Ce n’est pas la première fois que la guerre d’Algérie, ou le contexte qui l’accompagne, est mis en bandes dessinées. Sur le lien ci-dessous on peut trouver 18 albums qui se rattachent à cette période.
Toutefois, ce premier tome, « Derniers beaux jours » est assez différent. Le scénariste qui est assez familier des histoires assez complexes, on se souvient notamment de la série « secrets bancaires », ainsi que « les mystères de la république », s’est véritablement immergé la période. On y retrouve incontestablement, notamment pour la constitution du comité révolutionnaire d’unité d’action, à l’origine du front de libération national, quelques références au travail de Yves Courrière, et à son premier tome, les fils de la Toussaint.
On retrouve deux parties dans cet album qui est d’ailleurs assez conséquent, (76 pages) une série de trajectoires parallèles, avec des personnages emblématiques. Des enfants, fils de colons, et fils d’ouvriers agricoles musulmans que rien n’oppose véritablement, si ce n’est la marque de leur vélo. Leurs parents, fonctionnaires de l’État, colons, mais aussi ouvriers agricoles dépendants, vivent dans des univers différents qui se croisent parfois.
Une partie du scénario se déroule pendant la deuxième guerre mondiale, au moment où la division d’infanterie algérienne est engagée dans la reconquête de l’Italie, du sud de la France, avant de parvenir en Allemagne. Dans cet affrontement, il n’y a pas de différence, cela a été plusieurs fois souligné, entre les soldats qu’ils soient « indigènes » ou européens. On notera toutefois que le commandement, même au niveau des officiers subalternes, reste clairement européen.
On s’attachera également à la trajectoire de cet instituteur, veuf, venu s’installer en Algérie avec sa fille Fiona, qui fait rêver évidemment ses copains de classe. Il raconte, à sa manière, les événements de Sétif dans le Constantinois en 1945, et la perception que les colons, mais aussi, une partie de la population algérienne ont pu en avoir.
En filigrane, avant que ne s’organisent les attentats du 1er novembre 1954, le lecteur découvre quelques signes avant-coureurs. Comme le hold-up de la poste d’Oran en 1950, avec déjà, un certain Ahmed Ben Bella, ancien sous-officier de l’armée française. Au moment où les attentats commencent, en trouve assez vite les lignes de force de ce conflit. Une population indigène qui reste dans un premier temps dans l’expectative mais qui a bien compris que le statut de 1947, avec les deux collèges électoraux, relevés de ce que l’on appellerait aujourd’hui l’enfumage. Les autorités administratives locales, particulièrement réceptive à la pression des colons, truquent les élections, en toute impunité. Les grands noms de la colonisation sont d’ailleurs abordés, comme Borgeaud ou Schiaffani. Ici aussi on retrouve la référence de Yves Courrière. Les personnages attachant de Slimane, grand soldat, comme son père pour la première guerre mondiale, qui meurt de maladie à la prison de Barberousse, son petit frère Mohamed, brillant élève mais ouvrier dans un garage, sont en quelque sorte les fils conducteurs de ce premier volume.
Les actions du 1er novembre 1954 suscitent une répression brutale, même si l’on aborde de façon implicite l’idée que le président du conseil qui n’est autre que Pierre Mendès-France, pourrait envisager les réformes. On sait que celles-ci se heurteront au lobby colonial le 6 février 1955. Un an plus tard, jour pour jour c’est la journée des tomates, du 6 février 1956, qui conduira la gauche française à engager dans une guerre coloniale toute une génération de jeunes français.
Le dessin de Buscaglia s’appuie sur une recherche documentaire particulièrement soignée, la mise en couleur traduit bien ces paysages d’Afrique du Nord, écrasés de soleil, tandis que dans les intérieurs, on ressent cette fraîcheur savamment entretenue par tout un jeu de courants d’air comme seuls les méditerranéens savent le faire.
Le réalisme et la précision du dessin permettent de s’immerger dans l’histoire. Et si le tome deux est à la hauteur du premier, on pourrait sans doute disposer d’une remarquable « histoire des événements d’Algérie », car au-delà de la guerre, que l’on qualifie ainsi depuis seulement 20 ans, c’est tout le contexte de cette période qui s’éclaire. Et au final, même si les historiens connaissent la fin, on se met à espérer pour des personnages attachants, comme une sorte de happy end.
Quand on écrit ces lignes au moment où la jeunesse algérienne qui ne connaît pas vraiment sa propre histoire, en dehors du mythe entretenu par la propagande du parti unique, descend dans la rue pour crier son aspiration à une meilleure gouvernance, on se dit que peut-être cet ouvrage d’accès facile, mais que l’on peut quand même lire avec beaucoup d’attention, peut-être utile.
Dans le cadre des programmes actuels d’histoire, la colonisation et la décolonisation sont abordées en première, il est possible d’envisager de faire découvrir par ce biais la complexité d’une situation. Dans les programmes à venir la décolonisation devrait se retrouver dans le tronc commun, au niveau de la terminale. Cela n’est pas forcément négatif pour peut-être introduire sur un sujet qui suscite encore, notamment sur la rive nord de la Méditerranée, beaucoup de crispations, parfois instrumentalisées par les politiques, avec la nuance et la précision qui conviennent.