Ce livre est le produit de la collaboration de la Collectivité territoriale de Guyane, de l’Office de l’eau et du laboratoire LEEISA du CNRS1 pour faire découvrir à un large public, l’originalité de ces territoires littoraux. L’ouvrage présente les nouvelles connaissances scientifiques sur l’écologie et le fonctionnement du littoral et des estuaires, sur l’occupation par l’homme et leurs interactions avec l’environnement.
Les multiples visages des estuaires guyanais
Les estuaires sont des espaces riches du point de vue écologique. Utilisés depuis longtemps ils s’inscrivent dans l’histoire des hommes.
Des estuaires et un littoral sous l’influence de l’Amazone
Un littoral très particulier fait de côte vaseuse, rendue instable par l’hyper-sédimentation, une mangrove succède aux bancs de vase. C’est cet espace particulier qui est décrit avec ses phénomènes d’évolution encore pas totalement compris. Les bancs de vase s’installent au bas de plage donnant naissance à une coexistence originale de vase et de sable.
Les estuaires sont marqués par les fluctuations du niveau des mers (glaciations et déglaciations). Leur fonctionnement hydrologique est lié à trois paramètres : la marée, le débit fluvial et, en aval, la houle. Dans les estuaires les zones humides sont très présentes : marais, mangrove, vasières colonisées ou non par la végétation. Elles abritent une riche biodiversité.
Ce sont aussi des lieux de navigation (abris portuaires, digues) avec une activité humaine synonyme de problématiques environnementales. Les estuaires du Maroni et de l’Oyapock ont de forts débits marqués par une forte saisonnalité.
L’influence de l’Amazone ressentie jusque dans les estuaires guyanais
l’étude montre que la migration des bancs de vase d’origine amazonienne le long du littoral provoque une alternance de phases d’envasement et de phases d’érosion qui évoluent du fait du débit des fleuves côtiers (une quinzaine d’estuaires sont en cours d’étude). Trois types d’estuaire sont présents :
- Petits estuaires qui peuvent être totalement envasés comme ceux des fleuves Mahury et Kourou et de la rivière de Cayenne.
- Les estuaires à embouchure déviée vers l’ouest- nord-ouest sont caractérisés par des pointes vaseuses comme la Pointe Béhague en Guyane.
- Les estuaires de fleuves à fort débit (Maroni, Corentyne, Essequibo…) sont en transition vers les deltas.
Pour tous un régime hydrologique saisonnier de type tropical.
Nouvelle exploration de l’estuaire du Maroni
L’estuaire est constitué d’eau salée très chargée en particules d’argiles qui proviennent du bassin versant du fleuve Amazone, et sont transportées par les courants côtiers de l’océan Atlantique. Les recherches du projet Oyamar portent sur le fonctionnement de l’estuaire et sont très rapidement décrites. La croissance démographique va entraîner des modifications liées à l’agrandissement du port de Saint-Laurent-du Maroni.
Les recherches actuelles visent à une modélisation numérique en s’appuyant notamment sur les cartes satellites de concentration sédimentaire (les images Landsat 8-OLI 2013-2019).
La mangrove, l’incontournable du littoral guyanais
Une autre recherche porte sur les mangroves dans l’estuaire du Sinnamary, avec une interrogation : Peuvent-elles nous aider à prédire les changements côtiers ? Question d’autant plus importante dans le contexte du réchauffement global (bouleversements attendus sur les littoraux avec la montée du niveau des océans ou de l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des tempêtes).
C’est pourquoi une étude porte sur une mangrove unique à l’embouchure du fleuve Oyapock. Cette mangrove est assez méconnue car son accès nécessite plusieurs heures de bateau2. Cette étude porte notamment sur le stockage du carbone par la mangrove et les ressources halieutiques.
La vie sur le littoral
Pêches traditionnelles et territoires estuariens
Traditionnellement les habitants connaissent la grande diversité de plantes et d’animaux de ces milieux, des ressources précieuses pour l’alimentation, l’artisanat ou la pharmacopée, à côté de l’agriculture sur abattis. Le désenclavement routier n’a pas encore totalement impacté les modes de subsistance. Par exemple les Palikur du bas-Oyapock pratiquent une pêche de savane inondable. C’est toute une économie : la production de chaque groupe est échangée sur les marchés locaux. Les pirogues (transport et petite pêche) sont, souvent, fabriquées par les Galibi-Marworno de Kumarumã (Brésil) et vendues sur les deux berges de l’Oyapock. Ces activités perdurent, elles sont aujourd’hui associées à des emplois plus ou moins formels et les connaissances sur le milieu ne sont plus transmises que de façon marginale.
Vivre de la pêche côtière
C’est une activité artisanale pourvoyeuse d’emplois. Elle fait travailler quelque 350 marins-pêcheurs. Une protection de la ressource est mise en place :Depuis 1986, interdiction du chalutage sur des fonds de moins de 30 m, pas encore de quota mais des mesures conservatrices. C’est une activité soumise à des aléas (algues des Sargasses, difficultés économiques liées aux coûts d’exploitation). Quatre types de navires se rencontrent sur la côte guyanaise : la pirogue traditionnelle et le canot créole qui représentaient 6 % des navires en 2019 et pêchent à la journée ; le canot créole amélioré et la tapouille pêchent plus au large, de 5 à 10 jours en mer, avec des équipages de 3 à 5 hommes. L’étude décrit les engins de pêche utilisés pour ces fonds vaseux et évoque le problème de la pêche brésilienne illégale avec un risque de surexploitation.
