Ce livre collectif adopte «une forme originale, à mi-chemin du journalisme d’investigation et de l’enquête historienne ». Comme le dit très bien André Loez dans sa critique de l’ouvrage, celui ci « ne réunit pas seulement des historiens, mais aussi des journalistes et des chercheurs d’autres disciplines, c’est bien la méthode historique qui lui sert de fil directeur, et de garde-fou.

Un tel projet, qui n’hésite pas à inclure des faits très contemporains, non encore tranchés par la justice, comporte en effet une part de risque et d’incertitude ». Les auteurs, plus d’une trentaine, disent d’ailleurs que leur livre ne cherche pas à faire sensation.

Mensonges d’Etat : de quoi parle-t-on ?

En introduction, les auteurs pointent quatre types de mensonges d’Etat qui ont tous l’intentionnalité en partage. Le mensonge se conçoit en ennemi de la sincérité, de la publicité, en cachant des informations, de la connaissance ou de la conscience collective. Les entrées sont très nombreuses et comportent une rapide bibliographie pour aller plus loin.

Les mensonges des présidents

La santé des présidents est un des sujets qui a donné le plus lieu à des mensonges. L’exemple de François Mitterrand en est un exemple parmi d’autres. Il y a aussi les enfants cachés et les divorces renégociés pour offrir l’image du bon mari. D’autres affaires sont passées en revue comme l’affaire des diamants de Bokassa ou celle des avions renifleurs.

Les menteurs du président

Derrière ce titre se cachent notamment tous les communicants. Par ailleurs, maitriser les ressorts de la peopolisation devient un élément incontournable du savoir-faire des spin doctors. La communication des archives, et notamment celles des Armées, donne lieu à des tour de passe-passe pour les dissimuler aux chercheurs le plus longtemps possible.

Petits et grands mensonges du pouvoir gaulliste

Pierre Abramovici retrace en détails la tentative de putsch contre De Gaulle en 1961. Moins connue sans doute, l’affaire Lenormand et Pouvana’a avec la volonté du pouvoir gaulliste d’écarter ses élus ultramarins accusés d’aller vers la sécession. Au nom du maintien d’une tutelle héritée de la période coloniale, les pouvoirs publics de l’époque se sont attachés à saper les revendications autonomistes voire indépendantistes en écartant des élus de la République.

Les mensonges d’Etat de la guerre d’Algérie

La non-reconnaissance d’une guerre a de nombreuses conséquences juridiques. Ainsi, pas besoin de respecter les conventions de Genève qui ne s’appliquent qu’en temps de guerre. La première action de propagande, la plus longue et la plus déterminée, consiste à expliquer au peuple français qu’il n’y a pas de guerre. Un article revient sur l’usage des armes chimiques en Algérie ou encore sur les massacres du 17 octobre 1961. Le lecteur découvrira aussi peut-être l’affaire Saint-Aubin ou ce qu’il ne fallait pas dire sur le déraillement du Strasbourg-Paris en juin 1961.

La « Grande Muette » et ses vérités

« La guerre froide par la structuration bipolaire du monde… a longtemps bénéficié à la France sur le plan commercial… La France avait tout intérêt à favoriser l’exportation de ses armes afin de développer une industrie de défense susceptible de garantir son indépendance stratégique, chère au général de Gaulle ». De façon plus ciblée, Max Clanet revient sur une mystérieuse explosion près du port de Toulon en 1989. Aujourd’hui, la chape de plomb qui entoure ce fait n’est toujours pas fissurée.

Nucléaire : le secret et le mensonge

Les Polynésiens ont appris par les rumeurs et la presse que leur territoire était prévu pour succéder au Sahara algérien pour les essais. L’histoire du nucléaire est une histoire qui se joue depuis le début au sein d’un cercle étroit d’industriels et de hauts fonctionnaires issus des mêmes écoles. Un article reprend en détails le dossier des essais nucléaires français en Algérie de 1960 à 1966 et un autre celui de la Polynésie. Dans les deux cas, la protection des populations locales a fait défaut.

