Catel & Bocquet offrent avec ce roman graphique en noir et blanc une biographie d’Alice Guy, pionnière du cinématographe. Un récit vivant, coloré d’anecdotes ce qui en fait une lecture agréable. C’est à la fois la biographie d’une « clandestine de l’histoire1 » et une histoire du cinéma.

On découvre sa naissance en 1873, à Saint-Mandé, alors que sa famille a quitté le Chili où son père était libraire, fuyant une épidémie de variole. Après trois années au côté de sa grand-mère, Alice rejoint la famille repartie à Valparaiso. En 1879 la revoilà en Europe où elle reçoit une bonne éducation au couvent.

En 1890, on regroupe une jeune fille espiègle qui rêve de jouer la comédie. Mais à la mort de son père l’année suivante la famille est ruinée. Alice commence une vie de sténo, à l’époque, une femme employées aux écritures est une nouveauté. Son énergie, son culot aussi vont lui permettre de mener une carrière assez incroyable chez Gaumont où elle débute en 1895. Elle est en contact avec les inventions du temps : le phonoscope, le kinétographe … Elle assiste à la première projection de La sortie des usines Lumières.

Le chapitre consacré aux premiers essais de divers procédés pour animer des images est passionnant.

La rencontre avec Méliès, les premiers reportages2 donnent à Alice l’idée d’un film pour raconter une histoire, fut-elle la naissance des bébés dans les choux3. L’incendie du Bazar de la Charité, le 4 mai 1897, attribué à un incident avec un appareil de projection semble remettre en cause ces nouvelles technologies. C’est l’exposition universelle de 1900 qui relance la concurrence entre les diverses attractions cinématographiques offertes au public.

Le récit suit au plus près le quotidien d’Alice Guy et repose sur une documentation rigoureuse.

On assiste ainsi au développement du cinéma : 1905 les premiers vrais studios de Gaumont, la naissance de la notion de scénario. On suit de manière très vivante la naissance du septième art.

Le lecteur découvre aussi une jeune femme engagée, une féministe traitée de suffragette.

Solax
De septembre 1910 à 1914 La Solax est un phare Pour le cinéma Amèricain
Fort-Lee est la Mecque du cinéma Américain toute les Sociétés et filiale du cinéma Mondiale ont leurs studios dans cette ville, Hollywood n’existe pas encore, c’est l’apogée cette ville du New Jersey

En 1907 elle se marie avec Herbert Blaché4 et part aux États-Unis. Toujours aussi entreprenante Alice Guy monte une société la Solax, elle a ses propres studios en 1912, un laboratoire de développement des films.

Elle emploie d’acteurs noirs, une audace mal perçue par le public, elle souhaite traiter des questions de société (travail des enfants dans les usines, contrôle des naissances). Les affaires vont mal, son couple aussi. Alors qu’Hollywood se développe, Alice Guy a mal anticipé cette évolution. Elle côtoie Keaton, Chaplin. En 1922, ruinée Alice rentre en France avec ses deux enfants. Après l’échec de la reprise des studios de la Victorine, à 40 ans elle quitte l’aventure du cinéma.

La suite de sa vie est juste ébauchée, jusqu’à sa mort à en 1968 dans le New Jersey.

Pourtant, la narration de sa rencontre avec un journaliste en 1963 permet de rappeler l’oubli dans lequel elle est tombée. L’autobiographie qu’elle écrivait, à ce moment-là, ne sera publiée qu’en 19765, date à laquelle elle sort peu à peu de l’ombre.

Le roman graphique est complété d’une seconde parie abondante qui présente une chronologie détaillée et illustrée de la vie et l’œuvre d’Alice Guy assorti de quelques éléments de contexte, des fiches biographiques des protagonistes de l’histoire du cinéma et de sa famille, une filmographie détaillée et une bibliographie ?

La documentation réunie par les auteurs est de grande qualité. Elle permet de remettre en lumière la vie de la première femme metteur en scène titre qu’elle revendiquait en 1954 dans une lettre à Louis Gaumont6.

Si le film Be Natural : l’histoire cachée d’Alice Guy-Blaché7 qui lui est consacré en 2018 a suscité des critiques diverses on peut actuellement revoir sur Arte Alice Guy, l’inconnue du 7e art, de Valérie Urrea et Nathalie Masduraud (Fr., 2021, 53 min). Disponible sur Arte.tv jusqu’au 5 mars 2022.

 

Sur radio-France : « La Fée aux choux » est le premier film de fiction français, réalisé en 1896 par la première femme cinéaste au monde : Alice Guy.

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1   Dans la même collection : Kiki de Montparnasse, Joséphine Baker et Olympe de Gouges, sous la même plume de José-Louis Bocquet et les crayons de Catel Muller. Une exposition est disponible gratuitement en prêt pour les lycées et les collectivités. Deux romans graphiques ont fait l’objet d’une recension sur la cliothèque : Olympe de Gouges et Joséphine Baker.

2   Le Pêcheur dans le torrent, Bob Walter, la danse serpentine (1897)

3   La Fée aux choux

4   Comme pour chacun des personnages croisés au fil des pages, Herbert Blaché est présenté en fin d’ouvrage p. 371-372

5   Alice Guy, autobiographie d’une pionnière du cinéma (1873-1968), Denoël-Gonthier 1976. Epuisé depuis longtemps le livre vient d’être réédité avec une préface de Martin Scorsese, disponible à cette adresse

6   Citée p. 339

7    Be Natural: The Untold Story of Alice Guy-Blaché) est un documentaire coécrit, coproduit et réalisé par Pamela B. Green, Jodie Foster et Robert Redford. l retrace la vie de d’Alice Guy-Blaché, réalisatrice, scénariste et productrice de cinéma https://gonehollywood.fr/magazine/portraits/alice-guy-blache/