L’auteur précise d’emblée que cet atlas ne prétend pas à l’exhaustivité mais à « livrer quelques points de repère dans le bouillonnement historique d’une vaste période ». Par ailleurs, la réalisation d’un atlas historique de la France médiévale se heurte à plusieurs écueils. Les principes de la représentation cartographique actuelle sont bien souvent étrangers au Moyen Age. L’espace médiéval est davantage un espace vécu, fait de jeux d’emboîtements et de superpositions, plutôt que de frontières bien délimitées. Tout au long de cette période, la territorialisation progresse mais elle s’exerce d’abord sur les hommes plutôt que sur les territoires. Les jeux d’échelles sont donc essentiels, car ils montrent les connexions entre les différents espaces appréhendés, on dirait les différents territoires appropriés en géographie. Ainsi les échelles d’analyse sont variées : des cartes de l’Occident latin, des royaumes des Francs puis de la France, du Languedoc ou de la Bourgogne, des plans de palais, de villes, de monastères ou d’une seigneurie. Ces différentes représentations cartographiques sont réparties dans quatre chapitres qui suivent un ordre chronologique :
1. La longue durée de la Gaule et le royaume des Francs : La période s’étalant du IVe au Xe siècle apparait comme une lente transformation d’un monde chrétien nouveau, incluant les héritages du monde romain. C’est Rome qui crée les « barbares », en cherchant à fédérer des groupements de populations hétérogènes pour avoir un interlocuteur unique. Au Ve siècle, l’armée romaine n’était déjà plus composée qu’à 25% de citoyens romains. Childéric était considéré comme un général romain à part entière et ils se voyaient, avec son peuple, plus comme des Romains, perpétuant les valeurs de Rome (après 476) que comme des barbares. Son fils, Clovis, hérite de sa fonction de gouverneur de la province romaine de Belgique seconde (en 481 ou 482). Il va donner naissance au « royaume des Francs ». Sa conversion est à replacer dans ce contexte de captation des fondements idéologiques de l’empire romain et de la volonté de se faire reconnaître par une population alors majoritairement chrétienne. Elle assure aussi l’adhésion de l’aristocratie gallo-romaine, sans laquelle il ne pouvait gouverner la Gaule. Ses successeurs seront affublés de surnoms peu valorisants par la propagande carolingienne : « rois chevelus », « rois fainéants ». Pépin le Bref est sacré à Saint-Denis avec ses deux fils Carloman et Charles en 754 par le Pape Etienne II. En 771, le début du règne de « Charles le Grand » est marqué par les conquêtes militaires. Puis il organise l’administration et impose une véritable idéologie impériale, dont le palais d’Aix-la-Chapelle est un des symboles (p.23). Les pages traitant des renaissances carolingiennes sont particulièrement intéressantes. Par exemple, on apprend que Charlemagne entretenait une école (l’ « académie palatine » ) au sein du palais composée de lettrés de différents horizons de et hors de l’Empire (p.24-25). Ce dernier est partagé entre ses petits-fils en 843.
2. La féodalité dans le royaume capétien : L’auteur insiste sur les évolutions historiographiques de l’étude des transformations de la société occidentale entre les IXe et XIIe siècles. On assiste dans cette période à un long processus de féodalisation de la société, qui se traduit par une érosion des autorités centrales au profit de pouvoirs locaux. Ainsi lorsque Hugues Capet monte sur le trône en 987, il n’est sans doute pas le plus puissant des princes. La domination de la terre et des hommes reste la clef essentielle du pouvoir, dans le cadre de la seigneurie. Le domaine royal en 987 ne couvre pourtant qu’une toute petite superficie d’un royaume de France. C’est aussi la période où l’Eglise s’affirme encore davantage. La carte de la diffusion de l’architecture romane et monastique (p.37) traduit à elle-seule l’expression de Raoul Glaber : une « blanche robe d’églises » . Cluny et Cîteaux sont également les symboles de la réforme monastique (p.38-39). Les cathédrales gothiques représentent ensuite la montée de la puissance épiscopale. L’Eglise fait enfin de l’ordre féodal un ordre chrétien. Les représentations de l’organisation sociale des trois ordres par Heiric d’Auxerre, d’Adalbéron de Laon et de Gérard de Cambrai en sont des illustrations (p.41). L’appel aux croisades apparaît alors comme un moyen de « discipliner l’aristocratie guerrière en exaltant les devoirs chrétiens du chevalier. » Dans ce contexte de rivalité sociale, le groupe aristocratique trouve peu à peu une cohésion autour des valeurs chevaleresques et d’une culture courtoise à partir du XIIe siècle.