La pêche crevettière au défi du réchauffement climatique
Autre activité : la pêche pratiquée a été pratiquée par une flotte de chalutiers, américains et japonais, sur le plateau continental, au-delà de 30 m de fond. La production est d’environ 4 000 t/an, débarquée en Guyane et exportée. Aujourd’hui La flotte est française grâce à la création des zones économiques exclusives (ZEE) et la production exportée vers l’Europe. L’activité est en déclin (coût du carburant, diminution du stock, concurrence de l’aquaculture du Sud-Est asiatique). Face au changement climatique, des études vont être menées pour observer les éventuels changements de comportements des crevettes et pour confirmer ou non le déclin du stock. L’étude porte aussi sur les relations entre la mangrove et la reproduction des crevettes.
Quand la mer dévore le littoral
L’instabilité du trait de côte est aussi un sujet d’étude tant dans les zones habitées (Kourou, destruction de la route du quartier de l’Anse et menaces d’érosion sur des maisons en front de mer) que sur les zones plus sauvages du littoral (quand les forêts marécageuses, la mangrove soumisses à l’érosion et qui ne protègent plus la plaine côtière des assauts de l’océan). Ces phénomènes ne se font pas encore vraiment sentir, mais ce sont de fortes contraintes sur cette côte basse, menacée en cas de montée du niveau de la mer. l’Observatoire de la dynamique côtière de Guyane (ODyC) a été mis en place en 2014, c’est un outil d’appui à la gestion des enjeux d’aménagement et d’observation de la côte. Le but recherché : créer un outil expertise en vue d’une vision conjointe des scientifiques et des gestionnaires sur la côte.
Les estuaires, lieux de rencontres et d’échanges
Il est rappelé que les estuaires ont été, depuis plus de 6 000 ans, des lieux de rencontres et d’échanges entre différents peuples. Damien Davy propose un rappel historique de l’occupation humaine de la Guyane.
Aujourd’hui, la ville de Saint-Laurent-du-Maroni est soumise à une forte pression démographique (7 000 h en 1982, 45 000 h. en 2016). Une situation qui implique des besoins croissants en écoles, hôpitaux, en emplois, en logements… Malgré des efforts certains,l’offre est insuffisante et une partie de la population bascule dans l’informalité notamment dans l’habitat. L’étude montre comment les quartiers se distinguent les uns des autres : 4 quartiers, 4 modes de cultures. Elle porte aussi sur la dimension agricole de l’économie.
Estuaires : d’une rive à l’autre
L’agriculture, une porte d’entrée
De nombreux migrants pratiquent une agriculture familiale, depuis longtemps : après 1848, engagés chinois, malais ou africains sur les plantations, après 1902 Martiniquais exilés de Saint-Pierre, dans les années 1970 Hmongs, originaires du Laos. C’est une agriculture de subsistance, la production est destinée à l’autoconsommation et à la vente de surplus quand il y en a. Elle joue ainsi un rôle d’insertion sociale. Les parcelles cultivées forment un front pionnier comme dans le quartier de Bibi à Saint-Laurent-du-Maroni.
L’informalité à Saint-Laurent-du-Maroni, un facteur de développement alternatif
La notion d’informalité est définie, cette forme d’activité est adaptée à la situation : une personne sur deux n’a pas de titre de séjour et le taux de chômage est élevé. C’est une stratégie d’adaptation face aux discriminations.
Développement et mobilité
Dans le bassin du fleuve Maroni, la mobilité transfrontalière est forte (guerre civile du Suriname 1986-1991). L’étude montre les conséquences de la mobilité sur le développement local et inversement les effets du développement sur la mobilité notamment des jeunes adultes. « Le décalage entre les aspirations professionnelles de la population et les possibilités limitées d’éducation et d’emploi dans l’Ouest guyanais pourrait accroître les mobilités vers Cayenne et la France métropolitaine. » (p.105).
Le Maroni et l’Oyapock, deux estuaires transfrontaliers
Cette frontière entre le Surinam et la Guyane n’est pas réelle pour les Kali’na qui occupent les deux rives comme le montre leur histoire depuis le XVIIe siècle.
Après une description physique le l’Oyapock, l’étude montre que si le transit par les ponts, bacs et passages à gué facilite les contrôles, cette représentation du fleuve est une vision occidentale. Pour les populations locales le fleuve est une route pour pénétrer dans la forêt. Les travaux d’infrastructures sur la rive française (route N2, pont transfrontalier du bas-Oyapock) impactent fortement l’organisation du territoire (intensification des contrôles de police et de douane). L’évolution démographique des deux villes frontalières Saint-Georges-de-l’Oyapock et Oiapoque qui était parallèle de 1950 à 1975, connaît aujourd’hui une différence de rythme : stagnation sur la rive française et croissance sur la rive brésilienne. Le fleuve demeure structurant pour les habitants et devient à la fois un lieu de coopération et de tensions régionales en raison de l’importance à la fois du transit et du trafic (orpaillage clandestin).
« Le pont, continuité de la route, agit ici comme une pièce maîtresse dans le système de contrôle des flux transfrontaliers, là où les mobilités transfluviales, via le transbordement par pirogue, assurent une fluidité d’allées et venues entre les rives. » (p.115).
Conclusion :
l’Oyapock et le Maroni, deux estuaires similaires aux contextes différents tant humains que physiques. Une invitation à aborder les futurs recherches par des approches interdisciplinaires.
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1 Programme scientifique Oyamar