C’est une nouvelle édition de l’Atlas mondial des migrations qui est présentée avec une mise à jour complète des textes et des cartes. L’auteur, Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherches au CNRS (CETI-Sciences-Po) où elle co-anime un projet sur les « Migrations et relations internationales » et enseignante à Sciences-Po, est aussi membre du conseil scientifique de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. Ses ouvrages récemment publiés disent sa sensibilité aux questions d’intégration, d’identité et territoires et bien sûr aux enjeux migratoires (recherche sur les flux, politiques migratoires, citoyenneté en Europe et dans le monde). On signalera sa dernière publication, co-écrite avec notamment Bertrand Badie, Rony Brauman, Pour un autre regard sur les migrations. Construire une gouvernance mondiale, La Découverte, 2008.


Elle est présentée comme juriste et politiste et son approche ne peut qu’enrichir la lecture, la compréhension, la réflexion sur cette nouvelle question géopolitique de dimension planétaire.

Réguler ou réprimer… gouverner, trois mots qui résument la problématique de cette réédition. L’ouvrage, comme les autres atlas de la collection, est bien plus qu’une collection de cartes sur la nouvelle donne migratoire ; il situe l’enjeu dès l’introduction sur le terrain du politique et souligne les paradoxes : à l’échelle régionale – européenne par exemple – la gestion des migrations repose avant tout sur une logique de contrôle et répression ; à l’échelle mondiale, les migrations sont devenues un « bien public mondial » qui nécessite une gouvernance mondiale. Renforcement des politiques aux frontières ou respect du droit à la mobilité, on a ici le paradoxe de ce nouveau défi auquel doivent faire face les sociétés et les gouvernements. Un défi majeur car il touche toute la planète, personnes de tous sexes, âges, de toutes catégories sociales, dans des trajectoires migratoires complexes, bouleversant les images du migrant et redéfinissant la notion de citoyenneté.

Migrantes et migrants du monde

L’atlas insiste sur le fait qu’au cœur de ces mobilités, il s’agit d’hommes, de femmes, d’enfants : la première de couverture montre le visage de Kingsley, ce jeune camerounais qui entreprit un long périple jusqu’en Europe mis en récit et en images avec les photographies d’Olivier Jobard (A lire Kingsley, carnet de route d’un immigrant clandestin, éditions Marval, 2006) avant de devenir héros d’une reconstitution cinématographique.

La première partie de l’atlas présente ces nouveaux visages dans un contexte nouveau : les champs migratoires se sont élargis à la planète, les raisons du départ ne sont pas seulement la pauvreté – le rôle de l’information ou des nouvelles solidarités est pris en compte – les acteurs sont multiples, migrant clandestin, passeur, réfugiés, transnationaux… Quand les cartes sont insuffisantes pour dire la complexité, les textes qui les accompagnent apportent les compléments d’informations. Ainsi, le brain drain est illustré par deux cartes : les migrations étudiantes Sud-Nord et les étudiants en Europe avec Erasmus. Les textes quant à eux insistent sur le retour des cerveaux comme enjeu de développement et sur les politiques de gestion de ces migrations dans les pays d’accueil ou de départ.

Après avoir posé le nouveau cadre et les nouveaux visages migratoires, le plan de l’atlas repose sur un découpage géographique par grands ensembles, peu engageant au départ : l’Europe, le monde arabe, l’Asie, l’Afrique puis l’Amérique. Cependant, les sous parties rendent immédiatement visibles les nouveaux enjeux.

Réprimer…

Outre le fait d’être devenue une terre d’immigration, y compris dans sa frange méditerranéenne (l’Espagne a la plus forte croissance d’immigration), l’Europe a connu de profonds bouleversements depuis les années 80-90. Les migrations se sont certes multipliées (Est-Ouest notamment) mais c’est la notion même de frontière qui est interrogée : frontières physiques renforcées ou matérialisées par des systèmes sophistiqués de contrôle (dispositif Frontex), frontières abstraites pour les transnationaux, autant de points de fixation pour les migrants mais aussi espace de drames : plus de 4000 morts sur les rives du détroit de Gibraltar entre 1997 et 2006 ; la carte d’Olivier Clochard sur les morts aux frontières est édifiante à propos d’une politique euro-méditerranéenne qui s’inscrit dans le dialogue mais renforce les fractures. Territoire contre population : la situation est identique en Russie qui peine à accepter l’opportunité migratoire alors qu’elle souffre d’un désastre démographique.

Complexité

L’Afrique et l’Asie sont terres d’émigration certes mais devenues aussi terres de nouvelles migrations Sud-Sud. La recherche d’un travail est une cause majeure mais les déplacements dus aux conflits en est une autre : l’Afrique est le continent qui accueille le plus grand nombre de réfugiés dans le monde, migrants internes de l’Afrique centrale et de l’Ouest surtout.
Au Proche-Orient, c’est le Pakistan qui est le principal pays d’accueil, surtout pour les Afghans qui constituent la plus grande migration de réfugiés. L’Irak est devenu aussi un espace de départ et la Turquie est tout à la fois espace d’émigration, d’immigration et de transit, confortant sa position de carrefour géographique. Des cartes centrées sur le Kurdistan, l’Afghanistan, la Cisjordanie montrent la complexité géopolitique, enjeu majeur des déplacements.

Réguler

Assimilation ou multiculturalisme : problématiques encore valides pour un pays, les Etats-Unis, demeurés terre d’immigration. La carte de la mosaïque ethnique à Los Angeles montre une un espace marqué par une organisation sur une base “ethnique”, à moins qu’elle ne soit aussi sociale…
Dans la même tradition d’accueil, le Canada a aussi fait de la diversité culturelle une composante de son identité nationale, avec cependant une politique régulée et sélective des migrants.

Gouverner : changer de regard

« Les failles de la gestion des migrations internationales montrent le gâchis (…) La mauvaise politique migratoire est porteuse d’atteinte aux doits de l’homme, d’un mauvais usage de l’opportunité de la mobilité ».
L’atlas conclue par trois questions qui s’inscrivent à une échelle planétaire :
– celle des réfugiés climatiques, migrants d’un type nouveau (150 millions de personnes ?) : des territoires disparaissent dans le Pacifique
– l’intégration des migrants dans les villes globales
– les migrations comme facteur de développement… ou le développement comme facteur de migration.
Trois questions qui montrent combien il est nécessaire de changer de regard, de repenser le fait migratoire dans un contexte mondial, de confronter les différents acteurs afin de dégager une politique globale.

Les cartes, bien que d’une grande clarté dans la lecture des faits présentés, pourraient être plus osées dans les couleurs, non seulement pour une éventuelle projection en classe mais aussi pour la lisibilité, voire la visibilité des faits. C’est le reproche que l’on pourrait faire à l’ensemble de cette collection d’atlas (qui sont par ailleurs inégaux dans leur contenu).
Il n’en demeure pas moins que cette réédition était nécessaire et est un outil indispensable pour nos enseignements de la géographie et de l’éducation à la citoyenneté.

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