Luytens (Daniel-Charles) 39-45 Carnets de guerre / Jeunesses hitlériennes
Editions Jourdan, 2014

Voici un petit livre inclassable : mi-manuel rapide, mi-recueil de documents.
Ces derniers résultent, nous dit-on sobrement, d’interviews recueillies pendant des années par Jacques de Launay, un historien du nazisme extra-universitaire et prolifique. Son collaborateur Daniel-Charles Luytens en donne ici un florilège, assorti de chronologies et d’organigrammes sur le fonctionnement de la Jeunesse hitlérienne. Les spécialistes souhaiteraient plus de précisions sur les témoins et les conditions de leurs dépositions. Peut-être aussi des notes rectificatives quand le brouillage des souvenirs entraîne des approximations fâcheuses voire des erreurs flagrantes. Les Napola et autres écoles du parti ne dépendaient pas de la Hitlerjugend et elle-même ne dépendait pas de Robert Ley… devenu Friedrich Ley p. 40 et, lit-on, rapidement empêché de visiter les écoles en raison d’une trop fréquente ébriété, ce qui semble relever de lectures antinazies d’après-guerre plus que des souvenirs d’un enfant embrigadé. De même, il est fâcheux que Röhm soit traité de « chef d’Etat » au lieu de « chef d’état-major des SA » (p. 165).
Néanmoins l’ensemble sonne juste et cette approche de l’enrôlement de la jeunesse par le nazisme est en phase avec les plus récentes recherches (notamment les travaux de Ralph Keysers sur la propagande en général et l’école en particulier : http://clio-cr.clionautes.org/l-enfance-nazie-une-analyse-de-manuels-scolaires-1933-1945.html#.U0DoL1ezGZQ ), et en rupture avec l’impression relativement inoffensive qu’avait laissée, à Nuremberg puis dans ses mémoires publiés après ses deux décennies de prison, le chef des Jeunesses Baldur von Schirach.
La Hitlerjugend était une machine de guerre en herbe. Elle fournissait le matériel humain le plus apte possible au sacrifice, au meurtre, à la solidarité du groupe et de la nation contre un ennemi juif ou aux ordres de la « Juiverie ». On utilisait les attraits de la vie de camp pour simuler des marches d’approche de l’ennemi soit dans les forêts, soit en rampant sur le sol des terrains découverts. On endoctrinait les jeunes par des chants plus que par des discours, sans exclure totalement ceux-ci : on leur « parlait souvent du traité de Versailles » (p. 36). On arrivait à leur faire prendre le Führer pour un dieu, qui pensait à eux, qui disait à chacun « tu es un jeune soldat allemand » (p. 86).
Pendant la guerre, les jeunes sont utilisés comme pompiers, avant même la fin des bombardements incendiaires (p. 88). Cela leur vaut des médailles… que la propagande rapproche de celles des athlètes allemands aux Jeux Olympiques, le jour où une délégation de jeunes, décorés pour leur bravoure dans la fournaise de Hambourg, visite le stade de Berlin sous la conduite d’un champion de 1936 (p. 89). Le nom de Margarete Zettel, une héroïne citée à cette occasion –elle avait sauvé le dernier enfant d’une maternité juste avant son écroulement-, offre une piste pour un prolongement de la lecture sur Internet : http://www.pbs.org/wgbh/peoplescentury/episodes/totalwar/zetteltranscript.html .
Non moins intéressants sont les souvenirs de la fin de la guerre. Ils font état des sacrifices d’unités adolescentes fanatisées, et du dégrisement de survivants hébétés. L’humour noir ne perd pas ses droits quand un jeune surprend dans une cave un officier en passe de s’accoupler avec une travailleuse slave, sur la poitrine de laquelle est écrit le mot « peste ». Il a une pensée méprisante pour ce supérieur « en train de se souiller »… mais se fait renvoyer prestement à l’air libre en tant que « lâche » et menacer de la peine de mort (p. 104). Le fanatisme hitlérien qui fait tenir en 1945 les places de Koenigsberg et de Breslau dans des régions depuis longtemps conquises par les Soviétiques est visité de l’intérieur, avec son mélange de gamins fanatisés qui veulent mourir devant l’ennemi et d’autres qui crèvent de peur.
Un très court chapitre sur les tribulations, pendant la guerre, du futur Benoit XVI (p. 118-119) en dit trop ou pas assez, et l’opposition frontale qu’il trace entre catholicisme et nazisme ne procède pas d’une démarche historique. Un autre bref chapitre nous livre sans commentaire une lettre d’un ancien jeune hitlérien émigré aux Etats-Unis et donnant, lui, de son expérience des JH une image entièrement positive. A le lire, on encourageait le développement des personnalités et ne parlait jamais des Juifs ! Certes le contraste avec le reste du livre est parlant… mais il mériterait tout de même d’être mentionné.
Au milieu d’un développement final sur Baldur von Schirach, démarqué de ses mémoires sans rigueur critique, quelques pages de témoignages (174-180) montrent que c’était bien lui qui donnait à son mouvement un esprit militaire, préparatoire aux absurdes sacrifices de la débâcle.
Il faut souhaiter que la documentation originale de ce livre soit un jour ordonnée et présentée de façon critique. Tel qu’il est, il peut avantageusement orner un CDI et servir de point de départ à bien des travaux d’élèves.

François Delpla