Dans la collection Découvertes de Gallimard, Michel Pastourau envisage le cochon comme objet historique pour saisir tour à tour les évolutions religieuses, culturelles, alimentaires dans une longue durée.
Comme l’annonce cet ouvrage dans son préambule, les animaux sont aujourd’hui devenus des objets d’histoire à part entière. Michel Pastoureau profite du cochon comme objet historique, pour nous offrir encore une fois un remarque ouvrage d’histoire transversale.
Déjà auteur de Bleu: histoire d’une couleur et d’une histoire de l’ours, il aborde dans cet ouvrage consacré au cochon, dans la fameuse collection Découverts de Gallimard, tour à tour l’histoire de cet animal de l’Antiquité à aujourd’hui dans les deux premiers chapitres, avant de se pencher sur sa fonction symbolique dans le troisième chapitre et sa proximité avec l’homme dans une dernière partie.

Chapitre 1: Du porc sauvage au cochon domestique

Le cochon ne descendrait pas ainsi directement du sanglier mais se serait différencié dès la préhistoire.
L’interdiction de consommation de la viande de porc commune à plusieurs religions se retrouve dès l’Antiquité chez les Egyptiens qui l’associent au malfaisant Seth mais aussi chez les Hébreux, les Indiens…
Quand à l’adage selon lequel dans le cochon tout est bon, il faut le faire remonter à Pline l’Ancien qui ne vante toutefois pas son intelligence.
Au moyen âge la viande porcine est la plus consommée tandis que les différentes parties de son corps servent à la confection des objets quotidiens.
Le porcher médiéval, gardien des troupeaux, voit la mauvaise réputation du cochon rejaillir sur lui, le plaçant aux marges de la communauté.

Le cochon divague dans les villes médiévales, se faisant éboueur ou même meurtrier, le fils de Louis VI le Gros succombant, en 1131, à ses blessures après avoir été renversé de cheval par un cochon.

Chapitre 2: De la forêt à la porcherie

Du XVI ème a XVIII ème l’élevage du cochon connait une grande période de régression au profit du mouton.
Si le cochon est un sujet à éviter pour les peintres modernes, certains traités s’intéressent à lui tel La cochonnerie de Vauban (1707) tandis que Buffon dans son Histoire naturelle dénigre fortement le caractère de cet animal.
Les charcutiers apparaissent en 1475 à Paris tandis que la « tue-cochon » rythme l’année dans les campagnes selon des rites qui n’ont pratiquement pas bougé de l’époque médiévale aux années 60. Cet abattage est suivie d’une « Saint-cochon » fête carnée et transgressive où l’on mange et chante des cochonneries. Michel Pastoureau n’hésite ainsi pas à parler d’une véritable civilisation du cochon.
Si l’élevage intensif du cochon ne commence qu’au XIXeme siecle avec les progrès accomplis dans l’élaboration de farines pour les animaux, la sélection d’espèces débute en Angleterre au XVIII ème siècle.
La France en retard importa la race des Large white qui domine aujourd’hui le cheptel européen.
Il faut attendre la fin de la Première guerre mondiale pour voir l’apparition de l’élevage en batterie et de ses nuisances.

Chapitre 3: Tabous religieux et symboles profanes

Le troisième chapitre s’intéresse à l’interdit de la consommation du porc dans la culture juive. Délaissant les explications hygiéniques (le porc se nourrit de charognes), totémiques (animal symbole), religieuses (animal des Cananéens), les raisons pratiques (manque d’eau, de forêts…), l’auteur préfère remettre en relation les espèces interdites qui n’entreraient pas dans les classifications animalières de l’époque.
Chez les musulmans l’interdit est plus symbolique qu’hygiénique également.
Dans la bible chrétienne le porc est également dévalorisé, devenant au besoin un avatar de Satan.

