Après avoir publié aux éditions Vendémiaire : « la légende noire des soldats du midi », http://clio-cr.clionautes.org/desunion-nationale-la-legende-noire-des-soldats-du-midi.html#.U0LLl1fRMdM
notre collègue Jean-Yves le Naour, revient à la charge avec cette bande dessinée publiée aux éditions «Grand angle».
Il rend ainsi plus accessible cette histoire mal connue, celle du 15e corps de l’armée de Provence, qui regroupe des soldats des Bouches-du-Rhône mais aussi de Corse, des Alpes-Maritimes, du Gard et de l’Ardèche. Cette unité, ainsi que le 20e corps composé de soldats lorrains, et engagés, des débuts de la guerre, par le général Joffre dans la conquête de la partie annexée de la Lorraine.
Partisans de l’offensive à outrance, les généraux Foch et Castelnau partaient de l’idée qu’une pénétration dans le dispositif adverse obligerait l’armée allemande à se disperser sur deux théâtres d’opérations, à la fois dans le nord du pays et dans l’Est.
La bande dessinée est très richement documentée par un cahier spécial, réalisé par Jean-Yves Le Naour qui revient sur le contexte historique de ce qui apparaît comme un déni de justice, quasiment de même nature que ce qui s’était passé lors de l’affaire Dreyfus.
Des erreurs de l’État-Major
Du point de vue tactique, l’erreur de l’état-major est flagrante. Dans une zone que les Allemands avaient pu fortifier pendant près de 40 ans, où ils avaient même disposé des repères d’artillerie, faire avancer les troupes d’infanterie sans couverture d’artillerie étaient proprement criminel.
Les soldats du 20e et du 15e corps n’avaient que leurs poitrines et leurs baïonnettes à opposer face au mortiers lourds qui avaient une portée de 3 km. Même le canon de 75 ne pouvait opposer un tir de contre-batterie.
En quelques heures, d’après l’auteur, ce sont plus de 1000 soldats de Provence qui sont abattus, sans parler des blessés. Pour cacher ce désastre, Ferdinand Foch, couverts par le général Foch, cherchant responsable. Pour de simples raisons politiques nourries par des préjugés, il n’est pas question de remettre en cause la bravoure au combat des soldats de Lorraine, ce sont donc les méridionaux que l’on va qualifier de mauvais soldats qui se sont débandés devant les.
La responsabilité du ministre de la guerre Adolphe Memissy est sans doute encore plus flagrante puisqu’il demande au sénateur Gervais, expert militaire au journal : « le Matin », de publier un article dans lequel la lâcheté des méridionaux explique cette défaite, présentée comme un recul tactique.
Des préjugés tenaces
Jean-Yves Le Naour raconte ici l’histoire de deux soldats de Provence, le berger corse Joseph Tomasini et le varois Auguste Odde. Blessés au combat lors de la défense de Nancy, les deux hommes sont victimes d’une machination organisée par le médecin qui les dénonce dans son rapport pour mutilation volontaire. En temps de guerre, dans les conditions strictes de la justice militaire, et même si le délit n’est pas qualifié en tant que tel, l’accusation se traduit par un constat « d’abandon de poste devant l’ennemi », puni par la peine de mort.
Les préjugés contre les méridionaux sont largement diffusés au nord de la Loire. Beaucoup ont encore dans les mémoires des soldats du 17e ligne de Béziers qui ont levé crosse en l’air, sans parler des clichés contre des méridionaux paresseux, enclins à la sieste à l’ombre des platanes et autres mangeurs d’impôts. On retrouve ainsi dans la bande dessinée ces remarques qui montrent que, même en période d’union sacrée, les divisions existent encore.
L’auteur évoque aussi les réactions des élus du Midi qui ont fait pression sur le Président du Conseil pour pousser Messimy à la démission. Joffre a d’ailleurs fait machine arrière et a quand même affirmé que le XV corps n’a pas démérité, même si en réalité il était l’initiateur de cette stigmatisation des méridionaux.
En Provence come dans les autres départements méridionaux, l’implication du sénateur Gervais a coûté cher à la marque homonyme de produits laitiers. Celle-ci a dû acheter des espaces publicitaires dans les journaux du Midi pour expliquer qu’elle n’avait rien à voir avec le Sénateur.
Même si les deux soldats sont passés par les armes, l’obstination d’un médecin et le courage de leur lieutenant permet de réparer l’injustice en septembre 1918 devant la Cour de Cassation. Les accusateurs de Tomasini et Odde en septembre 1914 maintiendront leurs positions en arguant du contexte de l’époque. Les deux soldats sont réhabilités, décorés de la Croix de Guerre, restaurés dans leurs droits à pension. La Mère d’Auguste Odde n’a pas voulu recevoir l’envoyé du gouvernement venu lui demander pardon au non du Président de la République.
Bruno Modica