Dans ce dernier numéro de la revue VINGTIÈME SIECLE, un article de notre collègue Dominique Chathuant qui vient en échos d’une question d’actualité: la place des minorités dans la vie politique française.

Le dossier de ce numéro est consacré aux rapports entre publicité et propagande politique en Allemagne et en Italie entre les deux guerres. Une revue solide, comme à chaque livraison, qui nous propose en outre: un point sur la Chine de Mao, la politique mémorielle de l’Australie, la Croix Rouge française et la seconde guerre mondiale, une réflexion sur Mai 68 et un bilan de l’histoire culturelle.

L’émergence d’une élite politique noire dans la France du premier 20e siècle?

Depuis quelques temps, phénomène rendu plus médiatique encore avec l’élection d’Obama aux USA, le problème de la représentation des minorités est posé en France. Dominique Chathuant, dans son article replace cette question dans l’histoire. Les citoyens élus noirs et métis sont présents dès l’An II de la République avec par exemple Jean Baptiste Bellay ou Victor Mazuline en 1848. Sous la troisième république la présence d’hommes issus des colonies s’affirme avec des parlementaires de stature nationale et des participations dans divers gouvernements. Pour notre collègue réduire leur action et leur place dans les débats à leur caractère noir serait une erreur. Démonstration faite à partir de quelques personnalités antillaises comme Gaston Gerville-Réache, Gratien Candace ou Blaise Diagne originaire de l’A.O.F. La carrière politique de Gratien Candace est présentée dans sa richesse et sa complexité: lutte pour les droits de l’homme en particulier au lendemain de la victoire de 1918 dans les incidents avec des soldats américains et revendication de l’appartenance à la nation française, tentative de création d’un mouvement panafricain. L’auteur montre aussi quel fut le regard du monde politique: du regard colonial à la reconnaissance de la compétence.

Dossier : Publicité et propagande

Le dossier de ce numéro est consacré aux rapports entre Publicité commerciale et propagande politique dans la première moitié du XX ème siècle. Dans leur présentation du dossier Irène Di Morio et Véronique Pouillard précisent les enjeux de ce thème. Dès le XIX ème siècle des théoriciens ont montré la parenté entre la défense d’une cause politique et la promotion d’un produit pourtant les historiens ont souvent travaillé ces questions de façon distincte, aujourd’hui où on parle de “consommation citoyenne” le moment est sans doute favorable à un rapprochement de ces deux branches, c’est l’objet de quatre articles.

Corey Ross analyse comment dans l’Allemagne de Weimar, le sentiment que l’échec de la guerre est lié à un déficit de communication amène d’une part à une professionnalisation et une interaction entre promotion commerciale indispensable pour la relance économique et propagande politique. S’inspirant des méthodes anglo-saxonnes, les publicistes allemands incarnent un “modernisme” et développent des techniques d’étude de marché et rejoignent les théories mises en oeuvre dans l’entourage d’Hitler.

Cette proximité, voire cette association entre publicité et propagande est étudiée dans l’œuvre du graphiste allemand Herbert Bayer par Jörg Meibner. Dans quelle mesure y -t-il eu acceptation ou intégration des contraintes des commandes politiques dans les affiches produites par Bayer jusqu’à son départ pour les États Unis en 1938. L’analyse détaillée d’une publicité de 1935 pour une émulsion anti-froid me semble un exemple très parlant, tout à fait utilisable en classe de première.

Waltrand Sennebogen compare la situation dans l’Allemagne nationale socialiste et l’Italie fasciste: comment les états ont utilisé à des fins de propagande des publicités touristiques et comment ils ont pris le contrôle de l’industrie publicitaire?

Simona De Lulio et Carlo Vinti partent du modèle italien dominé par les artistes et montrent l’influence grandissante de 1948 à 1960 des techniciens du marketing et l’influence du modèle américain au sein des entreprises italiennes. Alors que la publicité était une affaire interne des entreprises, ce sont des cabinets conseils extérieurs qui “prennent” le marché de la publicité sur le modèle américain dans les médias et les affichages. La “tradition” d’une école italienne plus artistique se maintient toutefois à la télévision.

La Chine de Mao.

Trois articles de ce numéro sont consacrés à La Chine de Mao.

