Ancien membre de l’École française de Rome, membre de l’Institut d’études étrusques et italiques de Florence, Jean-Paul Thuillier a été professeur à l’université de Grenoble et a longtemps dirigé le département des Sciences de l’Antiquité à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Archéologue, latiniste et historien, il a écrit plusieurs ouvrages sur la civilisation étrusque et l’histoire du sport antique.

L’ouvrage réalisé par cet auteur brosse les différentes formes de jeux dans la Rome antique. On se remémore aisément les mots du poète Juvénal (vers 47 ap J.-C. – 128 ap J.-C.) Panem et circenses ! Autrement dit, du pain et des jeux ! Pourtant, on se trompe sur le sens de l’expression, les jeux du cirque. Les spectacles rendus étaient essentiellement sportifs et se déroulait dans le Circus maximus de Rome. On pouvait assister, comme spectateurs, à des courses hippiques, des joutes nautiques, des compétitions athlétiques. Autre rappel historique souligné par nos deux auteurs, les jeux antiques sont souvent identifiés à la Grèce, en raison, notamment, du site d’Olympie et du renouveau des jeux olympiques en 1896. C’est l’événement qui rassemblait le plus de monde pendant la période classique. Ils furent abolis sous Théodose (IVe siècle après J.-C) qui y voyait une manifestation de paganisme. Or, nous avons tendance à oublier que ce furent les Étrusques et non les Grecs qui apportèrent le plus aux Romains en ce domaine. Cet ouvrage rectifie cet oubli et démontre avec force l’apport incontestable du peuple étrusque, notamment lors des cérémonies funèbres. La noblesse étrusque offrant alors, à la fin de la cérémonie funèbre, des jeux de gladiateurs à destination de l’entourage proche du défunt mais aussi du peuple.

Les jeux du cirque sont un moment essentiel dans la société romaine. Les courses de chars, qui, par bien des côtés évoquent notre football contemporain, sont d’une modernité incroyable : on vient de tout l’Empire romain pour voir ses vedettes préférées. La foule scande des slogans pour soutenir ses sportifs préférés. Le Circus maximus, ou Grand Cirque, pouvant contenir jusqu’à 150.000 spectateurs, soit le double de notre Stade de France actuel ! On trouvait des cirques dans toutes les grandes mégalopoles de l’Empire comme Rome, Lyon ou Carthage. Mais aussi dans des villes comme Tarragone, Mérida, Vienne ou Arles. Tous les ressorts du sport professionnel contemporain existaient déjà. Il y avait des clubs que l’on appelait des factions. Ils sont l’équivalent de nos grands clubs professionnels de football. Il y en avait quatre à Rome et se distinguaient par leur couleur : les bleus, les rouges, les blancs, les verts. Très structurées, elles possédaient un personnel considérable : cavaliers, cochers, entraîneurs, médecins, vétérinaires, bourreliers, comptables. Les factions manipulaient des sommes d’argent énormes, ce que les intellectuels de l’époque comme Martial (40 ap J.-C. – 104 ap J.-C.) ou Juvénal dénonçaient. Ces équipes avaient chacune leur club de supporters. Les cochers avaient une carrière très élaborée. Ils débutaient dans des courses jugées inférieures avant d’accéder à l’élite. Ils commençaient par des chars attelés à deux chevaux (des biges), avant d’accéder, pour les meilleurs d’entre eux, aux courses de quadriges, des chars attelés à quatre chevaux. Et contrairement aux Grecs, les Romains ne connurent pas de courses montées par un seul cavalier. Véritable vedette, les cochers de quadrige attiraient toute l’attention des spectateurs, y compris, et surtout, des femmes de la noblesse romaine. Ces sportifs de hauts niveaux touchaient des gains faramineux, faisaient l’objet de tractations financières et étaient, parfois, transférés d’un club à l’autre.

Ce déploiement de festivités débuté sous la République romaine (509 av J.-C. – 27 av J.-C.) où les magistrats offraient des jeux somptueux et coûteux aux Romains afin de séduire les citoyens et de poursuivre le plus loin possible leur carrière. Il s’agissait d’évergétisme. Ils dilapidaient alors leur fortune mais la reconstituant ensuite sur le dos des provinciaux.

Quant à la place des femmes et à la différence de la Grèce, elles sont présentes dans le cirque, comme spectatrices, auprès des hommes. Le poète Ovide (43 av J.-C. – 17 ou 18 ap J.-C.) disait d’ailleurs du cirque qu’il était un lieu privilégié pour faire des rencontres.

Les Romains étaient aussi de grands sportifs, contrairement à l’image de sérieux qu’ils ont cherché à nous confirme Jean-Paul Thuillier. Ils jouaient beaucoup, notamment aux jeux de balle, même si les sports collectifs de ballon n’avaient pas, à cette époque, l’importance qu’ils ont aujourd’hui.

Ils avaient également une prédilection pour la natation, dans le Tibre ou dans les piscines des thermes : d’ailleurs, César était, selon l’historien Suétone, un nageur émérite. Enfin, tout cet accomplissement sportif n’était pas neutre. Il devait renforcer les corps et les esprits. En ce sens, les soldats romains n’auraient pas remporté toutes ces victoires s’ils n’avaient pas pratiqué, au départ, un entraînement physique poussé et s’ils ne s’étaient pas adonnés à certains sports de combat (pugilat, course, lutte, équitation) de façon intensive.

Qu’y a-t-il de nouveau aujourd’hui au XXIe siècle ? Jean-Paul Thuillier, spécialiste du sport antique, explique dans cet ouvrage qui se lit aisément que tous les ingrédients étaient déjà présents sous l’Empire romain : l’argent, les stars, les produits dérivés et les spectateurs par dizaines de milliers. Pour le plaisir des jeux, mais aussi pour le culte de l’Empereur et de l’Empire.

 

Bertrand Lamon

Pour les Clionautes