Complet, rigoureux et accessible, cet ouvrage est un très bel outil pour les candidats au Capes d’histoire-géographie 2024 et 2025 mais aussi pour les tous les enseignants du secondaire qui ont a traiter la question coloniale, à la fois essentielle et sensible, avec leurs classes. L’ensemble géographique étudié étant vaste et hétérogène et les entrées multiples (politique, administration, société, religion, environnement, …), Isabelle Surun, professeure en histoire contemporaine à l’université de Lille, s’est entourée de nombreux autres spécialistes de la question coloniale afin de coordonner et rédiger cet excellent ouvrage de concours pour les éditions Atlande. Nous pouvons citer ici Julie d’Andurain, Emmanuelle Sibeud, Sylvie Thénault, Marie Ndongue, Tramor Quémeneur ou encore Pierre Singaravélou. L’ouvrage, grâce aux entrées à la fois chronologiques, spatiales et thématiques qui embrassent de nombreux champs historiques (histoire économique, culturelle, politique, environnementale …) permet au candidat de mieux saisir les concepts du « fait colonial » : ordre colonial, domination coloniale, sociétés coloniales, … .

Le sujet invite les candidats à s’intéresser à l’empire colonial français en Afrique et donc à un territoire ainsi qu’à un processus qui ne sont figés ni dans le temps, ni dans l’espace. En effet, les bornes chronologiques choisies font débuter la question non pas au point de départ de la colonisation française en Afrique mais à la conférence de Berlin de 1884 et la clôturent avec l’indépendance de l’Algérie. La borne de départ, sous son apparente simplicité (la conférence de Berlin marquant dans les représentations le partage de l’Afrique par les puissances coloniales), invite le candidat à une réflexion plus profonde étant donné que le processus de partage des territoires s’étale en réalité dans le temps.

Aussi, si l’empire colonial en Afrique est bien délimité, il est vaste et il est surtout marqué par une grande diversité dans les statuts territoriaux. L’ouvrage revient, bien évidemment, sur cette hétérogénéité statutaire (Dans la partie « Espaces ») : les trois départements de l’Algérie française qui dépend du ministère de l’Intérieur, les protectorats que sont la Tunisie et le Maroc (eux-mêmes singuliers),  les territoires de l’AEF et ceux de l’AOF sans oublier Madagascar et Mayotte ou encore la Côte française des Somalis autour de Djibouti et les Quatre communes du Sénégal. L’Algérie, seule colonie de peuplement, a été marquée par un dualisme colon-colonisé particulièrement fort. De ce fait, elle possède une trajectoire unique ce qui lui vaut une place particulière dans l’histoire, dans les mémoires … et dans cet ouvrage. Les colonies « d’exploitation » de l’Afrique subsaharienne connaissent une domination coloniale différente marquée non pas par la figure du colon mais par celui du colonial qui lui ne s’y implante pas durablement. Les auteurs montrent bien en quoi « l’Algérie a été le laboratoire de modes d’administration des populations qui ont ensuite essaimé dans le reste de l’empire, en particulier le régime de l’indigénat. » (p.29).

Dans tous ces territoires, l’interventionnisme de la métropole en termes de santé, d’éducation ou d’usage des terres est à relier à la « mission civilisatrice » conduisant à ce contrôle des populations dans tout l’empire colonial français en Afrique.

Cette question de l’Afrique coloniale est aujourd’hui jugée sensible du fait de « la lisière poreuse entre histoire et mémoire » (p.31). Les auteurs soulignent très bien les renouvellements historiographiques en partant de l’histoire apologétiques des premiers temps car rédigées souvent par les administrateurs et politiques liés à l’entreprise coloniale. Plusieurs approches du fait colonial se sont succédées ou chevauchées : l’étude des modes d’administration, de la législation ou des statuts ainsi que l’articulation entre les discours et les pratiques sur le terrain, celle des facteurs économiques entre « pillage » et « mise en valeur » ou des facteurs politiques, celle des populations colonisées, … Bien sûr, on ne peut oublier les apports et les limites des Subaltern Studies ainsi que des Postcolonial Studies dont le point commun est de rendre compte du point de vue des dominés. De récents travaux se sont intéressés à l' »Etat colonial » et à sa nature, à sa dimension répressive, aux différentes formes de violence (symbolique, économique, culturelle ou physique) mais aussi aux porosités entre « pacification » et administration.  Ce sont ces recherches qui ont permis de définir « l’ordre colonial ». Des historiens comme Romain Bertrand ont interrogé la nature de cette domination coloniale qui repose sur un Etat colonial qui n’est pas « une machine toute-puissante et autonome » mais a évolué car en prise avec les sociétés et un contexte particulier. Ainsi, des « transactions » existent entre l’Etat colonial, les élites coloniales et les autochtones. Aussi, l’historiographie contemporaine tente de décrire et d’analyser les relations entre les groupes et entre les individus au sein d’une société coloniale globale. Cette démarche évite la logique binaire entre le colon et le colonisateur et souligne l’importance du métissage ainsi que du rôle des intermédiaires coloniaux et des élites locales dans l’appareil colonial dans lequel ils s’inscrivent et adhérent parfois. La question des femmes, du corps, de la sexualité, du genre ou l’intime sont aussi d’autres champs nouveaux explorés par les historiens et donc dans cet ouvrage.

