L’auteur nous propose une compilation organisée de notes et de documents autour du thème du lait: production, commercialisation, hygiène et consommation du XVIIe au XXe siècle et principalement autour de Paris.
La naissance d’une filière
Après un tour d’horizon sur les traces des premières consommations de lait en France, le XVII ème siècle semble bien être le siècle d’une consommation sinon générale du moins plus visible. De cette augmentation de la consommation de lait en ville naissent les ceintures laitières au cours du XIXe siècle qui complètent avant de remplacer les fermes urbaines, les photographies présentées rappellent des situations de traites en pleine rue comme à Montpellier en 1910 (page 20). C’est aussi l’occasion de rappeler que lait n’est pas synonyme de vache mais que chèvres et ânesses furent longtemps nombreuses et tout particulièrement recherchées pour l’alimentation des nourrissons comme le montrent les textes médicaux cités.
Après une distribution artisanale au porte à porte le commerce s’organise entre une demande croissante et une production de moins en moins proche, c ‘est l’apparition de la “crémerie”décrite au milieu du XIXe siècle et les questions récurrentes sur le coupage à l’eau et autres fraudes, récriminations permanentes des consommateurs jusqu’à la véritable industrialisation de la filière commerciale liée à l’extension de la zone de collecte de 75 km de Paris à la fin du XIXe à 250 km en 1950. Très vite une réalité est incontestable: l’écart croissant entre prix payé au producteur et prix de vente au détail.
L’auteur décrit les pratiques de ces entreprises, grossistes en lait comme Maggi pour écouler les invendus: transformation en beurre et fromage mais aussi engraissement des porcs puis transformation en matière première industrielle grâce au procédé de séparation de la caséine. On voit aussi les pratiques d’ententes et de fraudes et l’interrogation sur les questions d’hygiène.
Avec l’histoire du lait au XXe siècle, ce livre présente le mouvement coopératif qui se développe dans l’Ouest au lendemain de la crise du phylloxera puis dans l’Est: Lyonnais et vallée du Doubs, et s’il entre en conflit avec les grossistes, il trouve un écho favorable chez les petits crémiers comme dans les deux exemples de la Brie et du Gâtinais. C’est l’époque de la naissance d ‘une véritable profession avec les écoles de laiterie visant à une amélioration de la qualité. Après la guerre de 14/18, quand les grandes plaines se spécialisent dans la culture céréalière, la production laitière devient l’affaire de la petite exploitation de polyculture élevage qui doit faire face à des prix souvent bas, des crises de surproduction et les débuts d’une politique d’organisation des marchés (comité du lait-1935) et de réglementation (étables indemne de tuberculose-1935, pasteurisation obligatoire-1938).
Depuis la seconde guerre mondiale on est entré dans la production de masse, en quelques chiffres: en 1949 le chiffre d’affaire de l’industrie laitière est de 250 milliards de Francs pour 2 500 000 exploitations agricoles productrices, 8000 laiteries modernes et 175 000 commerces de distribution. Les efforts ont surtout porté sur la qualité en matière d’hygiène (obligation de l’embouteillage pour la vente dans les agglomérations de plus de 20 000h en 1950) et sur la gestion des surplus (verre de lait dans les écoles instauré par Mendès France en 1954). Avec le traité de Rome la gestion devient européenne, c’est l’occasion d’évoquer: les difficultés de paysans bretons en 1961, la politique d’Edgard Pisani et le plan Mansholt mais aussi la “révolution” du lait UHT et ses conséquences sur la commercialisation au moment même du développement des super-marchés. Cette partie riche en information reste cependant plus une description qu’une véritable analyse.
Le plan chronologique est ensuite abandonné pour des ensembles thématiques qui amènent à quelques répétitions.
Les “laitiers-nourriceurs”
C’est une visite des lieux de productions à la suite d’auteurs littéraires comme cette description empruntée à Balzac, dans son roman “Le Colonel Chabert” ou au travers des textes réglementaires, visite qui rappelle la saleté dominante de ces fermes urbaines (intéressante carte de Paris en 1893) qui trouvent leur main d’oeuvre dans l’exode rural breton ou auvergnat.
Etat du cheptel, évolution des races utilisées: hollandaises et suisses ont un beau succès et des considérations très techniques sur l’alimentation, l’entretien des animaux et le sort des veaux et vaches de réforme.
Le mythe du lait pur.
On ne sera pas surpris que, avec les conditions de production et de commercialisation du XIXe siècle, le lait propre soit une denrée rare; cela débouche sur les vertus controversées du lait cru et du lait cuit.
L’auteur développe la question de l’épizootie de tuberculose, maladie longtemps mal connue, mal diagnostiquée tant par les vétérinaires pour la forme animale que par les médecins. Paradoxalement le lait qui était considéré comme indispensable aux malades a été aussi vecteur de la maladie. La lutte contre la tuberculose bovine ne commence que vers 1880 et s’impose dans les années 30 avec les décrets sur les étables indemnes de la maladie. Le chapitre est complété par quelques données sur les autres maladies: brucellose, fièvre aphteuse, fièvre Q etc.. et une interrogation sur les risques de contamination chimique: de l’interdiction du cuivre pour les récipients contenant du lait dès 1777 à la dioxine d’aujourd’hui.
Les fraudes sont à nouveau décrites, les extraits de presse mais aussi les rapports de l’administration et les sources judiciaires cités laissent rêveurs sur ce que l’on pouvait trouver sous l’appellation lait. C’est l’occasion de préciser l’évolution de la réglementation et la force des lobbies.
L’alimentation des enfants
Lait maternel ou biberon, voilà une question qui refait surface à intervalle régulier et qui est ici replacé dans le temps: des solutions proposées en 1752 pour palier le manque de lait des mères en période de disette à l’alimentation des enfants abandonnés. La stérilisation des biberons qui fut un grand progrès et les œuvres sociales et philanthropiques sont présentées ici ainsi que les premières farines lactées de Liébig.
A partir des statistiques on perçoit nettement les gains de productivité obtenus par la sélection et l’amélioration des races ainsi que par une meilleure connaissance des besoins alimentaires des bovins et une amélioration des fourrages.
Le “contrôle laitier” a été au XXe siècle l’outil de contrôle de la production: amélioration de l’état sanitaire du troupeau, de l’hygiène de la traite mais aussi des conditions de collecte (du bidon étamé à la citerne réfrigérée, de la carriole au camion et même au train de lait). Depuis 1969 une incitation financière a fortement contribué à cette évolution: le litre de lait est payé au producteur en fonction de sa teneur en matière grasse et de sa qualité bactériologique.
L’auteur aborde également les effets néfastes de cette course à la productivité: appauvrissement génétique par la standardisation, l’insémination artificielle et l’abandon de nombreuses races locales.
Il décrit les diverses techniques de conservation: appertisation, révolution pasteurienne, stérilisation et les nouvelles formes de mise à disposition du consommateur: lait condensé, en poudre, maternisé, en bouteille, en bidon en brik: le lait sous toutes ses formes ou presque.
Le livre se termine sur la présentation de quelques établissements modèles comme la ferme impériale de Vincennes en 1860 ou la société laitière Maggi.
Une masse d’informations et de documents, une plongée dans un univers peu connu du citadin.
Christiane Peyronnard © Clionautes