La prolifération envahissante des « fake news » sur les réseaux sociaux est la version contemporaine de l’immémoriale rumeur.
Universitaire spécialiste du monde rural et de l’histoire des rumeurs, François Ploux en apporte une démonstration circonstanciée dans cet ouvrage centré sur les premières années de la Restauration, qui sont caractérisées par un foisonnement considérable de fausses nouvelles.
En une époque où les mécanismes de diffusion de l’information sont encore rares, lents et assez élitistes, le canal du bouche à oreille tient une place essentielle. Principal moyen de diffusion de l’information, il irrigue les échanges de la vie quotidienne. Sa matière première brasse pêle-mêle vraies et fausses nouvelles. Cette communication sociale de l’actualité forme ce que l’on dénomme alors le « bruit public ». Les mille circuits de l’information perfusent ainsi non seulement via de multiples formes d’oralité et d’échanges interpersonnels, mais aussi par l’écrit. Discussions, altercations, chants, placards, caricatures, etc en sont les vecteurs, sur les lieux de travail et de loisir, les routes et les marchés, dans les auberges et les cafés.
Inévitable et éternelle, la rumeur devient un facteur d’insécurité pour l’ordre public lorsqu’elle véhicule des contenus jugés subversifs. Or les trois premières années de la Restauration voient particulièrement se multiplier les fausses nouvelles, considérées comme des manifestations politiques séditieuses. Leur circulation est assez générale à travers le pays, même si certains milieux géographiques ou sociaux y semblent plus propices. Elles circulent du haut en bas de la société. Leur répertoire thématique est diversifié mais toujours politiquement sensible. Menaces étrangères, importants mouvements de troupes, fuite du roi Louis XVIII, annulation de la vente des Biens nationaux, rétablissement des droits féodaux sèment ainsi l’émoi. Mais la plus prégnante et la plus récurrente de ces rumeurs illicites est celle qui annonce le retour de Napoléon. Cette perspective obsédante et bouleversante en arrive à acquérir une ampleur irrationnelle voire prophétique.
L’anticipation de ces événements perturbants est accueillie soit comme une espérance soit comme une menace. En cette période troublée, l’instabilité politique est propice à une inquiétude collective durable qui prédispose les esprits à accueillir les propos les plus improbables. Ces formes déviantes du « bruit public » perturbent les autorités. Elles-mêmes sont conditionnées par leurs présupposés, qui font que polices et pouvoirs croient y voir la main subversive de ténébreux comploteurs. Les pouvoirs publics s’efforcent donc de lutter contre ces débordements de l’imaginaire politique. François Ploux souligne que la rumeur du retour de Napoléon court en fait dès l’été 1814. La Première Restauration reste démunie face à cette première séquence. Après la parenthèse des Cent Jours – qui n’est pas non plus indemne de rumeurs – le retour des Bourbons se traduit par une toute autre fermeté : contrepropagande, interdictions, répression administrative et judiciaire dans le climat de la Terreur Blanche.
De cette lecture foisonnante, très didactique et très documentée, on sort impressionné, entre autres, par la description de la toile d’araignée de la surveillance administrative et policière notamment à Paris. Le subtil tableau des modes de circulation de la rumeur est tout aussi prenant, de même que les pages passionnantes sur le regain de prophétisme qui caractérise la période. Et on ne peut que se rendre à l’argumentaire de l’auteur lorsqu’il voit dans ces expressions dysfonctionnelles du « bruit public » une esquisse nébuleuse de la fabrication d’une opinion publique. Le tout constituant clairement un apport bibliographique dont la lecture est d’un grand intérêt.
© Guillaume Lévêque