La partie « Repères » permet de balayer la question du point de vue chronologique, de la conquête et des appropriations coloniales à la décolonisation en passant par l’expérience des guerres mondiales ou par la récession des années 1930. Le candidat pourra bien évidemment approfondir ces points de repères grâce aux multiples références bibliographiques insérées dans le texte ou dans la très belle bibliographie de fin d’ouvrage.

Dans la partie thématique, les auteurs articulent la réflexion et l’analyse autour de quatre aspects de la colonisation française en Afrique. Voici le sommaire simplifié :

1- Les formes de la domination coloniale : L’argumentaire colonial et impérial – Administrer – Représenter – Exploiter – Taxer – Contrôler – Réprimer

2- Cultures coloniales et impériales : “Civiliser” – Connaître pour dominer – Religions – Pratiques culturelles

3- Contester l’Empire : Révoltes – Résistances du quotidien – Mobilisations – Luttes armées

4- L’empire en métropole : La vitrine coloniale – Les français et la guerre d’indépendance algérienne

Une autre partie est consacrée aux témoins et acteurs, quelques portraits y sont ainsi développés : les trajectoires algériennes de Messali Hadj, Fehrat Abbas et Ahmed Tawfiq al Madani, le pacha de Marrakech Thami al-Glaoui illustrant la « politique des grands caïds » instituée par Lyautey, la militante Aoua Keita, la missionnaire Sœur Marie-André du Sacré Cœur, Félix Houphouët-Boigny soulignant l’ambivalence des relations entre la France et son ancien Empire colonial, le président-poète ou le poète-président Léopold Sédar Senghor et sa volonté de réconciliation politique, linguistique et culturelle ou encore Ahmed Sékou Touré à la fois héros et tyran.

Afin d’éviter les généralités, la dernière partie évoque les spécificités des espaces de cet empire colonial français en Afrique. En termes de territoires, l’ouvrage détaille la colonie de peuplement algérienne, les deux protectorats de Tunisie et du Maroc, les deux fédérations que sont l’AEF et l’AOF, les deux territoires sous mandat du Cameroun et du Togo, Madagascar et la côte française des Somalis. Les villes coloniales et les villages sont aussi décris dans leur diversité. Enfin, les interfaces, les emprises spatiales (appropriation foncière, le cantonnement, l’exploitation des ressources par les compagnies concessionnaire)  ainsi que les circulations (migrations coloniales, diasporas de travail, circulations culturelles) sont aussi étudiées. La place de l’environnement, à la fois habité et exploité bénéficie d’une courte mise au point.

Des cartes, une chronologie, une très riche bibliographie ainsi qu’un glossaire viennent clôturer ce très bel ouvrage de concours.

Pour les Clionautes, Armand Bruthiaux

 

Présentation de l’ouvrage sur le site des éditions Atlande : https://www.atlande.eu/histoire-contemporaine/924-l-empire-colonial-francais-en-afrique-9782350308401.html

Quelques recensions en lien dans la Cliothèque :

Sexe, race & colonies – La domination des corps du XVe siècle à nos jours

L’Afrique Noire – un rêve français

Histoire globale de la France coloniale

Félix Éboué, Le lion qui a dit non

Les Africaines – Histoire des femmes d’Afrique subsaharienne du XIXe au XXe siècle

L’empire colonial français dans la Grande Guerre

Repenser la « mission civilisatrice »

L’invention du colonialisme vert – Pour en finir avec le mythe de l’éden africain