Féminicide. Une histoire mondiale est un ouvrage collectif dirigé par Christelle Taraud paru aux éditions La Découverte en septembre 2022. Pour réaliser cet imposant travail, l’autrice, historienne et féministe, spécialiste des femmes, du genre et des sexualités en contexte colonial, a réuni plus d’une centaine d’autrices et d’auteurs considéré-e-s comme les meilleur-e-s spécialistes de la question, pour comprendre le continuum de violence qui s’exerce envers les femmes depuis la Préhistoire.
Dès l’introduction, Christelle Taraud donne le ton à l’ouvrage. 47 000 femmes et filles dans le monde ont été tuées par leur partenaire intime ou un membre de leur famille en 2020 soit une toutes les 11 minutes. Au regard de ces chiffres dramatiques, l’autrice caractérise ce phénomène de « pandémie de féminicide ». Celle-ci est précocement apparue sur le continent américain, et aucune région du monde n’est épargnée, y compris la France où statistiquement « une femme est tuée […] tous les trois jours par son (ex-)conjoint, tandis que les violences conjugales touchent 220 000 Françaises chaque année ». Dans neuf cas sur dix, les femmes victimes connaissaient leur agresseur. Christelle Taraud note que « le contexte de fin de relation est […] le premier facteur de féminicides en France ». En effet, un trop grand nombre d’hommes considèrent les femmes « comme des objets leur appartenant qu’ils ont le droit de contrôler, de surveiller et de punir ». L’autrice considère alors le féminicide comme « un crime de propriétaire », mais également comme une manifestation du pouvoir que les hommes exercent sur les femmes, un pouvoir qui se manifeste par la violence physique et sexuelle ou bien par l’emprise psychologique.
Avant de poursuivre son propos, Christelle Taraud revient sur le vocable « féminicide », un terme qui s’est généralisé depuis une dizaine d’années, qui caractérise « tout meurtre de femme parce qu’elle est une femme ». Toutefois, ce n’est pas le seul mot qui existe pour parler de ce phénomène, d’autres termes ont également existé au cours de l’histoire et à l’échelle planétaire. On trouve par exemple l’uxoricide, le conjuguicide, le gynocide, le sexocide, le fémicide, le gendercide, et bien d’autres encore. Bien que le mot féminicide soit aujourd’hui globalement utilisé, l’utilisation des différentes terminologies caractérisant le phénomène continue de faire débat. Pour Christelle Taraud, il est important de recontextualiser le terme de féminicide.
L’autrice explique qu’il faut replacer le mot féminicide « dans une généalogie intellectuelle et politique qui commence par l’invention de celui de fémicide » à la fin des années 1970. C’est du fait de « de son importante popularisation et démocratisation, mais aussi de sa polysémie et de sa plasticité dans le langage commun » que les auteurs de l’ouvrage l’ont privilégié à tout autre mot. Dès lors, pour l’autrice, le féminicide doit être considéré comme un crime total perpétré contre les femmes. Ainsi Christelle Taraud préfère parler de continuum féminicidaire, « c’est-à-dire un agrégat de violences polymorphes, connectées les unes aux autres par des liens subtils et complexes, subies par les femmes de leur naissance à leur mort ». Par conséquent, le meurtre d’une femme (fémicide) ne représente pour l’autrice que la dernière étape d’une série d’actes anti-femmes (féminicide) allant du « dressage à la féminité » et l’infériorisation systémique du féminin jusqu’à l’assassinat, en passant (de façon non exhaustive) par le traitement différencié dans les langues et langages, les discriminations, le harcèlement sexuel, les humiliations, les insultes, les coups, les mutilations corporelles et sexuelles, les mariages précoces et/ou forcés, les maternités obligatoires, etc.
Féminicides. Une histoire mondiale n’est pas seulement un ouvrage d’histoire, il est également pensé comme « un outil de résistance ». C’est un ouvrage qui appelle à « lutter contre les crimes sexistes par la sororité ». Ainsi le présent ouvrage a pour objectif de « répondre par une sororité bienveillante et clairvoyante en réaffirmant l’urgente nécessité d’une union générale de toutes les femmes, dans le respect mutuel de leurs différences, dans leur lutte commune contre le féminicide et les violences de genre, de classe et de race ». Ainsi l’autrice appelle à résister « au sein d’une communauté féministe planétaire respectueuse et égalitaire qui pratique activement la solidarité politique » et à résister aux féminicides individuels comme aux féminicides de masse.
Féminicides. Une histoire mondiale est avant tout un recueil d’articles déjà publiés lors de la dernière décennie du XXe siècle et la première du siècle suivant, dont certains sont traduits pour la première fois en français. Il ne s’agit donc pas d’une entreprise scientifique neuve, mais d’une compilation d’articles scientifiques, de sources historiques, de billets de blog, de résumés de film, etc., abordant l’ensemble des violences et des discriminations contre les femmes. Ainsi il n’est pas étonnant d’y trouver des articles sur des sujets comme la poupée Barbie, les concours de beauté, les troubles alimentaires, l’inceste au Québec ou les normes matrimoniales dans la Rome antique. Après un premier chapitre intitulé « Et avant l’histoire », introduit par Claudine Cohen, l’ouvrage s’articule en sept parties thématiques : « Chasse aux sorcières », « Esclavage et colonisation comme féminicide », « Meurtres de femmes et féminicides de masse », « Masculinismes et féminicides », « Féminicides et génocides », « Normes de beauté, mutilations corporelles et annihilations identitaires » et enfin « Tuer les filles, les domestiques et les marchandiser ». Chacune d’entre elles est introduite par un texte original, spécialement composé pour les besoins de l’ouvrage. Deux conclusions, rédigées respectivement par Rita Laura Segato (« La guerre contre les femmes : un manifeste en quatre thèmes ») et Aminata Dramane Traoré (« En finir avec les féminicides par une sororité renforcée ») terminent l’ouvrage.
Pour conclure, Féminicides. Une histoire mondiale est un ouvrage de qualité et constitue à ce jour l’étude la plus complète sur les violences faites aux femmes. Toutefois, on pourra regretter que l’ouvrage ne soit pas facile à utiliser. Il s’agit davantage d’un objet fait pour être lu d’un bout à l’autre, plutôt qu’un ouvrage pensé pour devenir un outil de recherche. En effet, on regrettera l’absence de table des matières et d’index, car le sommaire trop imprécis ne mentionne que les titres des parties, et les quelques 900 pages de l’ouvrage ne facilitent pas la tâche. Le lecteur doit alors chercher au sein de celles-ci pour y trouver l’article qui peut l’intéresser. De même, le statut des autrices et auteurs n’est pas précisé ni même celui des articles. Il est par conséquent nécessaire de chercher les notes à la fin des articles, les légendes ou les paratextes, pour savoir si le document est une traduction d’une source, un extrait d’un article de recherche, un texte original rédigé pour cet ouvrage, etc. Malgré tout, Féminicides. Une histoire mondiale n’en reste pas moins un ouvrage passionnant et qui deviendra certainement une référence.