Le terrorisme et l’islamisme

L’affaire Eurodif entre la France et l’Iran est abordée. La France a cédé et a  remboursé à l’Iran pour mettre fin aux attentats sur son sol et récupérer ses otages.  Une autre entrée généralise cette question du paiement des rançons d’otages où on s’aperçoit que les Français sont une des nationalités les plus « côtées » dans la « bourse aux otages ». Jenny Raflik s’intéresse à l’affaire Merah pour montrer l’obstination entêtée du directeur de la DCRI pour affirmer qu’il s’agissait d’un « loup solitaire ».

Lâchetés administratives

Quelle est la vérité des chiffres dans l’Education nationale concernant les atteintes à la laïcité ? La quantification est aujourd’hui au coeur des politiques publiques et les conflits scolaires liés à la laïcité disposent aujourd’hui d’une importante couverture médiatique. Avec le cas de Claude Allègre est pointé le bidonnage des chiffres quand il affirma, à l’inverse de toutes les données dont il disposait, que les enseignants étaient davantage absents que les autres travailleurs. Le chapitre revient ensuite sur les mensonges diplomatiques qui consistent à mentir pour protéger un autre Etat. Le marocain Ben Barka ou la Sud-Africaine Dulcie September sont les exemples les plus célèbres mais la liste de ces morts est longue d’une centaine de noms.

La santé publique

« Si les circonstances propres à chaque défaillance sanitaire ou environnementales conduisent à relativiser le rôle des pouvoirs publics, elles ne doivent cependant pas occulter certains éléments récurrents ». Il y a de nombreux liens entre industriels et pouvoirs publics et ceux-ci se révèlent parfois problématiques. Avec l’amiante, on constate que des données scientifiques claires existaient longtemps avant l’interdiction. Avec les boues rouges, on est dans le domaine de l’invisibilisation d’un problème sanitaire. Le cas du tabac est particulièrement développé et distingue une chronologie précise des rapports troubles entre une industrie et un discours des autorités. Plus récemment, on trouve la question des algues vertes mortelles. Dans un autre style, mais avec des conséquences mesurables tous les jours, un texte de Paul-Arthur Tortosa sur le numerus clausus dans les études médicales. Il y a évidemment aussi un texte sur la question de la gestion des masques en lien avec la pandémie de 2020. «  L’affaire dévoile un Etat qui s’est cru agile alors qu’il était démuni ».

De «  Max le menteur » aux bidouillages des chiffres : la police, une école du maquillage ?

Affaire des Irlandais de Vincennes sous Mitterrand, de Tarnac sous Jacques Chirac  ou fiasco de la finale de la Ligue des Champions en 2022, les exemples ne manquent pas. Mais, au-delà de ces cas médiatiques, se pose la question du grand maquillage des statistiques de la délinquance. Il est facile de faire augmenter ou régresser ces chiffres. Avec moins de commissariats, on recueille moins de plaintes. Un délit peut passer dans la case contravention.

Justice, banque et finance

« Le verrouillage propre à la période gaulliste s’est poursuivi sous d’autres formes » ensuite. Frédéric Ploquin s’intéresse au décès d’Adama Traoré et en fait un cas d’école. Le livre se penche aussi sur l’affaire du Crédit lyonnais ou celle de Karachi sans oublier Clearstream ou Cahuzac.

Pour conclure …

« Qui lira ce livre de bout en bout éprouvera peut-être une sensation proche du vertige ». Tel est bien en effet le sentiment du lecteur au terme de ces plus de 500 pages. Cependant, il faut prendre le temps de lire en détails la conclusion. Le mensonge affaiblit les démocraties mais les auteurs refusent de sombrer dans une dénonciation populiste. Le mensonge ne se justifie pas et ne paie pas. Ces mensonges ont des conséquences comme la recherche de solutions simples, autoritaires. » Il n’est point de secret que le temps ne révèle » disait Racine dans « Britannicus ». La solution ne vient pas que du personnel politique. Il faut un public lui-même plus exigeant.