Ferdinand de Lesseps et le Canal de Suez, Michel Chevalier et le libre-échange, Prosper Enfantin et le PLM, les frères Péreire et la banque : on sait tout ce que l’essor économique et industriel du XIXe siècle doit aux Saint-Simoniens. On a oublié en revanche leur influence fécondatrice dans les sciences et les arts. Le Vendômois Antoine Yvon-Villarceau (1813-1883) en est pourtant le prototype accompli. L’évocation de cette figure scientifique oubliée du XIXe siècle proposée par Pierre Morali restitue la trajectoire biographique et intellectuelle d’un actif défricheur du progrès aux curiosités multiples.

Juvénile apôtre du Saint-Simonisme assez fervent pour avoir intégré la Communauté de Ménilmontant à 17 ans, puis pour rejoindre sous le ciel d’Égypte la cohorte des disciples du « Père » Enfantin qui y séjourne, Villarceau renonce à ses études initiales de musique. Diplômé de l’École Centrale, ce bourgeois républicain, candidat éconduit aux élections législatives de 1848, occupera par la suite la présidence de la Société des ingénieurs civils. Mais c’est comme savant qu’il se forge un nom. Recruté comme astronome à l’Observatoire de Paris par Arago en 1846, il consacre son existence professionnelle au culte des étoiles. Membre de l’Académie des Sciences et du Bureau des Longitudes, investi dans les cercles associatifs de la sociabilité académique et savante tant locale que nationale et internationale, ambassadeur de la science française dans de grandes conférences internationales, Villarceau s’impose comme un notable représentatif de la république des sciences. L’inventaire de ses contributions aux avancées du savoir peut toutefois sembler hétéroclite : l’homme varie ses sujets d’étude selon la mode de son temps.
Dans le domaine de la mécanique, il formule une théorie des voûtes dite de l’« arc de Villarceau » destinée à améliorer la construction des arches de ponts, théorise la stabilité des machines locomotives en mouvement et conçoit une méthode pour équilibrer les meules en rotation. Dans le domaine du calcul, il est l’auteur d’un théorème sur les cercles, le « tore de Villarceau », publie des travaux fondamentaux de géodésie (amélioration de la mesure des latitudes et des longitudes) et expertise l’étalonnage des poids et mesures. Il invente le régulateur isochrone, qui régularise la révolution des instruments optiques. En astronomie, outre les observations d’étoiles, éclipses et comètes, il contribue au perfectionnement des lunettes astronomiques, élabore une méthode de calcul des orbites et s’intéresse au calcul de la vitesse de la lumière. En 1867, une controverse homérique l’oppose à son supérieur Urbain Le Verrier sur la nécessité de transplanter l’Observatoire de Paris hors de la capitale. Villarceau est par ailleurs un théoricien reconnu de la chronométrie, dont ses travaux permettent d’améliorer la précision. Enfin, dans un registre plus excentrique, il s’entiche d’un mathématicien mystique adepte de l’équation universelle, le Polonais Wronski, dont il étudie les formules mathématiques.
De cet ensemble disparate ressort malgré tout un principe d’unité hérité de sa formation d’ingénieur. Sur le plan intellectuel, il y a clairement une méthode Villarceau, soucieuse de concilier la théorie et la pratique. Ce mécanicien des équations est un défricheur consciencieux des sciences appliquées.

Resté très attaché à son Vendômois natal où il séjourne régulièrement dans ses propriétés, Villarceau fait don de ses biens à sa ville natale et à des actions de bienfaisance. Évanoui dans l’oubli tel une étoile filante, c’est à ses racines régionales qu’il doit la fin de son éclipse biographique. L’hommage de Pierre Morali à son compatriote dans ce volume très illustré est porté par l’enthousiasme d’un historien autodidacte, dont la culture scientifique, l’esprit de méthode et le bonheur de plume mettent heureusement en valeur le parcours attachant d’un savant aux idées scintillantes.

Guillaume Lévêque © Les Clionautes