L’antijudaïsme médiéval reprend la figure du porc pour symboliser les juifs. Le porc sert également à symboliser les vices de la gourmandise à la luxure. Jérôme Bosch le met ainsi souvent en scène.
Le cochon connaît quelques représentations positives comme compagnon de Saint-Antoine.

Il est possible également que la couleur sombre du porc (le cochon rose n’apparaissant en Europe qu’au XVIII ème siècle) ait joué en sa défaveur.
Tous ces préjugés vont à l’encontre des faits scientifiques qui ont montré que le cochon était le plus intelligent des animaux de la ferme.

Quant au cochon comme attribut de la luxure il faut attendre la fin du Moyen-Age lorsqu’il supplante le chien dans ce rôle.
Mais comme l’explique Michel Pastoureau, pour bien fonctionner un système symbolique doit savoir s’atténuer ou s’inverser. Le sanglier représente ainsi les valeurs de force et de courage tandis que la truie symbolise la fécondité.
Les tirelires en forme de chacun rappellent de plus à chacun que cet animal est symbole de prospérité.

Chapitre 4: Le cousin de l’homme

L’idée de la métamorphose entre homme et cochon est présente dès l’Odyssée avec l’épisode de Circé et se prolonge jusqu’au fameux Truismes de Marie Darrieussecq.

Les cochons peuvent se substituer symboliquement aux humains comme dans la Ferme des animaux de George Orwell (1945) où les cochons, meneurs de la révolte, se transforment en oppresseurs.

Le lien entre enfants et petits cochons a donné naissance à l’archétype du gentil cochon (Porcelet, Naf-naf…). Michel Pastoureau dénote ce décalage entre la représentation réelle de l’animal et celle popularisée qui s’en est éloignée afin d’assumer une charge symbolique plus forte.

Le cochon se rapproche de l’homme comme animal de compagnie au XX eme siècle mais également comme accusé de procès comme ce fut le cas au XIIIeme ou XIV eme siècle ou des truies furent pendues ou écartelées.

Les médecins médiévaux avaient noté cette proximité, utilisant le corps du cochon pour la dissection, en lieu et place des êtres humains.
Le cochon est également l’animal qui contribue le plus à l’industrie pharmaceutique, à travers l’insuline par exemple. De même dans le domaine des xénogreffes, le cochon est l’animal le plus étudié.

Pour Michel Pastoureau c’est peut être dans cette proximité qu’il faut chercher les nombreux tabous et interdits la consommation de porc pouvant s’assimiler à du cannibalisme.

La diversité, l’originalité des illustrations alliées à un prix modéré qui ont fait de cette collection un indispensable, se retrouvent à nouveau dans cette ouvrage. On pourra citer au hasard parmi une multitude, le sanglier de la grotte d’Altamira en Espagne, les différentes variations picturales sur la tentation de Saint-Antoine, de la plus simple à la plus osée, ou les très extravagants tatouages de cochons du belge Wil Delvoye.

Le corpus de textes revient sur certains aspects culturels ou originaux comme les proverbes et fables porcins ou les affaires de procès de cochon ou du cochon régicide évoqué auparavant.

Dans la continuité de ses travaux, Michel Pastoureau livre une histoire érudite de cet animal, en s’intéressant particulièrement à l’aspect symbolique et celui des représentations dans les deux derniers chapitres, qui s’avérent particulièrement riches et réussis. La clarté de l’ouvrage et la variété des illustrations fait qu’il s’adresse à tous.
Pour l’enseignant certains passages pourront compléter tout à tour les programmes de 6ème sur la domestication des animaux ou la religion des Hébreux ou encore les calendriers médiévaux en 5 ème. On pourra aussi tout simplement piocher quelques anecdotes ou faits originaux afin de remettre l’animal dans une perspective historique.
En somme un livre « cochon » à mettre entre toutes les mains.

Fabien Vergez © Clionautes

CR par Fabien Vergez, professeur au collège Desaix à Tarbes, particulièrement intéressé par l’histoire des représentations et des mentalités à l’époque moderne.