Dans cet essai, Eddy Chevalier répond à la question Amérique, pourquoi refuses-tu d’être noire? à travers l’étude des mythes fondateurs des Etats-Unis, ainsi que d’oeuvres littéraires et cinématographiques emblématiques et l’analyse des inégalités dans la société actuelle.
En avant-propos, Eddy ChevalierDocteur en civilisation américaine et agrégé d’anglais, Eddy Chevalier est aussi l’auteur de Shakespeare à la plage justifie son projet d’écrire sur l’Amérique noire, en tant que français et blanc, quitte à être “cancelled”, ostracisé, à l’instar de l’auteure américaine Jeanine Cummins lors de la parution d’American Dirt.
Complexe pour les lycéens, des passages peuvent être utilisés pour illustrer les cours sur les Etats-Unis, avec des passerelles évidentes avec d’autres disciplines comme les spécialités SES ou Langue, Littérature et Cultures Etrangères Anglais.
L’essence blanche de l’Amérique
Le premier chapitre revient sur les racines du racisme aux Etats-Unis, religieuses et économiques. D’après l’auteur, les Etats-Unis se sont construits sur une dichotomie entre ombre et lumière, comme en témoigne l’allégorie de Columbia qui conquiert l’Ouest et repousse les Amérindiens dans les ténèbres. L’importance du puritanisme religieux protestant qui considère les Américains comme le peuple élu, telle “une cité sur la colline”, a laissé quatre vestiges: l’individualisme, la division entre élus et non-élus, la cruauté (châtiment divin) et la confession publique.
Or, “les Noirs étaient déjà sur le territoire avant les Pères pèlerins”. En 2019, le New York Times Magazine a lancé un projet très critiqué de reconsidération de l’esclavage, The 1619 Project, qui a rappelé que les premiers Noirs sont arrivés en Amérique en 1619 d’Angola dans le bateau White Lion, quelques décennies avant l’instauration de l’esclavagisme, légalisé en 1661 en Virginie. Les Black codes sont ensuite devenus de plus en plus sévères, avec la règle de l’unique goutte de sang noir, selon laquelle les métis sont considérés comme noirs et donc esclaves.
Alors qu’en 1790, un cinquième de la population américaine est noire et qu’un quart des Blancs du Sud possède des esclaves, la Constitution des Etats-Unis ne mentionne pas l’esclavage : la plupart de ses rédacteurs étant eux-même propriétaires d’esclaves. Même après la Guerre de Sécession et l’abolition de l’esclavage en 1865, la violence contre les Noirs continue malgré le XIIIe amendement. L’arrêt de la Cour Suprême Plessy vs Ferguson de 1896 autorise la ségrégation raciale dans les Etats du Sud selon la doctrine “séparés mais égaux”. Le KuKluxKlan, dissous en 1869, ressurgit dans les années 1915 et atteint son apogée en 1920. L’auteur définit le “paradoxe Amérique : la première démocratie occidentale à établir une Constitution garantissant la séparation des pouvoirs tout en niant le moindre droit à une partie de sa population”.
Le scandale d’être noir
Le deuxième chapitre est consacré à l’analyse du best-seller Peyton Place, de Grace Metalious, paru en 1956, qui dévoile à l’Amérique ce qu’elle ne veut pas voir: une ville dépravée, pleine d’excès érotiques, incestes, avortements, parricide, dont le fondateur est un Noir.
Œuvres au noir
Pour l’auteur, “la lutte passe aussi par l’imaginaire” et il qualifie d’“œuvres au noir” ces livres ou films qui ont une portée politique, parce qu’ils ont pour héros des Afro-américains. Comme point de départ, La Case de l’oncle Tom, de la militante abolitionniste Harriet Beecher Stowe (1852), inspiré des récits d’esclaves, connut un grand succès au XIXe siècle. Considéré comme progressiste à sa sortie, il est aujourd’hui symbole de complaisance raciste, avec un personnage caricatural de bonté et d’abnégation. Il analyse ensuite Les âmes de peuple noir (1903) de William Du Bois qui regroupe 14 essais révolutionnaires sur ce que signifie être noir dans une société blanche; Black Boy (1945) de Richard Wright, portrait d’un délinquant noir et révèle le goût de la violence et l’injustice du pays; Homme invisible, pour qui chantes-tu? (1952) roman de Ralph Ellison; La Prochaine Fois, le feu (1963) essai de James Baldwin, pour lequel la couleur n’est que politique; Beloved (1987), de la Prix Nobel Toni Morrison dans lequel le fantôme d’une enfant sacrifiée par sa mère esclave revient hanter la société. Côté cinéma, Moonlight (2016) film poétique de Barry Jenkins en triptyque sur la vie d’un jeune gay noir américain; Get Out (2017) sur le malaise face au Noir et le racisme de gauche; et Black Panthers (2018).
Noires
Ce chapitre est consacré à l’intersectionnalité, ou la double discrimination que subissent les femmes noires, tant au niveau économique (inégalités salariales) que politique (invisibilisation de leurs luttes dans l’histoire du pays), ainsi que sur les normes de beauté avilissantes et la représentation à l’écran (La Petite Sirène, The Woman King).
Les vies noires comptent-elles vraiment ?
Eddy Chevalier revient enfin sur le mouvement Black Lives Matter, les violences policières et l’intégration politique des Noirs aux États-Unis.
Les quatre statues d’Afro-américains au Capitole de Rosa Parks, Martin Luther King, Sojourner Truth et Mary McLeod Bethune, fille d’esclaves qui créa dans les années 1930 en Floride une école pour les étudiants afro-américains (future université Bethune-Cookman), pose la question de la place des modèles, qui restent rares. En politique, l’année 2021 marque un record avec 57 membres noirs à la Chambre des représentants mais seulement 3 sénateurs noirs et aucun gouverneur.
Le sort des Afro-américains est plutôt d’être emprisonné. Depuis la guerre contre la drogue de Reagan, l’emprisonnement des jeunes Noirs est massif. En 1989, 1 sur 4 contre 1/10 Hispaniques et 1/16 Blancs. Aujourd’hui encore 13% des hommes noirs n’ont plus leur droit de vote suite à une condamnation. L’auteur finit son analyse sur “l’illusion Obama”, et son bilan mitigé de lutte contre les discriminations.