Arnaud Pautet qui enseigne au lycée Ste Marie de Lyon propose un manuel pour les classes préparatoires économiques et commerciales. Bien structuré cet ouvrage se veut un tableau des Afriques en 2011, les cartes de synthèse sont associées à des croquis réalisés par des étudiants, une idée sympathique mais des productions pas toujours très lisibles. Une solide documentation pour lecteur pressé permet de bousculer les idées sur un continent souvent mal connu.

Ce manuel présente une structure efficace. Après un paragraphe d’introduction: l’essentiel complété de l’énoncé de trois ou quatre problématiques, les dates indispensables et les chiffres incontournables, cependant pas toujours datés : le cours est structuré, accompagné de quelques citations et le cas échéant d’un encart de vocabulaire. Illustré de cartes de synthèse ou de cartes élaborées par des étudiants il se termine par un plan détaillé de dissertation et un sujet de khôlle. C’est un ouvrage destiné au bachotage qui peut surprendre quand il reprend, en particulier dans le glossaire (les 100 mots du continent) des éléments de base dignes d’un cours de 6ème mais offre une réflexion problématisée et actuelle sur bien des sujets organisés en 6 grands thèmes.

Le milieu. un continent, des Afriques

La diversité des écosystèmes et la variété culturelle sont décrits, un rappel en quelques pages associé à un sujet sur les montagnes.

Un tableau assez complet des ressources laisse une place à la réflexion sur le développement durable (déforestation, pillage halieutique, déchets) et aux réalités géopolitiques: accès aux ressources et conflits armés mais les exemples sont évoqués (Biafra traité en 3 pages, certes repris dans d’autres chapitres obligeant l’étudiant à une reconstruction ou, à défaut, au risque d’une citation non maîtrisée). On peut regretter l’absence de note renvoyant le lecteur curieux à une référence bibliographique.

Les dissymétries sont mises en valeur: littoral/intérieur, villes/campagnes, nomades/sédentaires. La question du Sahara comme coupure est posée.

Le temps long de l’Afrique, une histoire singulière et tourmentée

Les structures de base de la société, la famille, la place des femmes, les ethnies, héritage de l’histoire autant de manière de s’interroger sur les fondements de l’identité africaine. Dans ce contexte quelle place pour la modernité : revendication d’une africanité mais adaptation rapide au monde moderne, rôle des États, de la religion ou de la rencontre touristique dans ces évolutions vers ce que Sylvie Brunel nomme syncrétisme culturel. La dissertation propose une réflexion sur la relation entre ethnies et conflits.

C’est ensuite un rapide survol de l’histoire des sociétés précoloniales à l’Afrique postcoloniale. La place faite, ici, à l’histoire de l’Égypte pharaonique, certes importante mais connue semble faite au détriment de celle des grands empires Ghana, Songhaï ou kongo méconnus et à peine évoqués, tandis que la traite trop vite abordée laisse des approximations comme la création d’une ville : Gorée. Un retour sur la colonisation, la décolonisation et le postcolonialisme est brossé en 6 pages et deux grands tableaux.

L’auteur insiste sur la conflictualité de la période contemporaine, ce qu’il nomme le basculement dans l’ère des guerres en chaîne depuis le XIXème siècle. Cela permet de faire une place aux résistances face à la colonisation, d’évoquer les guerres de libération sur fond de guerre froide et depuis 1991 : guerres civiles et conflits extensifs. Les raisons de cette situation : différents sur les tracés de frontières, tentation sécessionniste pour le contrôle des ressources, guerres « ethniques » permettent un tour d’horizon mais si rapide qu’on regrette l’absence de ressources bibliographiques complémentaires. Les guerres de demain seront-elles liées aux questions environnementales, cette interrogation ouvre vers d’autres réflexions tout comme le sujet de khôlle sur la fin de la présence militaire française.

Les hommes

Peut-on parler de bombe démographique pour un continent où les situations sont si diverses, en particulier entre Maghreb et Afrique noire ? L’auteur interroge le poids et la richesse que constitue une jeunesse nombreuse dont la scolarisation progresse. A la suite de Roland Pourtier il pose la question des liens entre croissance démographique et guerre mais aussi la menace du V.I.H., sans oublier les deux fléaux sanitaires que constituent la tuberculose et le paludisme.

Les migrations, thème incontournable pour qui traite de la population en Afrique sont décrites avec précision, l’auteur insiste sur la prédominance des migrations intra-continentales même s’il ne faut pas oublier les déplacements vers l’Europe et les transferts de fond qui en découlent. Sont traitées les migrations nées de la guerre, essentiellement vers les voisins les plus proches, l’attrait de pays comme l’Afrique du Sud, la Libye ou le Gabon pétrolier, la surmédiatisation vers l’espace Schengen mais aussi la fuite des cerveaux vers la triade et les récentes migrations écologiques. Une très intéressante carte complète ce chapitre.

Les territoires

Sont abordés tour à tour: les villes, l’État et les constructions régionales.

Le premier chapitre fait le point sur l’accélération différentiée de l’urbanisation et rappelle l’existence de villes très anciennes comme Djénné dont la fonction essentielle a toujours été le commerce ce qui amène à poser la question de leur rôle dans un contexte mondialisé: porte d’entrée, lieu des diasporas, miroir de la mondialisation où se côtoient commerces de luxe et bidonvilles. La macrocéphalie est pourtant en recul au profit des villes moyennes avec un tissu urbain souvent anarchique. Quelques exercices cartographiques d’étudiants présentent des exemples: Le Caire, Lagos, la ville-apartheid. La plupart des villes rencontrent des problèmes difficiles à résoudre: importance de la pauvreté et donc du secteur informel, médiocrité des réseaux (eau, électricité, équipement collectifs), insécurité. Le sujet de khôlle aborde la relation villes/campagnes.

