C’est un sujet très mal connu que les éditions Perrin donnent l’occasion de découvrir avec ce petit ouvrage de Bertrand Schnerb, auteur de l’État bourguignon publié chez le même éditeur en 1999. Le terme de maudite guerre qui sert de sous-titres cet ouvrage est particulièrement bien choisi pour caractériser cette guerre civile. Synonyme de mort de désolation entre 1407 et 1435 elle n’est en rien un phénomène accessoire à la guerre de 100 ans mais tout au contraire un temps fort de la constitution de l’État en France. En effet, ce sont deux conceptions de l’État qui s’affrontent pendant ces querelles successorales et familiales dont les principales victimes sont toujours, en pareil cas, les humbles et les manants.
C’est pendant le règne de Charles VI, commencé en 1380, en pleine guerre franco-anglaise, que débute cette opposition entre les partisans du développement et de la primauté de l’État et ceux du statu quo, attachés à une certaine tradition politique.
L’auteur commence par évoquer la folie de Charles VI constatée lors de l’été 1392 qui pose bien entendu le problème de l’autorité et de la régence. Dans ce conflit le grand schisme d’occident qui a entraîné l’élection d’un antipape qui siège à Avignon (Clément VII) soutenu par les Armagnacs, alors que le pape de Rome (Urbain VI) est soutenu par les Anglais, joue un rôle spécifique.
La reine Isabeau de Bavière préside à partir de 1393 un conseil de régence, où siègent les grands du royaume. L’oncle de Charles VI, le duc de Bourgogne Philippe le Hardi, s’oppose à Louis d’Orléans, le frère du roi. À la mort de Philippe le Hardi, son fils Jean sans Peur, moins fin politique que son père s’oppose à la famille d’Orléans notamment à propos du Luxembourg. deux cent mille livres par an, le fils doit se contenter de trente-sept mille.
Pour susciter un élan autour de la couronne et de son pouvoir Orléans cherchge à relancer la guerre franco_anglaise qui avait connu une accalmie avec le début du règne de Charles VI. Le Bourguignon Jean Sans Peur voit ses intérêts en Flandre menacé du fait des leins entre le plat pays et les îles britanniques avec les villes drapantes.
Le frère du roi, Louis d’Orléans réussit ainsi à faire évincer les Bourguignons du conseil.
Jean-Sans peur fait assassiner son rival et la guerre civile commence
Écorcheurs et cabochiens
Dans le dessein de venger son père, Charles d’Orléans, fils de Louis, la victime, suscite partout des ennemis au duc de Bourgogne. Pourtant, en 1409, une paix conclue à Chartres semble arrêter les hostilités. Charles d’Orléans forme à Gien une ligue contre le duc de Bourgogne et ses partisans, qui réunit outre le duc d’Orléans et son beau-père, les ducs de Berry, de Bourbon et de Bretagne, ainsi que les comtes d’Alençon et de Clermont le 15 avril 1410.
Le Conte d’Armagnac recrute dans le Midi des bandes qui font la guerre avec une férocité inouïe : les Écorcheurs. À leur tête, il ravage les environs de Paris et s’avance jusqu’au faubourg Saint-Marcel. Les Armagnacs se répandent dans le Beauvaisis et la Picardie « en mengeant le povre peuple suivant la coustume de adonc ». En octobre 1411, fort d’une armée de 60 000 hommes, le duc de Bourgogne entre dans Paris et attaque les Bretons, alliés des Armagnacs, qui sont retranchés à La Chapelle. Il doit reculer, mais, dans la nuit du 8 au 9 novembre, il sort par la porte Saint-Jacques, marche sur Saint-Cloud et défait complètement l’armée des Écorcheurs. Puis Jean sans Peur poursuit les princes d’Orléans et leurs alliés, qu’il assiège à Bourges, mais l’armée royale paraît devant cette ville le 11 juin 1412.
Les deux partis recherchent e soutien des Anglais. Les Armagnacs concluent un traité avec le roi d’Angleterre, Henry V: en 1412, ils lui cèdent la Guyenne et reconnaissent sa suzeraineté sur le Poitou, l’Angoulême, le Périgord, afin d’empêcher une alliance anglo-bourguignonne. De même, Jean sans Peur ménage les Anglais qui, par un embargo sur la laine, pourraient ruiner les drapiers de Flandre.
Sus à l’Anglois !
En 1413, Jean sans Peur soutient la révolte des Cabochiens animée par la puissante corporation des bouchers de Paris qui fait regner la terreur dans Paris jusqu’en 1414. Les Anglais qui reprennent les hostilités, Henri V l’emporte sur l’armée française, essentiellement pourvue par les Armagnacs, lors de la bataille d’Azincourt en octobre 1415.
Les Bourguignons sot partisans d’une monarchie tempérée, organisent des États généraux et s’appuient sur des arguments favorables à la limitation de l’impôt.
Maître de Paris après l’élimination des partisans des Armagnacs, Jean sans Peur entre en négociation avec les Anglais. Le Dauphin doit éviter une alliance anglo-bourguignonne. Jean sans Peur essaie de négocier mais le 10 septembre 1419, il est assassiné lors d’une entrevue avec le Dauphin Charles, par des hommes de main du parti des Armagnacs.
Philippe le Bon, le nouveau Duc de Bourgogne, s’allie aux Anglais. Charles VI, n’ayant plus d’héritier légitime (le Dauphin Charles est le fils supputé de Louis d’Orléans), déshérite le dauphin et marie sa fille Catherine de Valois à Henri V d’Angleterre.
Le roi d’Angleterre reçoit la couronne de France et Charles VI récupère le pouvoir dont il a été évincé depuis 1392, du fait de ses accès de folie. Il exercera une régence sur ce qui lui reste de terres au sud-est de la France jusqu’à sa mort, en 1422.
Son futur petit-fils légitime deviendra souverain de France et d’Angleterre. L’intervention de Jeanne d’Arc permet de légitimer Charles VII, sacré à Reims, le 17 juillet 1429. (Henri VI d’Angleterre a 10 mois et sera sacré le 16 décembre 1431, à Notre-Dame de Paris).
Charles VII signe en 1435, le traité d’Arras avec Philippe le Bon. L’indépendance de la Bourgogne est reconnue. Cet accord met officiellement fin à la guerre permet à Charles VII de reprendre aux Anglais pratiquement toutes leurs possessions continentales: en 1453, ils ne contrôlent plus que Calais.
La guerre civile qui a opposé, au début du XVe siècle, les Armagnacs aux Bourguignons a longtemps été considérée comme un phénomène secondaire dans le cadre de la guerre de Cent ans. Or dans ce conflit, ce sont deux conceptions de l’Etat qui s’affrontent. Le royaume de France tout entier se partage en deux camps. Le long conflit franco-anglo-bouguignon devient facile à lire et à comprendre tant Bertrand Schnerb relate avec précision et clarté ses causes directes et son déroulement.
Cet ouvrage est aussi un livre d’histoires – au pluriel. L’auteur y privilégie le récit pour montrer, de manière saisissante, ce qu’est une guerre à la fin du Moyen Age. Derrière les événements politiques et militaires, il cherche à retrouver la réalité humaine.
Bertrand Schnerb est agrégé et docteur en histoire. Après avoir été maître de conférences à l’université de Paris-Sorbonne, il est devenu professeur à l’université de Lille III. Spécialiste de l’histoire des institutions et de la société bourguignonnes, il est l’auteur de divers articles et études, parmi lesquels on peut citer L’Etat bourguignon (1363-1477), première synthèse sur le sujet parue depuis vingt-cinq ans.
Bruno Modica © Clionautes