3. Le « beau Moyen Age » : L’Occident chrétien découvre un « temps nouveau », celui de la ville et du marchand (J. Le Goff). Le XIIe et le XIIIe siècles se caractérisent en effet par un nouveau dynamisme politique, économique et culturel. Cette période est d’abord un moment de redressement de l’autorité royale face aux princes féodaux et d’une territorialisation du pouvoir, résultat de l’extension du domaine des Capétiens. L’essor urbain en est une autre caractéristique. L’auteur souligne que la ville ne s’oppose ni à la campagne, ni à la société féodale : « elle en est le fruit ». Le plan de Reims au XIIIème siècle est un exemple de leur vivacité (p.52). En même temps, s’affirment les communes de plus en plus autonomes au sein desquelles les bourgeois acquièrent des libertés. Liés à cet essor urbain, les échanges s’intensifient. Les idées se diffusent également de plus en plus rapidement. Une catégorie d’intellectuels s’affirme, les premières universités apparaissent.
4. L’automne de la France médiévale : De Louis IX à Philippe le Bel, la royauté féodale laisse progressivement la place à une monarchie de droit divin, juridique et administrative. Las bases d’un État moderne sont jetées. L’idéologie royale s’affirme autour d’un imaginaire politique fédérateur dont la basilique de Saint-Denis est un des symboles (p.71). . Le plan de l’extension du palais royal de la Cité (p.72) reflète parfaitement le développement de cet État royal. Le schéma du démembrement et de la spécialisation de la cour du roi montre également l’avènement d’une administration centralisée et de plus en plus hiérarchisée. Paris s’affirme comme la capitale du royaume. Le jeu d’échelle entre le plan de l’île de la cité (palais royal) et le plan de Paris en 1380 (p.75) est particulièrement intéressant à utiliser avec des élèves. Dans un contexte de croissance, l’apparition de la peste noire à la fin de l’année 1347 constitue un choc tant démographique que psychologique. Crise économique, guerres et dépression sociale s’auto-alimentent aux XIV-XVe siècle. La carte des jacqueries et révoltes de la fin du XIIIe au milieu du XVe siècle est à cet égard impressionnante. Pourtant, la fin de la Guerre de Cent Ans et le règne de Louis XI marquent le début d’une nouvelle ère de prospérité, n’annonçant pas un hiver mais un nouveau printemps.
Par cet atlas, « vulgarisant » les nouvelles connaissances sur la France médiévale, Antoine DESTEMBERG ne cherche pas à réhabiliter cette période historique mais à rappeler comme Jacques Le Goff qu’elle « a créé la ville, la nation, l’État, l’Université, le moulin et la machine, l’heure et la montre, le livre, la fourchette, le linge, la personne, la conscience et finalement la révolution ». L’approche en partie géographique, liée aux cartes mais pas seulement, est intéressante car elle permet de traiter de la « pluralité des espaces vécus, des logiques de concurrence et d’emboîtement des différents espaces ». Pour les enseignants d’Histoire de collège ou de lycée, cet atlas recèle une foule d’informations permettant leur permettant de se (re)mettre à jour de leurs connaissances sur un Moyen Age parfois « imaginé ». Les cartes à différentes échelles et notamment les plans sont d’une grande qualité et peuvent apporter une réelle plus-value en classe.
Trackbacks / Pingbacks