La biographie d’un notable provincial sous la Monarchie de Juillet.
compte rendu rédigé par Alain Ruggiero, maître de conférences à l’Université de Nice-Sophia-Antipolis/CMMC
Après s’être intéressé à Alexis Godillot, certes fournisseur aux armées (entre autres) mais également aménageur d’Hyères dans les années 1870, Alain Cointat s’intéresse à un autre personnage lié à la ville d’Hyères, celui qui fut maire pendant la Monarchie de Juillet. L’auteur a été premier adjoint de la cité Varoise.
La biographie qu’il propose est celle d’un homme né au moment le plus difficile de la Révolution (1794). Il a, au début de sa vie le parcours des jeunes gens de la génération romantique. Après une scolarité secondaire et une formation d’officier, il participe aux derniers combats de l’Empire

Issu d’une famille peu fortunée de la bourgeoisie lettrée liée à l’administration (son père est interprète au Ministère des Relations Extérieures et membre de sociétés savantes), le jeune Alphonse Denis, après la gloire des dernières batailles fait partie des demi-soldes sous la Restauration. En disponibilité en 1817, il écrit des pièces de théâtre qui ne sont pas acceptées et après un retour à l’armée en 1818, il finit par obtenir un congé illimité en 1821. Une riche amie de la famille le prend alors sous sa protection et par des travaux d’écriture et de traduction il est mêlé au monde intellectuel libéral. Après un nouvel échec dans le monde du théâtre, Denis s’éloigne de la capitale et sa protectrice lui fait découvrir Hyères , commune sur le territoire de laquelle elle achète plusieurs propriétés.

Mariage, remariage et ascension sociale

Il va y mener une vie d’intellectuel et d’artiste, peignant et dessinant, continuant à traduire différents ouvrages pour les libraires parisiens et commençant à écrire dans plusieurs journaux locaux ; il s’intéresse également à la botanique. Son ascension sociale est due à la fois à ses fréquentations libérales, qui provoquent sa nomination à 36 ans comme maire par Louis-Philippe dès août 1830 et au patrimoine qui est apporté par sa protectrice (qui l’a couché sur son testament malgré leur séparation) puis par sa première et sa deuxième femme. Il épouse en effet en 1833 la riche nièce du tailleur de la Cour d’Angleterre et les conditions avantageuses du contrat de mariage lui procurent une importante rente ; de plus le couple améliore les propriétés qu’il possède et loue des villas aux hivernants, exploite un manège, propriété de Mme Denis ou le théâtre que Denis a fait construire.

Après le décès de son épouse, il se remarie avec une riche rentière anglaise et Alain Cointat note que « ses deux mariages lui ont permis d’augmenter considérablement son patrimoine » et bien entendu son revenu. Alphonse Denis est donc parfaitement représentatif de l’ascension sociale dans la bourgeoisie grâce aux dots des épouses.
Allant de pair avec son enrichissement personnel, sa désignation comme maire en fait dès le début de la monarchie de Juillet un notable, là encore très représentatif de son époque, se servant de ses relations parisiennes pour mieux assurer sa position locale et assumant la trilogie de fonctions habituelles qui placent un homme politique , maire, conseiller général et député à partir de 1837 jusqu’en 1846 où il est battu aux élections. Il se retire également de la mairie après la Révolution de 1848. Sa profession déclarée reste « loueurs de garnis » ce qui est à la fois une utilisation lucrative de son enrichissement foncier progressif et le signe de l’importance de cette activité dans un lieu de résidence des hivernants.

Le livre se termine, avant un bref épilogue, par un court chapitre sur la personnalité de ce « bourgeois distingué réclamant constamment à sa famille et à ses amis des services », tout comme il en rend d’ailleurs lui aussi. En somme, intellectuel au début du Romantisme, homme politique juillettiste et propriétaire avisé, cette personnalité complexe est bien caractéristique de son époque.

On peut regretter qu’à propos d’un tel personnage une biographie ne mette pas davantage en perspective l’époque, ne fasse pas davantage ressortir en quoi il est conforme aux notables des années 1830-1848, en quoi il est original.
L’historien peut regretter l’importance des digressions (par exemple à propos de Georges Stulz) et le manque de références précises des documents utilisés en notes de bas de page car manifestement les recherches d’Alain Cointat ont été nombreuses et variées (sources et bibliographie le montrent) mais le lecteur peut apprécier la qualité d’écriture qui fait de cette courte biographie un livre plaisant. Les annexes comprennent outre la bibliographie l’arbre généalogique de la famille Denis et la liste de ses écrits ainsi qu’un cahier d’illustrations, reproductions de documents, de gravures de lieux et de dessins d’Alphonse Denis.

Alain Ruggiero © Clionautes