La carte est un instrument de pouvoir que l’on imagine entre les mains des puissants mais en oubliant toujours ceux qui l’ont réalisée. Catherine Hofmann, ainsi que plusieurs autres contributeurs, entendent donc rendre hommage à une figure oubliée de l’histoire : le cartographe.

En six chapitres, les auteurs revisitent donc six siècles de cartographie. L’ouvrage contient également des encadrés, sous forme de double-page, qui sont autant d’occasions de faire le point sur un aspect précis. Une citation commence chaque chapitre et une introduction donne en quelques mots le propos de chaque chapitre. Il faut souligner, pour un tel sujet, la qualité des reproductions cartographiques. En redonnant sa place aux cartographes, les auteurs souhaitent aussi restituer le parcours qui aboutit au résultat qu’est une carte.

Des hommes à redécouvrir

Voulant rendre hommage à leurs travaux, les auteurs disséminent donc tout au long des chapitres des portraits de ces artistes. Dans de nombreux cas, il s’agira sans doute de découvertes. Si certains sont plutôt connus comme Ortelius qui fut célèbre en son temps pour avoir édité le premier atlas, on découvrira peut-être en revanche Pierre de Belleyme. Celui-ci fut arpenteur et son parcours dans le XVIII ème siècle, particulièrement bien documenté, permet de suivre un itinéraire dans un siècle mouvementé. En 1791, il se voit confier la mission de mettre à jour la carte de France. Sous l’Empire, il est nommé chef de la section topographique et se voit confirmé à son poste sous la Restauration. Charles-François Beautemps-Beaupré est aussi un personnage dont le nom mérite d’être retenu car ses relevés sur le littoral atlantique de la France furent si précis qu’ils permettaient de s’affranchir des pilotes locaux. Jusqu’à l’utilisation des satellites en 1969, 20 % de sa production était toujours utilisée !

Les géographes de cabinet XVI ème-XVIIIème siècle

Ce chapitre est centré sur la période entre le XVI ème et le XVIII ème siècle. A cette époque, la construction d’une carte exige l’acquisition d’un savoir immense et hétéroclite. Lucile Haguet s’attache à dresser un portrait robot de ce géographe de cabinet. Ils sont rarement issus des milieux les plus aisés, et il n’existe pas à l’époque de formation officielle. La carte a besoin d’un savant qui puisse tirer parti des témoignages : cela nécessite donc du temps, et donc des protecteurs. Ainsi, les géographes ont ensuite eu accès aux salons. A travers quelques portraits de cartographes, on saisit donc mieux la réalité de leur travail à l’époque.

Du pilote à l’ingénieur hydrographe

Entre le XV ème et le XIX ème, on passe de l’artiste à l’ingénieur. On connait les cartes portulans, mais on sait moins peut-être qu’elles étaient peu utilisées à bord. Dès cette époque, les cartes sont vues comme des objets stratégiques. Le navigateur devait déposer son journal de bord à son retour, et c’est une autre personne qui réalisait la carte. Peu de traces de ces brouillons ont été conservées, et on en admirera d’autant plus la reproduction de la page 57 qui donne à voir les annotations de Francis Drake. Les méthodes changent, mais aussi les sources disponibles et les modes de représentation. On passe ainsi d’une hydrographie de découverte à une hydrographie de précision.

Le cartographe et le territoire

Entre le XVIIIème et le XIX ème siècle, c’est l’époque des arpenteurs, ingénieurs et administrateurs. C’est un aspect plutôt bien connu qui associe le pouvoir avec la connaissance de son territoire. Mais cette logique n’est pas réservée au pouvoir royal, car il fallait aussi mettre à jour les terriers par exemple. Des administrations modernes voient le jour comme les ponts et chaussées qui élaborent plus de 300 planches entre 1745 et 1780.  » La carte de l’ingénieur est un outil de reconnaissance de l’espace en vue d’une action, elle n’est pas la description d’un lieu mais l’examen de l’état d’un lieu ».

Le cartographe et le militaire

Au XVI ème le regard ne porte que sur les fortifications, puis il ne fait que s’élargir au fur et à mesure que la guerre change. La guerre multiplie les besoins et cela fait augmenter le personnel des cartographes. Le topographe militaire doit savoir tout faire. Avec les guerres napoléoniennes un nouveau cap est franchi.

Des explorateurs pas si solitaires

On trouve dans ce chapitre des figures bien connues comme James Cook ou Savorgnan de Brazza. C’est la figure de l’explorateur avec l’importance accordée à l’enquête et à la collecte sur le terrain. La production de cartes augmente considérablement.  » L’explorateur avant d’être cartographe est un lecteur de cartes ». En effet, c’est souvent la manipulation d’une carte qui est le préalable au voyage, à la découverte. Hélène Blais en profite pour dépoussiérer certains mythes comme celui de l’explorateur solitaire. Ils avaient tous d’invisibles, mais indispensables auxiliaires. Au XIX ème siècle, l’explorateur s’inscrit dans le contexte de la colonisation et notamment de l’Afrique. On note, on répertorie et on voit alors apparaitre sur les cartes de nombreux djebbels « Manarf » ….mot qui signifie en réalité  » je ne sais pas » Il s’agissait donc de la réponse que donnaient alors les populations locales aux questions insistantes des explorateurs qui voulaient absolument que tout espace ait un nom !

La cartographie au XX ème siècle

Ici la tendance sur le long terme peut être résumée ainsi : on passe de la cartographie d’expert aux cartographies citoyennes. La carte devient un instrument au service de différents savoirs. Elle essaime sur de multiples supports comme les revues, les journaux ou encore les guides touristiques. L’auteur rappelle quelques progrès technologiques déterminants comme les satellites artificiels. L’irruption de l’informatique et l’automatisation des cartes constituent de véritables révolutions. La carte se retrouve aussi au centre des négociations d’après guerre. En même temps qu’elle se diffuse abondamment, c’est-à-dire depuis cinquante ans, la carte grand public a tendance à renouer avec une imagerie figurative et pittoresque.

Voici au total un ouvrage de synthèse qui restitue sa profondeur historique à la représentation cartographique, et qui nous fait redécouvrir les auteurs et les logiques qui ont présidé à l’élaboration de documents que l’on admire souvent aujourd’hui.

© Jean-Pierre Costille Clionautes

voir aussi le CR de Pascale Mormiche : http://www.clio-cr.clionautes.org/spip.php?article4288