Davantage qu’un simple manuel sur la nouvelle question de Géographie au CAPES et à l’agrégation, cet ouvrage se veut le premier handbook francophone sur les frontières. Il a vocation à faire le point sur l’ensemble de la recherche sur cet objet géographique. Pour cela, il réunit les meilleurs spécialistes (plus de 40) de border studies, qui écrivent en français sous la direction d’Anne-Laure AMILHAT-SZARY (professeure de géographie à l’université Grenoble Alpes) et Grégory HAMEZ (professeur de Géographie à l’université de Lorraine).
La frontière est d’abord définie dans l‘introduction, car si elle offre une forme de simplicité apparente, elle revêt pourtant plusieurs réalités. Au sens littéral du terme, il s’agirait d’une ligne sur une carte, partageant 2 pays (ce que recouvre le néologisme de « dyade » créé par Michel FOUCHER). Au sens de limite internationale, elle distinguerait deux États et leurs attributs, le territoire et la souveraineté. Mais cette réalité géographique n’est pas aussi universelle qu’elle en a l’air. La frontière est une fiction politique datant du XVIIème siècle et ne s’appliquant qu’à l’Europe occidentale. Les frontières constituent donc des constructions territoriales dont la diffusion planétaire impose une analyse plurielle. Son approche est aujourd’hui renouvelée, à la fois d’un point de vue scientifique et politique, en concevant l’espace à partir de sa dimension mobile et pas seulement à partir de la « traditionnelle perspective des ancrages territoriaux ». « Travailler la géographie des frontières aujourd’hui, c’est donc à la fois explorer et comprendre le monde avec lequel nous avons appris à fonctionner, celui des planisphères classiques qui découpent la planète en taches multicolores distinctes… et se construire les outils pour déchiffrer tout ce que ces schémas invisibilisent. » L’approche géographique permet alors de lier acteurs, représentations et pratiques dans l’analyse politique.
La conception du manuel recèle ensuite quelques originalités. Pour aborder un maximum de thèmes, les chapitres sont nombreux (38) et courts. De manière originale, les cas régionaux sont placés dans la partie conceptuelle et les représentations sont traitées avant les pratiques. Afin de mieux incarner les acteurs des frontières, de nombreux encarts sont enfin consacrés à des entretiens.
La première partie est consacrée aux concepts et processus permettant d’aborder la géographie des frontières. Dans le cadre des border studies, une certaine uniformisation des problématiques (sécurité, migration, coopération) se dégage et les limites d’un appareil conceptuel fabriqué à partir des réalités occidentales apparaissent. Une nouvelle définition de la frontière est alors proposée : un espace-temps de différenciation. Les conflits pour les frontières, les fronts écologiques sont ensuite abordés, avant les frontières à l’échelle régionale (Amérique, Afrique, Moyen-Orient, Asie Centrale, Asie du Sud et du Sud-Est et mondes océaniens).
La deuxième partie aborde les représentations de la frontière. Discontinuité, la frontière nationale se manifeste par un effet de rupture nette au passage de la ligne, en termes démographiques et socio-économiques mais aussi dans tous les domaines de la vie. Mais cette rupture ne s’exprime pas de la même façon suivant les contextes et les échelles d’analyse spatiale car la gestion des frontières dépend essentiellement des pouvoirs étatiques. Parfois, le marketing territorial en contexte transfrontalier peut aussi refléter un positionnement symbolique de mise en relation, de continuité, d’ouverture. L’exemple du pont sur l’Oyapock qui relie la Guyane française et le Brésil en est un exemple, qui contraste avec les discours politiques nationalistes qui entourent l’érection de murs aux frontières dans de nombreuses parties du monde.
Les troisième et quatrième parties déclinent les acteurs et pratiques aux frontières en fonction des types d’espaces. Lieu de contrôle des personnes, elles exacerbent les inégalités et la violence d’une part, permettent de contourner certaines normes d’autre part. Une véritable vie à la frontière peut ainsi se développer, ce qu’illustrent les cartes mentales d’habitants de l’agglomération binationale de Chui (Brésil) / Chuy (Uruguay). Le commerce peut y prospérer (dans l’Union Européenne par exemple). Les formes de coopération et le nombre de navetteurs transfrontaliers peuvent aussi s’y multiplier. Ailleurs, les frontières sont contrôlées, gardées, surveillées et/ou militarisées.
Dans la conclusion, la question de la place de la frontière dans les programmes scolaires est posée. Comme le personnage de l’Arlésienne, elle est partout et nulle part à la fois. Elle ne fait explicitement l’objet d’aucun chapitre des programmes du collège ni des programmes d’enseignement commun du lycée général et technologique. Seul le programme d’enseignement de spécialité de Première en a fait un thème spécifique. Plusieurs approches sont pourtant possibles pour traiter des frontières de manière transversale : géopolitique, économique ou sociale et culturelle. Des pistes sont ainsi proposées au collège et au lycée, comme par exemple un travail sur les « frontières pandémiques » pendant la crise sanitaire du Covid-19.
Cet ouvrage très complet est en fait la première véritable synthèse disponible en français sur les frontières. Le contenu déjà riche est complété par une bibliographie et par des références littéraires et cinématographiques sur le site de l’éditeur Armand Colin. Les candidats aux concours et les enseignants du secondaire y trouveront le bagage conceptuel (nombreuses définitions comme frontiérité, région transfrontalière ou paradiplomatie) permettant de parler précisément des frontières et de nombreux exemples (encadrés, études de cas et éclairages régionaux) pour illustrer cours ou dissertations. On regrettera peut-être le manque de croquis cartographiques, notamment en couleurs et le choix éditorial de proposer des chapitres posant les bases mais quelquefois trop courts pour développer complètement les thèmes abordées.
Autres CR à lire :
Les frontières, Michel FOUCHER, Documentation photographique, n°8133, Janvier-Février 2020, 9,90e
Qu’est-ce qu’une frontière aujourd’hui, Anne-Laure AMILHAT SZARY, PUF, 2015. 164 p. 14€