A la croisée de l’histoire politique et de l’histoire de l’art, l’historienne de l’art transalpine Lucia Piccioni signe cet ouvrage issu de sa thèse de doctorat, couronnée du prix de la meilleure thèse EHESS de l’année 2015. L’auteure y interroge l’autonomie de l’art dans le moment fasciste : légitime-t-il ce régime ? Le consolide-t-il ? Et elle démontre en sept chapitres que l’absence d’un modèle d’art d’État ainsi que le pluralisme esthétique qui caractérisent la production artistique sous le régime fasciste italien répondent à son idéologie protéiforme et englobante, ersatz d’une Weltanschauung. Dynamisme, nationalisme, identité, futurisme, impérialisme, vitesse, aéropeinture, voilà des mots qui rendent partiellement compte des différentes mues et tendances qui composent le socle de la peinture officielle de l’Etat fasciste entre 1922 et 1943. L’art fasciste est comme le caméléon, il change de couleurs, fidèle en cela au concept de révolution permanente cher au Duce et G. Bottai, afin de mieux s’adapter au monde, voire anticiper les orientations du régime.

Anciens et modernes

Dès 1922, l’Italie fasciste, héritière d’une puissance artistique singulière et millénaire, se considère comme la tenante d’un esprit artistique supérieur. Celui-ci découle du syncrétisme esthétique mêlant passé et futur, tradition et avant-garde, ou opposant deux modèles de civilisation, au travers de l’antagonisme où s’affrontent les deux mouvements culturels adossés à l’urbanité et la peinture de l’homme moderne (le Stracitta) et à la ruralité et ses paysages intemporels (le Strapaese). Soit d’une certaine façon la dialectique nature-culture, par ailleurs déclinée sous la forme de l’antagonisme région-nation, autant d’obstacles à dépasser pour cimenter l’italianité.

Un art vecteur d’italianité

L’historienne parvient en outre à montrer que les arts figuratifs italiens du ventennio fasciste accompagnent les inflexions idéologiques du régime, mais aussi anticipent la cristallisation de certaines notions, valeurs ou paradigmes, à l’instar de l’italianité (émergée dès le Risorgimento) qui sert de support à la légitimation d’une civilisation – romaine en l’occurrence – redynamisée par l’Etat mussolinien vecteur d’un nouvel impérialisme et d’un nationalisme inédit.

Avec un total de 126 illustrations en couleurs et en noir et blanc, l’ouvrage présente des illustrations rarissimes, telles celles de I. Gambini par exemple, échos de l’épopée éthiopienne de 1935-36. On y rencontre également ces perspectives déstabilisantes – sphérique par exemple – qui abolissent les points de vue rationnels (G. Dottori, Il golfo, 1933, p198) et établissent un autre code de perception et de lecture.

En somme, ce passionnant ouvrage donne à voir un autre fascisme en proposant “une histoire politique du regard en repensant les relations étroites que le fascisme entretient avec l’image” (p396). Il peut servir de support à un exposé pour des élèves de terminale en tronc commun et apporter ainsi un autre éclairage sur la caractérisation, à la fois politique et esthétique, du fascisme italien.

La présentation de l’éditeur :

https://www.lespressesdureel.com/ouvrage.php?id=7043