L’ouvrage présente l’intérêt de la forêt domestique pourvoyeuse de fruits, de bois, de plantes médicinales, de gibier, produits dont certains sont recherchés par le commerce mondial. Le but de Geneviève Michon : présenter la diversité et la complexité des forêts domestiques à partir de très nombreux et peu connus travaux de recherche.
Une écriture souvent poétique qui invite le lecteur à un voyage autour du monde.
Qu’est-ce que la forêt?
A la découverte de la forêt, un parcours depuis le petit bois derrière chez soi à la haie et à la forêt dense définit de quoi parle cet ouvrage qui fait aussi une place à l’homme.
Quelques belles photos graphies illustrent le propos.
L’auteure aborde la diversité par la richesse lexicale des termes qui désignent la forêt ici depuis le Moyen Age ou chez les Pové du Gabon. Elle pose la question : le divorce entre arbre, forêt et agriculture est-il inéluctable?
Partant du Moyen Age (ager – saltus – silva) elle montre comment l’agriculture a tourné le dos à la forêt et quel a été le rôle de la propriété du sol et de l’État? En écho elle analyse la situation en zone tropicale.
La domestication de la forêt
L’exemple des Karen et des Hmong en Thaïlande introduit la réflexion sur les rapports sociétés/nature. Une analyse anthropologique qui puise des éléments partout dans le monde autrefois comme aujourd’hui.
La domestication de l’arbre que ce soit le cacaoyer, l’hévéa ou l’eucalyptus a des visées économiques, une domestication industrielle dont le palmier à huile pourrait être l’exemple type.
D’autres arbres retiennent l’attention : le châtaigner et l’arganier, deux arbres apparemment sauvages qui sont en fait le produit d’une longue domestication. C’est aussi le cas du Durian à Sumatra, véritable fruit social par les pratiques liées à sa récolte et à sa consommation.
Domestiquer l’écosystème, peut-on parler d’ingénierie écologique ? Quand on domestique une plante, un arbre on modifie l’écosystème proche d’où cette étude qui commence par deux exemples amazoniens: la lente transformation de l’écosystème de l’estuaire de l’Amazone avec le développement du peuplement de palmiers acaï et à l’opposé la création ex-nihilo d’îlots forestiers en savane par les Indiens Kayapo du Mato-Grosso.
Il existe d’autres écosystèmes construits: l’oasis saharienne, le chois sélectif d’une essence, le damar à Sumatra qui introduit l’idée de régénération d’une forêt après des coupes.
L’auteure aborde également des exemples de cultures sous couverts forestiers (cacaoyers, caféiers) ou l’élevage en forêt claire (Dehesa espagnole). Elle évoque la coexistence herbe/arbre dans le bocage (Morvan) et la sylviculture truffière.
Malgré la diversité des pratiques, des écosystèmes un point commun se dégage: le pragmatisme dans le choix d’une démarche d’ orientation des mécanismes naturels.
Le chapitre 7, consacré à la domestication du paysage dans son ensemble, propose un changement d’échelle, le paysage comme témoin d’une histoire, des pratiques, des droits, des formes d’organisation spatiales et sociales.
Les exemples nous ramènent à la châtaigneraie corse, à l’arganeraie marocaine et nous conduisent aux longues jachères des Dayaks de Kalimantan (Bornéo).
Ces voyages montrent des paysages mouvants et les marques culturelles.
Écologie, économie; politique
La forêt domestique comme lieu de rencontre entre production et nature, un lien qui est hors de nos catégories bien définies et qui ne satisfait ni les tenants de la production ni ceux de la conservation d’une nature « mythique ».
Cette troisième partie est un hymne à la biodiversité des sols, biodiversité végétale et animale, au rôle régulateur du cycle de l’eau.
La forêt est une ressource pas seulement en matière d’autoconsommation mais intégrée à une économie globalisée depuis longtemps si on regarde le commerce du poivre. C’est une économie patrimoniale qui se transmet de génération en génération.
Mais des représentations persistantes opposent forestiers et paysans, elles sont le plus souvent extérieures, différentes de celles des populations locales.
La réflexion sur les pouvoirs qui ont cherché et cherchent à contrôler l’accès des différents usagers introduit la notion d’écologie politique développée avec l’exemple de l’épopée du benjoin et celui des conflits à Bornéo entre rotin de palmiers à huile, entre population locale et planteurs malais.
Enfin l’arbre peut être symbole de résistance: un peu d’histoire de la châtaigneraie corse ou d’enjeux divers: les arganiers entre développement économique et patrimoine à défendre.
La forêt domestiquée est alors le symbole d’une troisième voie, ni logique du capitalisme productiviste, ni nature naturelle et vierge.