Lucien Bianco développe sa thèse sur les différences et similitudes entre stalinisme et maoïsme. Pour lui le bilan de 20 années de maoïsme tient surtout au fait d’avoir choisi de suivre le modèle soviétique: priorité à l’industrie lourde et collectivisation des moyens de production. Il moins sévère pour Mao que pour Staline en particulier quand il évoque le “Grand bond en avant” et de la révolution culturelle. Les deux dictatures découlent du “système” mis en place: une planification volontariste, sourde aux obstacles, martelée par des slogans et manipulation des statistiques qui entraîne le culte de la personnalité et la répression.

Alain Roux s’interroge: Comment écrire une histoire de Mao? Quelle place accordée aux documents biographiques? C’est l’occasion une très intéressant bilan historiographique. Après une présentation de l’histoire officielle chinoise et des 2 ouvrages importants: Les Habits neufs du président Mao de Simon Leys publié en 1971 et le Dictionnaire biographique du monde ouvrier chinois de Lucien Bianco, publié en 1985, les années 90 ont été marquées par une nouvelle génération de biographies écrites par des auteurs très divers chinois ou occidentaux. Un long paragraphe est consacré au très controversé: Mao une histoire inconnue de Jung Chang et Jon Halliday, entre histoire et commérages.

Thi Minh-Hoang Ngo montre que l’histoire de la révolution chinoise devrait connaître un certain renouvellement grâce à l’ouverture des archives, il traite de l’édification de parti-état chinois entre 1937 et 1949. Une nouvelle approche des rôles respectifs des masses paysannes chères à Mao Zedong et des élites locales dont le rôle fut longtemps occulté. La révolution fut sans doute d’abord une révolution nationaliste: les milices locales en lutte face aux troupes japonaises ont ensuite été intégrées au parti état.

les autres articles

Ce numéro propose aussi un article sur l’ “invention” d’une tradition à travers l’analyse de la construction commémorative par les autorités australiennes l’un épisode de la première guerre mondiale: le débarquement de Gallipoli en avril 1915. C’est un paradoxe que le choix de cet événement lointain comme symbole fondateur de la nation australienne. Voilà une intéressante réflexion sur les usages de la mémoire et des commémorations pour fonder un sentiment national.

Jean pierre Le Crom présente une analyse du rôle et de l’action de la Croix rouge française pendant le seconde guerre mondiale entre contrôle par Vichy, soutien encombrant des autorités allemandes et frilosité face à la question juive, un bilan médiocre assez loin de l’histoire officielle du mouvement. L’auteur précise qu’il est sans doute souhaitable de distinguer cadres nationaux et réalités de terrain, il montre pourtant que l’action des comités français a été moins efficace que d’autres en Europe.

Xavier Vigna et Michelle Zancarini-Fournel, après de nombreuses autres évocations en cette période anniversaire, nous livrent leurs réflexions sur les rencontres improbables dans les “années 68″. L’intérêt de l’article repose sur le rappel d’une tradition de rencontres entre intellectuels et ouvriers depuis le XIX ème siècle et la nécessité de resituer “mai 68″ dans un temps plus long. Après la présentation des quelques moments forts les auteurs montrent d’autres rencontres souvent oubliées: cadres-ouvriers, ouvriers-paysans et en tracent les limites dans l’espace et dans le temps.

Enfin François Chaubet dresse un bilan historiographique de l’histoire intellectuelle. Depuis une vingtaine d’année de nombreux travaux ont porté plus sur histoire des intellectuels, ce champ de recherche est désormais au carrefour de deux influences: études sociologiques et études littéraires. Michel Foucault par sa critique de l’histoire des idées qui ne posait pas la question des conditions de production et de diffusion des œuvres a lancé de nouvelles pistes. Tout un courant s’est développé de micro histoire sociale autour de Christophe Charle, influencé par Pierre Bourdieu, travaux sur les espaces de sociabilité intellectuelle. L’influence du “linguistic turn” a conduit vers une histoire de la communication littéraire et des pouvoirs du langage. Aujourd’hui l’histoire culturelle est au carrefour de disciplines voisines: histoire littéraire, sociologie, histoire conceptuelle du politique.

Christiane Peyronnard © Clionautes