Un livre écrit par une politiste, une historienne et un sociologue sur les services publics en pleine campagne électorale, voilà un ouvrage qui pourrait et devrait alimenter largement le débat entre les candidats. Quelle est l’utilité des services publics ? Qu’est-ce qui fonctionne ? Comment améliorer le droit à la santé, à l’éducation, à la sécurité ? Comment faire en sorte que les plus âgés bénéficient d’une fin de vie digne ? Qui sont ces fonctionnaires si souvent caricaturés ? Est-il réellement possible d’en diminuer le nombre comme le proposent certains ? Et dans quels secteurs ? Il n’est pas sûr du tout cependant que les candidats s’en saisissent. Un ouvrage qui tombe bien néanmoins pour tous ceux qui veulent s’informer sur ces questions en dépassant les petites phrases et les clichés.
Un bon ouvrage sur une question essentielle
Le livre a pourtant trois défauts qui pourraient décourager le lecteur : une couverture de couleurs un peu criardes, un plan qui peut sembler parfois désordonné et près de 500 pages. Ce serait un tort cependant de ne pas prendre sur soi. Écrit d’une langue claire, l’ouvrage se lit avec plaisir et les lecteurs y enrichiront leurs connaissances. Les auteurs recourent à des changements d’échelles intéressants passant de situations locales aux logiques à l’œuvre, aux grands choix nationaux et à ceux à qui ils profitent. Ainsi, est comparée la régularité des trains depuis Paris vers Amiens avec ceux partant de la capitale vers la côte normande. On pourra lire aussi une analyse passionnante et sans manichéisme de la fermeture de la maternité du Blanc (Indre), des résistances qu’elle a suscitées, des acteurs qui se sont affrontés et en particulier de ceux qui ont décidé localement de l’imposer.
Un des grands intérêts de l’ouvrage est de présenter les différents acteurs des services publics : usagers (confrontés dans nombre de campagnes ou de banlieues au recul de la présence de l’Etat ou à la numérisation), agents (confrontés à la dégradation de leurs conditions de travail, à la précarisation, à des usagers parfois perdus, à des logiques de rentabilisation…) et managers qui imposent ces logiques et sont souvent obligés d’être serviles vis-à-vis de plus gros qu’eux ou afin de faire carrière. Le livre ne se contente pas de présenter des généralités mais part très souvent d’exemples concrets, de lieux précis, de situations individuelles, d’éclairages historiques…
Les auteurs ont organisé leur travail en quatre parties. Dans un premier temps : « Massacre à la modernisation », ils présentent comment le discours de la modernisation a servi à justifier les « dépeçages » dans l’hôpital, les maisons de retraite (le livre est paru avant l’affaire ORPEA), l’Education nationale… Et ce, toujours en partant d’exemples concrets et précis. La deuxième partie « La noblesse managériale publique-privée » étudient ceux qui décident, qui imposent cette logique et ces transformations. Pour les auteurs ces décideurs une nouvelle noblesse managériale publique-privée et non plus une noblesse d’État car ces managers ne sont plus au service de l’Etat mais passent indifféremment du public au privé et privilégient souvent leurs intérêts financiers.
Le chapitre sous-titré les « La fabrique des dociles ambitieux » est intéressant car il évoque une « qualité » que ceux-ci tendent à oublier et analyse le vocabulaire de ceux qui brainstorment tant. La troisième partie « Les services publics l’ont-ils bien cherché ? » rappelle quelques évidences. Ces services publics sont utiles à tous, personnes privées mais aussi entreprises qui en bénéficient tant. Sont ainsi présentés la distribution d’eau, l’émergence de l’inspection du travail, les transports en commun… C’est dans cette partie qu’est abordé ce qui déplaît tant à certains : la question du statut des fonctionnaires (condition de leur indépendance) dont l’histoire est rappelée, la question de leur nombre (ils seraient trop nombreux et fainéants depuis le 19ème siècle)…
La quatrième partie, « À qui profite le crime ? Services publics et égalités » pose les questions de l’égalité entre les territoires en métropole mais aussi en dehors de celle-ci ; entre les personnes. Les auteurs y affirment qu’une « troisième classe » apparaît dans les services publics avec des services de moins bonne qualité pour ceux qui ont des revenus moindres. Enfin, ils rappellent qu’un monde sans services publics serait un monde au profit des privilégiés qui de toute façon pourraient recourir à la domesticité.
Voilà un ouvrage qui pourrait alimenter les débats sur l’avenir de la France. Il n’est pas sûr que ceux qui visent à la gouverner s’en inspirent. À défaut, les professeurs d’histoire-géographie et d’éducation morale et civique pourront y recourir pour enrichir la réflexion de leurs élèves.