Une bonne partie de la démonstration d’E. Arbabe s’appuie sur le témoignage de César dont la valeur a été l’objet de discussion. Contrairement à M. Rambaud qui pointait chez César une pratique de « déformation historique » et alors que d’autres chercheurs en faisaient un simple compilateur de Poseidonios, E. Arbabe considère que les huit années passées en Gaule par César en font un observateur privilégié et fiable dans la mesure où il n’a pas d’intérêt particulier à altérer la réalité du jeu politique gaulois.
Il s’ensuit une grande attention portée au vocabulaire utilisé afin de recouvrer les réalités cachées derrière des termes issus du vocabulaire politique romain. Pour E. Arbabe, « l’emploi par César de termes issus du lexique social latin doit être considéré comme révélateur de la grande proximité entre la société gauloise et la société romaine » (p. 267). Il y aurait donc une intelligibilité des institutions gauloises par les Romains suffisamment importante pour nous en permettre une perception indirecte.
Les sources impliquent cependant des béances inévitables. Les institutions les mieux connues sont celles des Eduens, alliés de Rome pendant la conquête, mais elles ne sont pas généralisables à l’ensemble du monde gaulois. C’est donc à un travail difficile que s’est attaché l’auteur dont l’ouvrage, signalons-le, ne porte pas sur tous les aspects de la politique des Gaulois mais sur les institutions et leur fonctionnement, avec une attention particulière portée aux évolutions liées au passage d’une Gaule indépendance à une Gaule romaine.Le premier chapitre s’ouvre sur un point historiographique dont l’objectif est de revenir sur la réalité de l’objet observé et de répondre à la question faussement évidente : qu’est-ce que la Gaule ? Camille Jullian avait affirmé au début du XXe siècle l’existence d’un génie, d’une nation et d’une patrie gauloise. Dans une vision diamétralement opposée, C. Goudineau considère que la Gaule est une invention de César motivée par des intentions politiques. Dans ce débat, E. Arbabe se place dans la continuité de J.-L. Brunaux pour qui il existe un « espace politique commun » dont les Gaulois ont conscience.
Cependant les peuples du sud de la Garonne, dans l’espace que César nomme Aquitaine, semblent appartenir à un espace politique distinct avec lequel les contacts sont peu nombreux.
La politique des Gaulois s’incarne dans des assemblées que l’auteur s’attache à distinguer les unes des autres pour en cerner les ressorts. Il semblerait que les assemblées représentant la totalité des Gaulois comme on les retrouve à l’époque romaine autour de l’autel du Confluent à côté de Lyon reposent sur un héritage préexistant. Des coalitions comme celle menée par Bituitos en 121 av. J.-C. impliquent l’existence de ces organes de décision à une période ancienne. L’assemblée annuelle du Confluent ne peut donc être considérée comme une création romaine même s’il n’y avait pas d’équivalent en ce lieu à l’époque de l’indépendance. Les autorités romaines ont semble-t-il adapté des institutions locales à leurs pratiques de domination.
Par ailleurs, si des coalitions ont pu exister à certains moments, les rivalités entre les principaux peuples gaulois apparaissent comme structurantes dans l’espace politique et se traduisent par la volonté d’exercer une forme d’hégémonie. Pour E. Arbabe, les Eduens, dépossédés de leur hégémonie par les Séquanes, récupèrent cette position privilégiée grâce à l’action de César.
En plus des assemblées rassemblant des représentants de différents peuples, il existait une assemblée des druides réunie annuellement en pays carnute. Les attributions des druides touchaient au droit, aux sacrifices, à l’administration. Ils avaient donc également un rôle politique mais les détails de leur activité sont malheureusement peu connus.
Au sein de chaque peuple existe différentes d’assemblées dont le rôle, peu évident à mesurer, est probablement variable d’une communauté à l’autre. Sont ainsi connues des assemblées populaires, des assemblées armées, des conseils aristocratiques. César affirme que la plèbe est dénuée de pouvoir politique mais des découvertes archéologiques récentes à Corent en territoire arverne ou encore au Titelberg chez les Trévires semblent indiquer qu’il y avait peut-être des formes de vote. Les assemblées populaires, dont les pouvoirs sont inconnus, devaient réunir ceux qui étaient considérés comme libres. Strabon affirme que la prise de parole était strictement réglementée dans ces assemblées, ce qui montre que la pratique était profondément ancrée, normée et policée.
Les assemblées armées se contentaient de valider la guerre sans la décider puisque ce rôle revenait au sénat qui occupait le principal rôle politique. Chez les Eduens, le sénat élit sous la présidence des druides le magistrat suprême qui porte le titre de vergobret. Tous les sénats n’ont probablement pas les mêmes droits.
E. Arbabe relève que César n’utilise jamais le terme « sénateur » au singulier pour les Gaulois mais toujours au pluriel. Il en déduit une absence de corrélation entre les statuts personnels gaulois et romain malgré un rôle collectif comparable.
L’ouvrage met également en lumière les différents types de régimes présents en Gaule. Ils traduisent un univers politique riche et loin d’être figé. On peut relever la présence d’un roi chez les Suessions, de deux rois chez les Eburons, d’un vergobret chez les Eduens. Chez les Morins, les institutions centrales semblent quasiment inexistantes. La monarchie paraît en recul au Ier siècle av. J.-C. au profit de régimes de type aristocratique, parfois avec un magistrat unique.
Des transformations s’opèrent avec la conquête. Malgré de lourdes pertes, l’implication militaire des peuples gaulois reste importante en tant que troupes auxiliaires des armées romaines.
La numismatique nous fait connaître de nouvelles fonctions. L’ulatos pourrait être un magistrat monétaire ou peut-être un magistrat de rang plus élevé. De même sont attestés des argentodan(s) jusqu’au début de l’époque augustéenne, peut-être remplacés ensuite par des questeurs. On assiste en tout cas à une relative homogénéisation du cadre politique. L’organisation des provinces met fin aux monarchies, la diffusion du droit latin semble harmoniser progressivement les institutions même si des particularités locales persistent.
E. Arbabe livre ici une étude qui permet de faire le point sur les dernières avancées de la recherche dans le domaine des institutions du monde gaulois. Son ouvrage met en lumière la difficulté et l’exigence méthodologique qu’implique la recherche historique dans ce domaine que nous connaissons finalement peu au-delà de la figure du Gaulois élaborée dans le cadre d’une construction nationale.