Arafat qui est-ce ? Un personnage éternellement vêtu d’un treillis, coiffé d’un keffieh qui dissimule une calvitie précoce. Ce petit bonhomme qui a la tête d’un épicier de quartier est en même temps animé d’une détermination sans faille et d’un courage physique impressionnant.

A 74 ans, sans doute malade, il agit comme si la mort ne devait pas l’atteindre et, avec sa voix tremblante, renforcée par l’agitation permanente de la lèvre inférieure, des yeux clairs qui donnent l’impression d’être emplis de larmes, il proclame toujours sa foi dans la renaissance de la Palestine en tant que nation.

Le combat d’une vie

Le préfacier de cet ouvrage exceptionnel n’est autre que Nelson Mandela qui apporte à cette biographie et à son sujet une immense caution surtout lorsqu’il écrit à propos de son frère d’armes : « Il m’a dit être toujours déterminé à mener à bien le processus de paix et souhaiter la création d’une commission vérité et réconciliation, qui serait chargée du cas israélo-palestinien, à l’image de celle qui a été créée chez nous. Il m’a interrogé sur notre expérience en la matière. »

Un avenir pour le Proche-orient et la Palestine à l’image de celui que l’Afrique du Sud connaît, depuis la fin de l’apartheid, c’est un rêve qui doit sans doute habiter Yasser Arafat, même si les événements relatés au fil des 519 pages du récit de Kapeliouk montrent à quel point le chemin est difficile.

Discret sur sa vie

La biographie d’Arafat est déclinée de façon très classique, tout au long des 18 chapitres qui la composent. De l’enfance, entre le Caire et Jérusalem, le lieu de naissance n’est pas clairement précisé, on ne sait pas grand-chose. Sa famille paternelle serait originaire de Gaza, maternelle de Jérusalem, là où le jeune Yasser a passé une partie de son enfance.

Pourtant, on ne saura pas grand-chose de plus, si ce n’est sur le choc de 1948 et la participation de cet élève ingénieur de l’université du Caire à quelques accrochages contre l’armée Israélienne près de Gaza. Le jeune Yasser est alors officier de renseignement.

Très vite, la biographie laisse la place à l’histoire de ce combat pour la Palestine qui est le but de l’existence de Yasser Arafat. On ne lui connaît pas de vie privée, jusqu’à son mariage secret en 1990 avec Soha, sa conseillère économique qui lui donnera une fille Zahoua en 1995. C’est à cette occasion que le biographe évoque, en quelques lignes, les rares liaisons féminines qui lui sont connues au hasard de sa vie d’exilé, de combattant et de chef de guerre.

Les frères musulmans

L’ouvrage est également bien court sur la trajectoire de Yasser Arafat au sein des frères musulmans. Pourtant, c’est au Caire, en compagnie de son frère, qu’il a appris le Coran et depuis il n’hésite pas à y faire référence, même si sa tolérance religieuse est incontestable. Il n’empêche que Yasser Arafat est sans doute profondément croyant mais qu’il n’ a jamais été tenté par le fondamentalisme.

Pour autant, la pression exercée sur lui par les mouvements fondamentalistes est suffisamment forte pour que, lors des négociations de la dernière chance avec les envoyés de Ehud Barak il ait réaffirmé son intransigeance à propos de Jérusalem. Depuis le début de l’intifada El Aqsa, depuis 2000, le discours du président Arafat s’est d’ailleurs fortement empreint de références religieuses.

Une histoire tumultueuse

Cette biographie se décline donc en autant de moments clés qui sont surtout ceux de l’histoire de la lutte pour la Palestine.
Le lecteur est donc entraîné dans le tourbillon de l’histoire, luttant avec les premiers fedayn à partir de 1964, lorsque se constitue à partir de Beyrouth l’organisation Al Acifa, la tempête. Il subit aussi les coups des armées Jordaniennes lors des tragiques événements de Septembre Noir en 1970.

Le récit évoque aussi l’ascension de ce chef de parti, le Fath, à la tête de l’organisation de libération de la Palestine, cette fédération de mouvements rivaux qui aura du mal à acquérir son autonomie, d’abord face à des Etats Arabes qui souhaitent la contrôler, mais aussi contre Israël qui ne reconnaîtra de facto son existence en tant que telle qu’en 1991, lors de la conférence de Madrid.

Un accord si proche ?

Peu à peu la ligne d’Arafat évolue, tout comme sans doute l’individu. Le même qui en 1964 revendiquait la destruction de l’Etat d’Israël et la création d’une Palestine multiconfessionnelle, évolue vers un partage de la Palestine, et finalement vers une reconnaissance de l’Etat d’Israël et l’acceptation d’un partage effectif.

La phrase « la partie de la charte de l’OLP qui prévoit la destruction de l’Etat d’Israël est caduque », lui aurait été soufflée par Roland Dumas, mais ce mot de « caduc » est entré dans le vocabulaire Palestinien depuis cette date.

De la participation palestinienne à la guerre civile au Liban, de l’exil à Tunis, du soutien à l’invasion du Koweït par l’Irak de Saddam à l’attitude lors du 11 septembre, Yasser Arafat a toujours su rebondir, transformer les errements parfois et les contradictions de sa politique souvent en tremplins pour rebondir.

L’ouvrage ne fait pas l’économie de ces épisodes, scrupuleusement décrits, même s’il évacue parfois très vite les problèmes politiques internes à l’autorité Palestinienne. On sait par ailleurs que la corruption de celle-ci a joué pour beaucoup dans la montée en puissance d’un mouvement comme le Hamas.

Une situation à hauts risques

La dernière partie de cet ouvrage évoque d’ailleurs sans détour les risques qui pèsent sur la survie physique d’Arafat, pour autant, et malgré les déclarations menaçantes de l’actuel premier ministre israélien, Ariel Sharon, la survie politique d’Arafat en sort renforcée chaque jour.

L’exécution de son rival, Cheik Yassine, le chef du Hamas par les hélicoptères de combat de Tsahal lui laisse un espace politique d’autant plus grand qu’Israël se retrouve de plus en plus isolé sur la scène internationale.

Les Etats-Unis sont sans doute condamnés à maintenir leur soutien mais la situation au Proche-orient et surtout en Irak, la proximité des élections peut les amener à une prudence dont l’Etat hébreu pourrait faire les frais.
Cela ne semble pas, au moment où sont écrites ces lignes ( 17 avril 2004) être le cas, puisque le Président Bush vient de donner son accord au plan Sharon de partition effective basé sur le maintien des colonies de Cisjordanie en échange d’un retrait de Gaza, une position difficilement acceptable pour les Palestiniens.

Cela pourrait signifier de la part des faucons israéliens une fuite en avant, qualifiée parfois de « politique du chaos », une tentation fréquente de la Droite israélienne , qu’Amnon Kapéliouk évoque au fil de ce récit biographique passionnant.

Bruno Modica

Bien connu des lecteurs du Monde diplomatique, Amnon Kapeliouk, fait ici œuvre de biographe et d’historien du temps présent, en même temps que son métier de journaliste qui suit, depuis de longues années, l’actualité de ce conflit du Proche Orient. Il a la chance d’avoir été en contact direct avec le sujet et n’hésite pas, de façon très explicite, à évoquer les événements les plus proches, comme le pacte de Genève en 2003 et les menaces explicites sur la vie même du leader incontournable de la cause Palestinienne.