous le contrôle anglais. En Algérie, c’est l’enfermement de Messali Hadj qui mit le feu aux poudres. Le 8 mai, un soulèvement eut lieu et la répression fut très sévère. L’auteur cite des rapports des services de renseignement qui attestent la présence d’espions anglais au moment de l’insurrection.

Pour ce qui est de l’Indochine, la colonie a vécu en vase clos par suite de son occupation par les Japonais. Ainsi que le relevait le général Buhrer, qui était commandant supérieur des troupes d’Indochine de 1936 à 1938, « l’Indochine m’inquiète, nos officiers autochtones nous garderons fidélité, car nous les avons intégrés. Par contre, nos administrateurs ont le racisme du parchemin. Pour eux, seul le diplôme décerné au blanc a de la valeur. Les normaliens sont tout juste pions dans les lycées ». En 1945, la France se heurta au nationalisme et à Ho Chi Minh, lequel forma le 17 août 1945 son gouvernement à Hanoi. Il proclama l’indépendance du Vietnam le 2 septembre. Leclerc était conscient du fait qu’il aurait à mener une guerre longue et coûteuse. Malheureusement; cet avis n’était pas du tout partagé par l’amiral d’Argenlieu.

Durant cette période, de Gaulle n’eut de cesse de tenter de restaurer la grandeur et la fierté de la France. Il estimait que l’empire était un élément essentiel de cette grandeur. D’où ses efforts constants pour garder l’empire intact. Pour l’auteur, de Gaulle ne s’opposait pas à proprement parler aux colonies, mais plutôt à ceux qui tenteraient de les dominer. Il estime que Leclerc et Catroux auraient pu faire évoluer les choses de façon tout à fait différente. Pour Leclerc, le problème indochinois était surtout d’ordre politique. Leclerc eut, à cet effet, une violente discussion avec de Gaulle. Il avouera à ses proches « ne pas comprendre de Gaulle ».

Un très bon livre, fort documenté et peu connu en dehors des spécialistes.

Jean-Paul Fourmont