“Les Collabos” de Laurent Joly, publiés par les éditions Tallandier en août 2019, sont une réédition en livre de poche d’un ouvrage de 2011. L’auteur ne prétend pas ici faire une étude approfondie du milieu, essentiellement parisien, des partisans d’une collaboration sans limites avec l’Allemagne nazie; ce que les historiens désignent sous le terme de “collaborationnistes” et que le langage populaire a réduit à l’abréviation péjorative de “collabo”.
L’auteur présente une galerie de 13 portraits de “collabos” rencontrés au hasard de ses recherches dans les archives de la police et de la justice, en particulier les dossiers d’instruction des cours chargés de l’épuration à la Libération. Comme le dit justement L. Joly, il s’agit de “seconds couteaux” de la Collaboration ultra, “parfois inconnus quand ils ne sont pas parfaitement ignorés du grand public”, à part peut être le cardinal Baudrillart et Robert Hersant, dont les noms diront peut être quelque chose aux lecteurs d’un certain âge. L. Joly s’était déjà essayé à l’exercice difficile de la biographie historique au début de sa carrière avec Darquier de Pellepoix et Xavier Vallat. Son propos ici est à la fois plus modeste et d’une autre nature. En choisissant de mettre brièvement sous les projecteurs des personnages secondaires dont l’Histoire n’a souvent pas retenu les noms, l’auteur cherche à comprendre – et à nous faire comprendre – les mécanismes psychologiques (idéologie, ambition personnelle, soif de revanche sociale et de reconnaissance de frustrés de l’avant-guerre, appât du gain etc…) qui ont pu pousser ces individus à se fourvoyer dans le chemin de la Collaboration sans limites avec l’ennemi, jusqu’au crime parfois.
L’ouvrage s’organise logiquement en 13 courts portraits d’une dizaine de pages chacun. Le lecteur est libre de suivre l’ordre proposé par l’auteur ou non, au gré de ses intérêts. On imagine bien que le choix des 13 “collabos” procède d’une sélection subjective faite par l’auteur, parmi de nombreux autres rencontrés dans les archives. À travers cette galerie de portraits, L. Joly tente indirectement de présenter la diversité idéologique et politique du “petit village collaborationniste” parisien construit autour de l’Ambassade d’Allemagne. L’ordre et le choix des portraits ne sont donc pas le fruit du hasard.
Chaque portrait est construit sur le même schéma. En ouverture, une photo du personnage. Pour certaines, on serait tenté d’affirmer que parfois, “l’habit fait le moine” ou à tout le moins , le visage reflète un trait saillant de la personnalité : austère et sévère chez le cardinal Baudrillart; regard de voyou chez Alexandre Villaplane etc… L’auteur s’attache d’abord à présenter les origines, le profil psychologique et le parcours politique, idéologique, professionnel du “collabo” avant la guerre. C’est ce qui permet de comprendre les mobiles de l’engagement dans la collaboration sans limites avec l’occupant, à partir de l’été 40. Il décrit ensuite le parcours colaborationniste de chacun, qui s’apparente souvent à la spirale d’une compromission de plus en plus extrême et criminelle avec les nazis. Au fil des portraits d’individus très différents, L. Joly met ainsi en relief un certain nombre de ressorts psychologiques assez ressemblants : la soif de reconnaissance sociale, le désir de revanche sur le destin d’individus frustrés dans leurs ambitions, le profit rapide dans une époque tragique où tout semble possible pour qui sait naviguer en eau trouble. Toute ressemblance avec nos contemporains n’est pas purement fortuite… À la fin de chaque portrait, l’auteur a ajouté une courte et utile synthèse historique sur un aspect particulier en rapport direct avec l’action du Collabo.
Ecrits d’une plume acérée, L. Joly nous offre donc 13 récits basés sur des faits solides mais en évitant le piège de l’érudition “historienne”. Ces portraits se lisent facilement et d’une traite. Ils sont à la portée de tout lecteur désireux de mettre des visages sur ces années noires…