C’est avec beaucoup de plaisir que j’inaugure aujourd’hui la première présentation de cette revue dirigée par Pascal Gauchon, un des fondateurs du festival de géopolitique de Grenoble que les Clionautes ont très largement couvert en 2014 et 2015.
Cette publication sera donc présentée sur chaque numéro avec un développement sur les contenus. Ce dernier aura pour fonction d’inciter les 5 millions de visiteurs annuels des sites de la galaxie des Clionautes à s’y abonner et, comme praticiens de l’histoire, de la géographie et de la géopolitique à s’y référer.

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L’éditorial de ce quatrième numéro de la revue est signé par le Rédacteur en chef, Pascal Gauchon. La question qui est posée et qui ouvre le dossier est celle du « deux » en géopolitique. Cette dualité de la terre et de la mer se retrouve dans la question posée en ouverture de ce numéro : qui tient la mer tient le monde. Et nous y rajoutons un point d’interrogation comme Martin Motte qui rappelle opportunément que cette théorie, si elle fait consensus, a été aussi combattue, et ce dès l’antiquité.
La question qui est posée aujourd’hui est de concevoir la mer, non seulement comme un point de passage, celui d’où l’on attaque les terres, le lieu d’affirmation de la puissance, mais peut-être de concevoir les étendues marines comme un nouveau territoire, un espace contrôlé, habité, territorialisé en fait. Et les litiges frontaliers concernent aussi les espaces maritimes. Et ce n’est pas anodin de constater qu’un pays de 9 millions de km² comme la Chine est également très soucieux d’affirmer sa domination sur « ses » mers de Chine, Mer de Chine méridionale contre la Mer d’Orient des Vietnamiens ; Mer de Chine tout court, face à la « mer du Japon » avec les îles Diaohyu – Senkaku.
Florian Louis, auteur des « grands théoriciens de la géopolitique », publié au PUF en 2014, a su trouver en deux pages les moyens de présenter l’essentiel des thèses des géopoliticiens face à la mer. De Alfred Mahan, l’apôtre du sea power à Mackinder qui en réfute les thèses avec la domination de l’heartland, jusqu’à Spykman, on retrouve très clairement présentés les arguments de ces penseurs du monde de leur époque, même si la nôtre est infiniment plus complexe.
On appréciera la référence au géographe français Gottman qui avait compris, avant tout le monde sans doute, l’importance de la navigation dans le processus de la mondialisation contemporaine.
Les littoraux, interfaces entre terre et mer sont ainsi devenus cruciaux pour les échanges et peut-être que le gold power, celui de l’argent généré par les transactions qui ont un support matériel passant par les océans et les interfaces littorales, a déjà remplacé le sea power ? Un débat à poursuivre assurément.
Pierre Royer, dans son ouvrage paru au PUF, géopolitique des mers et des océans, s’interroge évidemment sur les évolutions en cours. Si les puissances navales de demain sont celles d’aujourd’hui, d’hier et même d’avant-hier, rien n’est jamais acquis. La puissance navale s’appuie aussi sur des bases terrestres car on oublie trop souvent qu’un navire de combat, pour rester opérationnel et projetable doit passer la moitié de sa vie à terre en maintenance, même si les équipages tournent comme dans les sous marins.
La Chine qui ne cache pas ses ambitions avec son premier porte avion, une vieille coque rachetée à l’Ukraine, baptisée le Liaoning, est loin d’être au niveau des unités des États-Unis et même du Charles de Gaulle. Plus peut-être que le porte avion, ce sont les déploiements de pétroliers ravitailleurs de la marine chinoise qui doivent faire réfléchir, même si les implantations de bases navales dans l’océan indien sont plus visibles. (Stratégie du collier de perles).
Le Mistral, bâtiment de projection et de commandement, le sous marin nucléaire d’attaque, deux domaines d’excellence de la France, sont également essentiels à la maîtrise des mers, mais surtout à la conduite d’attaques et d’affirmation de puissance sur les espaces terrestres.
Michel Nazet, professeur de géopolitique rappelle les ambitions navales de la Chine, qui dispose de 225 000 hommes et de 200 navires récents, dans toute la gamme, du SNA au SNLE et le porte avion, même s’il est considéré comme un navire école actuellement. Techniquement en retard, notamment pour la furtivité, la marine chinoise représente le tiers de celle des États-Unis en tonnage et 60 % des capacités navales de l’Amérique ont été déployés en Asie.
Le professeur Miossec rappelle très opportunément également que la maritimisation est au cœur du processus de mondialisation. Son article constitue une très éclairante mise au point sur les mouvements en cours, et nul ne doute que cet article se révèlera très précieux pour celui qui voudra présenter, sur ces évolutions complexes, une synthèse facilement accessible.
Tous les aspects de la géopolitique de la mer sont ainsi présentés dans ce dossier. La piraterie avec l’article du vice-amiral d’escadre, Laurent Mérer, est bien en régression depuis deux ou trois ans mais les causes qui en sont à l’origine sont loin d’avoir disparu au large des États faillis ou des pays les plus pauvres, devant lesquels passent les coffres-forts flottants remplis de richesses qui relient les pays ateliers aux gagnants de la mondialisation.

Il serait présomptueux de vouloir présenter en quelques lignes un numéro d’une telle richesse. Et qui n’est pas simplement consacré à la géopolitique des mers mais qui aborde bien d’autres questions d’actualité à propos des pays émergents, de la montée en puissance de l’Inde, comme l’article de Pierre Guillard le montre clairement à propos des élections du Printemps 2014 dans « la première démocratie du monde », ou encore l’enjeu que représente le pétrole de schiste pour les États-Unis avec l’article de Arnaud Leclercq.
On achèvera cette présentation avec l’article de Gilles Fumey sur les « trois Méditerranées », présentées comme des « nœuds géopolitiques ». Avec Christian Grataloup et Patrick Boucheron, que les Clionautes connaissent bien, il a publié aux éditions les Arènes, un Atlas global.
Outre la Grande bleue, mère des grandes civilisations de l’Antiquité familière aux Européens, Gilles Fumey évoque la mer des Antilles ou la Mer de Chine méridionale que l’Empire du Milieu considère comme sa mare nostrum. L’intégration économique en cours de ces espaces n’y empêche pas les conflits et les violences, liées à la décolonisation, aux déséquilibres de niveaux de vie, aux flux de produits illicites. La domination des grandes puissances sur leurs pourtours, Union européenne, États-Unis et Chine, n’est pas forcément un facteur d’équilibre.
On ne peut donc que conseiller la lecture et l’achat de ce numéro de toute urgence.