La collection des Atlas Autrement n’est plus à présenter, tant elle s’est imposée en quelques années en géographie. Elle repose sur la collaboration entre des universitaires spécialistes d’un sujet et des cartographes professionnels réalisant des figures variées et nombreuses, illustrant des doubles pages thématiques. L’Atlas de l’élevage herbivore en France ne fait pas exception.

Laurent Rieutort, professeur de géographie rurale spécialiste de l’élevage, et trois agronomes (Julie Ryschawy, Caroline Guinot et Auréline Doreau) détaillent en une centaine de pages les principaux enjeux de l’élevage herbivore en France. Le sujet est relativement précis ; l’élevage herbivore comprend principalement les bovins et les ovins mais aussi les caprins et les équins ; en revanche il exclut les granivores des filières avicoles et porcines. L’exclusion de ces dernières filières peut paraître curieuse, au vu de leur importance et de leur médiatisation (avec le « modèle breton » qui semble à bout de souffle tant sur le plan environnemental qu’économique) et elle n’est pas explicitement justifiée dans l’ouvrage. Sans doute s’explique-t-elle par la spécialité des auteurs et par des enjeux différents, notamment sur le plan environnemental (l’Atlas l’évoque page 79), avec une intensivité plus marquée pour l’élevage hors-sol des volailles et des porcins.

L’ouvrage, qui a bénéficié d’une relecture de qualité (fait malheureusement devenu suffisamment rare de nos jours pour être signalé), se fonde sur une approche par le territoire, par le terroir. L’idée centrale est que l’élevage est le cœur d’une filière, d’un système productif, dont le rôle va bien au-delà de la production de lait et de viande. Le sous-titre souligne cette coloration donnée à l’Atlas et à l’historien viendra à la lecture de cet Atlas la citation attribuée à Sully : « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France », d’autant que les auteurs insistent à maintes reprises sur la complémentarité entre élevage et agriculture à travers le système « polyculture-élevage » qui reste encore vivace en France. Le travail des auteurs est appuyé sur des sources solides comme les statistiques de la FAO (échelle mondiale) et celles du Ministères de l’Agriculture française avec AGRESTE et les RGA (Recensement Général Agricole).

Le plan du livre comprend six parties : un cadrage mondial pour replacer la filière française à une autre échelle essentielle, une partie sur le territoire à caractère (géo)historique, une approche économique qui montre l’importance de la filière en termes de revenus et d’emplois, une partie sur les enjeux environnementaux puis une sur le volet social, pour finir de compléter le triptyque des piliers du développement durable. En effet c’est bien le défi de la durabilité, dans tous les sens du mot, qu’entend souligner cet Atlas, dont la dernière partie revêt un caractère prospectif : l’élevage est en mutation, mutation inachevée aujourd’hui encore et qui va se poursuivre sous l’effet de multiples facteurs (changement de la demande, exigence de traçabilité, évolutions techniques, etc.). Le plan pose parfois question puisque certains éléments classés dans une partie semblent avoir toute leur place dans une autre, notamment quand ils font explicitement référence à l’histoire ou à l’avenir mais qu’ils ne se situent pas dans les parties traitant de ces thèmes. Malgré tout il fallait faire des choix et cela reste cohérent ; les parties sont parfaitement équilibrées également.

Au-delà des éléments généraux sur l’importance de l’élevage (qui occupe une emprise correspondant à 20 % du territoire national), l’apport essentiel de cet Atlas consiste en une mise à jour critique des savoirs et données. Les auteurs insistent ainsi sur la complémentarité entre l’élevage herbivore et l’agriculture, pour dépasser la simple opposition entre élevage extensif et élevage intensif : les systèmes mixtes représentent deux tiers de l’élevage d’herbivores au moins sur la planète, devançant largement les systèmes pastoraux et les systèmes industriels, y compris en France. Le livre souligne aussi ce « basculement du monde » avec l’émergence de la Chine, qui produit autant de viande que l’Union Européenne et les États-Unis réunis mais qui représente aussi un débouché important pour le système productif de l’élevage français (voir l’usine de fabrication de lait en poudre pour les Chinois en Normandie). La dialectique entre ouverture et fermeture, classique en géographie, n’est pas en reste, avec une analyse à différentes échelles (nationale avec la France, européenne avec la Politique Agricole Commune) montrant comment chacun cherche à trouver des débouchés tout en protégeant son marché intérieur.

Un autre point marquant est l’analyse de la mutation du métier d’éleveur (approche donc à l’échelle individuelle), un métier confronté à la complexité de l’alimentation (de la gestion de l’herbe de l’exploitation à l’achat de compléments alimentaires extérieurs) et du suivi des animaux ; cette complexité explique un niveau de qualification désormais supérieur à la moyenne française dans la profession, loin du cliché du berger illettré isolé. Enfin l’Atlas rappelle que les critiques portées à l’élevage herbivore à propos des atteintes à l’environnement peuvent être nuancées : une partie des émissions de gaz à effet de serre sont compensées par les prairies nourrissant les animaux tandis que les chiffres avancés dans les médias sur la consommation d’eau (plusieurs milliers ou dizaines de milliers de litres d’eau pour un kilogramme de viande) peuvent être largement relativisés en considérant que la pluie serait quand même tombée et que la végétation aurait quand même poussé, même s’il n’y avait pas d’élevage…

Cet ouvrage, malgré quelques documents complexes à lire ou quelques cartes sémiologiquement incorrectes (avec des quantités représentées par des aplats de couleurs qui biaisent la lecture, en lieu et place de symboles proportionnels), sera utilisé avec profit par les candidats aux concours de l’enseignement du CAPES et des agrégations, à propos de la question sur la mutation des systèmes productifs en France puisque c’est la mutation d’un secteur-clé qui est au cœur de l’Atlas de l’élevage herbivore en France. Les enseignants de Troisième et de Première pourront aussi tirer de belles études de cas pour mettre en œuvre les chapitres sur les espaces productifs, en montrant l’insertion de l’élevage bovin dans une dynamique mondialisée ou les difficultés de certaines régions gagnées par une déprise rurale. L’Atlas offre en effet des documents permettant une approche mutiscalaire, de l’exploitation (avec des photographies aériennes commentées) au monde en passant par de belles cartes de remises en perspective à l’échelle nationale comme le suggèrent les recommandations d’Eduscol. Une double page est également dédiée aux paysages, à leur évolution et à celles de leurs représentations.