« Cet État sera ce que les Algériens voudront. Pour ma part, je suis persuadé qu’il sera souverain au dedans et au dehors. Et, encore une fois, la France n’y fait aucun obstacle. »
Le général de Gaulle (Conférence de presse télévisée
du 11 avril 1961)
Passionné par l’Afrique, Bernard Demattre a recueilli les témoignages des anciens appelés du contingent en Algérie, en lien avec la FNACA (Fédération nationale des anciens combattants d’Algérie, du Maroc et de la Tunisie), à l’occasion de l’anniversaire des accords d’Évian.
Les propos liminaires reviennent à Gérard Larcher qui rappelle l’empreinte de la guerre d’Algérie pour les appelés du contingent. Ces soldats ont passé une partie de leur jeunesse dans un pays qu’ils ne connaissaient pas, une terre tellement différente mais si attachante. Certains y sont morts, d’autres aujourd’hui témoignent.
Dans l’introduction, Bernard Demattre, ancien journaliste devenu écrivain, résume les conséquences du conflit colonial et les revendications de ceux qui ont combattu et travaillé pour la France.
Quatorze témoignages (Alfred Baudart, Jean-Pierre, Joseph, Pierre Coville, Pierre Desclos, Guy Duchesne, Hervé L’Her, Jean-Pierre Leroy, Roland Maltret, Marcel Miklaszewski, Claude Paquet, André Roche, Gérard Salis, Paul Scelles) apportent des éclairages intéressants, des pierres angulaires d’une mémoire qui s’épaissit avec le temps et contribue à forger l’histoire des relations entre la France et l’Algérie.
Chaque récit est précédé d’un résumé et d’une réflexion de l’auteur sur la vie du protagoniste interviewé. Tous ces témoins ont vécu LEUR guerre.
S’il n’est pas possible de convoquer dans ce compte rendu tous les appelés, on notera quelques tranches de vie intéressantes.
Étudiant en aéronautique, André Roche a effectué son service militaire de 14 mois et 28 jours à 22 ans en Algérie. Formé à Toulouse en trois mois, il part ensuite en Algérie dans le 62e Escadron des Transports aériens qui gérait 32 avions à Alger. Bien sûr, il a toujours traversé la Méditerranée par avion, « Jamais en bateau », précise-t-il ! André se souvient des émeutes de la rue d’Isly (26 mars 1962) puis de l’évacuation des familles pieds noirs et de la grande fête de l’Indépendance le 14 juillet 1962, quand le cargo américain « Maison blanche »est arrivé à Alger accompagné de cinq Migs : « l’Armée américaine a récupéré nos hangars… ». Cet homme finit son service à Blida où il sympathise avec des Arabes, héros de la Seconde Guerre mondiale qui cachent leur médaille à cause du FLN. Un de ses meilleurs souvenir est l’audition d’un certain Claude Moyne, futur Eddy Mitchell et son groupe les « Chaussettes noires », présents pour remonter le moral des troupes.
De famille catholique et engagée, Paul Scelles a demandé à être incorporé en Algérie. Il précise qu’il y tenait par pure curiosité intellectuelle après la lecture de journaux comme L’express ou Témoignage Chrétien en faveur de l’indépendance de l’Algérie.
Ancien pâtissier renommé de Rambouillet, Claude Paquet a été incorporé en décembre 1956. Après avoir fait ses classes dans le camp d’instruction de Linas-Monthléry, il effectue un stage de cuisine militaire et devient Chef cuisinier. L’Armée lui propose de monter un laboratoire de pâtisserie dans l’enceinte des Invalides. Il réalise avec son équipe 300 gâteaux par jour. Quelle aubaine ! Mais tout bascule en 1958 ! Claude Paquet parle de coup de Trafalgar !
Nous n’attendons pas grand-chose car nous avons une moyenne d’âge de 80-90 ans ! Mais nos enfants, petits-enfants, arrières- petits-enfants seraient très heureux et curieux d’apprendre nos sacrifices entre 1954 et 1962…
… Il faut absolument une réconciliation avec nos anciens ennemis, car nous avons des affinités et des points communs avec la population d’Afrique du Nord. Ce conflit aurait pu être évité si tous les belligérants s’étaient entendus.
Ami de Bernard Delattre et cofondateur de la compagnie de danse BBB (Black-Blanc-Beur), Jean Abderraman Djemad précise dans la postface l’importance du croisement des mémoires puisque « les effets collatéraux de ces guerres persistent dans l’entourage et dans la descendance ». Ce serait la condition pour que les relations entre la France et l’Algérie s’apaisent définitivement.
Cet ouvrage d’un intérêt inégal en fonction des objets d’étude, apporte des documents nouveaux pour croiser les sources nécessaires aux leçons liées aux guerres coloniales.