Avec l’étude de l’État en Afrique on aborde divers thèmes: des frontières héritées de la colonisation mais aussi maintien de frontières intérieures héritées des chefferies; la perception de l’État et de ses fonctions par les citoyens notamment pour les réseaux de communication et les médias; les dynamiques frontalières: intérêt économiques du passage des migrants, liens ancestraux entre deux rives d’un fleuve (par ex. Mauritanie-Sénégal). Le chapitre se termine sur la crise de l’État avec effondrement de l’économie de rente, la corruption, la faiblesse diplomatique, les difficultés de la démocratie avec un développement sur les récentes « révolutions arabes »: Tunisie, Égypte, Libye.

Mais des institutions transnationales politiques ou économiques existent sur ce continent, avec des conceptions et des résultats très inégaux , ces constructions sont pourtant indispensables pour faire entendre la voix de l’Afrique dans le monde malgré une difficulté à trouver un leader: Kadhafi ou l’Afrique du Sud. Une carte des dynamiques à l’œuvre dans de domaine complète utilement le chapitre.

Les éléments: l’eau, la terre, le feu

Sous ce titre surprenant, l’auteur présente les grands enjeux pour demain.

L’eau entre abondance et rareté: Si la disponibilité est variable selon les régions (pluviométrie, grands réservoirs naturels ou artificiels) c’est l’adéquation aux besoins en eau et en eau propre qui pose problème. Les divers usages (agricoles, industriels et domestiques) sont chiffrés et analysés pour cette ressource aux risques (inondations, sécheresse) mal maîtrisés. La question des maladies liées à l’eau n’est pas oubliée de même que l’hydro-conflictualité émergente (Nil), la place des entreprises internationales qui assure l’approvisionnement et l’assainissement, les premiers accords de bassin (Niger, Sénégal, projet pour le Nil) et les pollutions nées de l’extraction minière. La dissertation propose une réflexion synthétique: l’Afrique manque-t-elle d’eau?

Nourrir un milliard d’Africains en 2010, deux en 2050, voilà le défi pour des agricultures, entre régions dynamiques et région atones. Plus qu’une présentation générale de du secteur, ce chapitre montre l’émergence d’un vivrier marchand, péri-urbain, aux mains des femmes.
Les techniques restent souvent traditionnelles en regard de la volonté de certains états de mettre en place des réformes agraires. L’exemple développé concerne l’or blanc: culture d’exportation, variétés de coton à haut rendement, développement des OGM. La pression démographique est aussi un moteur de l’intensification, non sans problèmes écologiques.
Suivant les travaux de Sylvie Brunel, l’auteur aborde la question de la malnutrition et de l’insécurité alimentaire en raisons des variations autrefois climatiques, aujourd’hui des cours mondiaux comme en 2008. La dépendance des économies de rente face aux bourses internationales est renforcée par les achats de terres agricoles par des puissances étrangères et pas seulement la Chine. C’est ce que met en regard la dissertation: agriculture: enjeux du développement et enjeux géopolitiques.

Troisième élément: le pétrole miracle ou mirage pour les pays africains?
L’Afrique détient une ressource importante (13% des réserves) et facile à raffiner, un secteur en plein développement mais aux mains des grandes compagnies pétrolières ou de leurs récents concurrents chinois. Sont évoqués dans ce chapitre la situation des pays non-producteurs, la difficulté des producteurs face à la variation des cours, une mono-industrie frein au développement d’autres activités mais aussi les risques de conflits pour le contrôle de la manne pétrolière, la faible redistribution et les questions environnementales.

L’Afrique et le monde

Malgré une relative marginalisation dans les échanges, le continent subit la libéralisation, la concurrence par exemple en ce qui concerne les oléagineux. C’est à un survol de divers aspect que nous convie l’auteurs: blocages économiques, dépendance de l’aide internationale en général intéressée, difficile bilan d’une économie qui n’intègre pas l’économie informelle et plus récemment le développement de trafics en tout genre (drogue, diamant, piraterie…), ainsi que sa présence dans les instances internationales.

Des  » trajectoires plurielles » sous ce titre emprunté à Philippe Hugon, le chapitre analyse, face aux 34 P.M.A., le devenir de trois pays: Afrique du Sud, Nigeria, Égypte, ainsi que l’évolution du Maghreb et du Machrek.

Peut-on parler de rupture euro-africaine ? Est-ce la même position pour l’Union européenne et les anciennes métropoles coloniales: Paris ou Londres ? Ce sont les relations de partenariats qui sont développées dans cet ultime chapitre: Europe, USA pour qui la lutte contre l’islamisme remplace désormais l’anti-communisme, et les nouveaux: la Chine très présente mais pas toujours appréciée et l’Inde qui monte en puissance.

Comme tout bon manuel l’ouvrage est complété par:

  1. un lexique qui va de la définition digne d’un manuel de 6ème (oasis) à la banalité étonnante quand on s’adresse à des étudiants de classes préparatoires(dette)
  2. les lieux de la géopolitique
  3. une bibliographie peu étoffée
  4. des références culturelles (musique, littérature, cinéma): une très bonne idée qui manque pourtant d’ambition en proposant des référence grand public avec des oublis criants, comme celui d’Ousmane Sembene qui n’est cité ni comme écrivain ni comme cinéaste, ou en musique des absents tels le Sénégalais Omar Pene, la Burkinabé Ayo ou le Congolais Lokoua kanza parmi d’autres.

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