Jacques CONNAN, Le bitume dans l’Antiquité, Errance, 2012, 269 pages, cartes, illustrations, 35 euros

L’objet de ce livre peut, à première vue, sembler austère : le bitume qui aujourd’hui encore est partout ; il protège la fibre optique de la corrosion ; il recouvre nos rues et nos trottoirs comme il y a bien longtemps il protégeait la voie processionnelle de Babylone menant à la célèbre porte d’Ištar ; ce bitume qui est la terreur des archéologues, car il renferme des fossiles et fausse la datation au carbone 14 !

Il n’en est rien et c’est avec avidité que l’on suit son auteur ! Cet ouvrage est d’autant plus particulier qu’il est né d’une collaboration entre un chimiste pétrolier (Jacques Connan) et un archéologue (Jean-Louis Huot) dans le sud de l’Irak, sur les bords du golfe Arabo-persique. C’est également un bon exemple de mécénat industriel, celui d’Elf Aquitaine, dont l’action se doit d’être ici reconnue et saluée.

Ce bitume joue un rôle particulièrement important en Orient où ses utilisations sont multiples. L’auteur a pu étudier de nombreux échantillons relevés aujourd’hui sur place mais aussi issu des objets présents dans les musées et provenant de Tell el’Oueili, Mari, Terqa et bien d’autres sites archéologiques encore. Chaque gisement possède ses caractéristiques chimiques et isotopiques bien particulières (Hît en Iraq, El Kown en Syrie, le gisement de la Mer Morte…) et l’on peut ainsi dresser la carte de l’origine ainsi que celle du commerce parfois à très longue distance (jusqu’au Koweït, au Emirats et en Oman sous la civilisation d’Uruk) du bitume utilisé dans chaque objet ou lieu. Certes, certains gisements ont aujourd’hui disparu sous les grands barrages construits notamment en Turquie mais pour la plupart ils sont encore exploités aujourd’hui. Et l’on comprendra pourquoi le contrôle de la ville de Hît en Iraq est, au fil des millénaires, tant crucial. Pourquoi cet endroit est tant disputé entre Zimri-Lîm de Mari et Hammurabi de Babylone au XVIIIe s av. J.-C, pourquoi il l’est encore de nos jours où une base américaine s’y est installée en 2007. Les sources d’eau salée y véhiculent d’importantes masses d’hydrocarbure et dans cette région l’épaisseur du bitume recouvrant cette eau atteint parfois 4 mètres comme à Ain Jabha au point que les enfants y marchent sur les eaux !

La partie archéométrie est, quant à elle, centrée sur un matériau particulier qui peut sembler bien mystérieux : le mastic de bitume de Suse ! Cette fausse pierre reconstituée, d’une solidité remarquable un peu comme certains de nos plans de travail de cuisine actuels…Mais l’emploi du bitume est bien plus étendu. « La brique leur servit de pierre ; le bitume leur servit de mortier ! » (Genèse XI 3). La confrontation des textes cunéiformes et bibliques aux restes archéologiques nous révèlent toute la gamme de son utilisation aux périodes les plus anciennes. Le bitume est à la fois malléable, thermoplastique et imperméabilisant : les rues, les canaux, les installations sanitaires que ce soit les latrines ou les baignoires ou les simples récipients ou bassines en sont recouverts. Il peut aussi remplacer la colle comme dans l’étendard d’Ur et entrer dans la fabrication des outils. On l’utilise aussi pour s’éclairer ou comme arme de guerre. Entre-t-il dans la composition du baume utilisé pour les momies égyptienne ? Voilà qui avait longtemps fait l’objet de controverses. Et que dire de son utilisation dans la magie, ou dans la chirurgie reconstructrice (une prothèse de l’œil en boule de bitume recouverte d’une mince feuille d’or a été découverte dans l’orbite d’un squelette de femme daté de 2900- 2800 av. J.-C dans le sud-est de l’Iran) ou en médecine ? Lui à qui on fait encore aujourd’hui appel pour guérir les dromadaires de la gale !

Voici un livre pour tout connaitre de l’asphalte sur laquelle nous battons tous les jours nos semelles ; un bon exemple de travail en interdisciplinarité, un livre pour ceux qui aiment la chimie, pour ceux qui aiment l’Histoire, plus simplement pour tous ceux qui, curieux, sont avides de savoir !

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