Au milieu du XVIᵉ siècle, l’aventurier français Villegagnon installe une colonie sur un îlot proche de la côte brésilienne. Afin de communiquer avec les Indiens Tupinambas, il charge Nicolas Leclerc, jeune protestant français, d’apprendre leur langue et de servir d’intermédiaire.
Échappant de justesse au cannibalisme des Indiens grâce à ses talents de chanteur, Nicolas s’intègre peu à peu à la tribu : il vit nu, épouse une Indienne nommée Pépin, et mange même du Portugais. Il tente surtout de comprendre les coutumes et croyances de ses nouveaux compagnons. Persécutés de toutes parts par des démons réels (Français, Portugais et missionnaires devenus fous) et imaginaires, les Tupinambas décident de partir en quête de la « Terre sans Mal », pays mythique qui devrait les éloigner définitivement du malheur.
Mis en images par Eric Lambé, ce périple au cœur de l’enfer vert montre combien les Occidentaux se fourvoient, incapables de comprendre ces civilisations si différentes et exportant leurs propres querelles (guerre de religions, lutte d’influences) dans ces contrées d’outre-mer.
Cet album est basé sur un fait historique peu connu : la tentative ratée d’installer des huguenots français au Brésil pour qu’il puisse vivre leur religion loin du pays.
Villegagnon représenté dans l’ouvrage a réellement existé ainsi que les Tupinambas, une tribu guerrière volontiers anthropophage. A travers Nicolas, le héros fictif, on découvre ce pan d’histoire et toute la difficulté de coloniser, de s’habituer à des lieux, des animaux et des habitants pas toujours accueillants, un climat très différent du français… On voit aussi et surtout, la vie des Tupinambas confrontés aux Français d’un côté, aux Portugais de l’autre et aux autres tribus locales. Nicolas n’a aucun préjugé, il joue le candide de l’histoire, c’est lui qui nous en fait voir tous les aspects et qui montre bien l’inutilité voire la stupidité de vouloir coloniser, évangéliser des peuples. Lui, grâce à la musique, se coule parfaitement dans la vie de ses hôtes. Il est davantage intéressé par les personnes qu’il rencontre que par la religion ou les guerres de territoires.
J’ai beaucoup aimé cet album d’une grande tendresse envers Nicolas et les Tupinambas ; il s’en dégage de la poésie, une certaine douceur malgré le fait qu’il traite de sujets pas très joyeux : le cannibalisme, la colonisation, les guerres de territoires…
Cette atmosphère est due aux dessins d’Eric Lambé, colorés, ronds, à l’innocence de Nicolas. Une superbe couverture granuleuse enveloppe cet album pour le rendre encore plus attractif. La dimension historique reste cependant anecdotique car l’ouvrage est davantage une réflexion sur la nature humaine mais on se laisse facilement emporté par l’album et ce récit d’aventures, où on retrouve un brin de Hugo Pratt dans la morale comme la narration, ainsi que certains personnages comme le prêtre fou, bâtisseur d’une cathédrale de lianes et souhaitant convertir les singes.
Au scénario, nous retrouvons David B. cofondateur de la maison d’édition L’Association,et principalement connu pour son récit autobiographique en six volumes L’Ascension du Haut-Mal (1996-2003) et pour ses bandes dessinées fantastiques et ou historiques comme Les Incidents de la nuit, Les Meilleurs Ennemis – Une histoire des relations entre les États-Unis et le Moyen-Orient ou encore Les Faux Visages : Une vie imaginaire du Gang des Postiches.
Moins connu du grand public, Éric Lambé est un illustrateur et dessinateur de bande dessinée belge, qui a publié dans plusieurs revues comme Frigorevue, Frigobox ou Bill. Il est également illustrateur des livres de Marie Desplechin, ainsi qu’un livre pour enfants, Le Voyage de Djuku (2003), écrit par Alain Corbel.