Cet ouvrage montre des représentations graphiques révélatrices de ce que les données peuvent nous dire. « L’atlas de l’invisible est donc une ode à ce qu’on ne voit pas, à un monde d’informations que l’on ne peut pas transmettre uniquement par des textes ou des chiffres ».

Après avoir donné quelques repères sur l’histoire de la cartographie, James Cheshire et Olivier Uberti proposent des visualisations qui nous donnent le pouvoir de prendre de la distance, de comparer, de nous souvenir. Bref, il s’agit de voir le monde sous un jour nouveau. Le livre est structuré en quatre parties et offre un véritable plaisir de lecture.

D’où venons-nous ?

Les auteurs évoquent la question de la localisation des vagabonds au XVIII ème siècle et se demande si nous n’avons donc rien appris de cette période par rapport à aujourd’hui ? La relocalisation ne met pas fin à l’existence des sans-abri, elle ne fait qu’empêcher de les voir. Le livre propose aussi une façon originale de représenter les camps et le destin de quelques témoins durant la Seconde guerre mondiale. En effet, l’idée centrale est de dire que nos souvenirs ne coïncident pas toujours avec l’espace géographique. Il faut donc envisager d’autres façons de représenter ce qui s’est alors passé pour chacun d’entre eux. Le livre propose une double page qui traduit cette idée. Un article est également consacré puis on découvre une très intéressante visualisation des traites négrières qui montre, entre autres, l’importance du Brésil. Sur un point plus léger, les auteurs s’arrêtent sur l’âge des génies.

Qui sommes-nous ?

Une entrée est consacrée à l’importance du recensement aux Etats-Unis. Compter la population pour fixer et distribuer le nombre de sièges au Congrès était à l’origine une idée révolutionnaire. On voit quelques exemples étonnants de découpage des circonscriptions. On découvre des informations inattendues. Ainsi, aux Etats-Unis, il existe 4 millions de va-et-vient quotidiens entre les états américains et on s’aperçoit que ces mouvements ignorent complètement les frontières officielles. Une autre représentation graphique originale montre la diversité d’utilisation du vélo dans différentes villes à travers le monde. Le chapitre se termine par une visualisation sur les câbles sous-marins. A la vitesse fulgurante de 200 térabits par seconde, le câble le plus rapide du monde pourrait transférer des Etats-Unis à l’Espagne l’ensemble des 280 millions de disques vendus par les Beatles dans le temps qu’il faut pour lire cette phrase.

Comment allons-nous ?

Bruno Latour a comparé le pouvoir d’une carte à  » la manière dont quelqu’un convainc quelqu’un d’autre d’adopter un énoncé et de le transmettre pour qu’il se transforme en fait ». Les auteurs rappellent le rôle de Du Bois dans la représentation des Noirs. Il fut un pionnier de la sociologie afro-américaine et un défenseur des droits civiques. Sur des périodes plus récentes, on constate que le développement des données ouvertes offre une mine inépuisable d’histoires à exploiter. En 2019, une application a servi aux habitants de Hong-Kong à se rassembler pour manifester. Le but était de les aider à réagir aux mouvements de la police. Dans un autre domaine, un article montre combien le monde est plus ou moins ouvert selon le passeport que l’on possède. L’Afghanistan se trouve tout en bas de l’échelle : il n’autorise aucun citoyen étranger à entrer sans visa et son passeport n’est valable que pour voyager trente jours. Les auteurs proposent également le cas de Taïwan qui a mis en place une police de l’air. On a encore d’autres cartes étonnantes comme celles qui révèlent des opérations de la guerre du Vietnam grâce à une mine de dossiers déclassifiés.

Où allons-nous ?

Cette partie commence par des informations sur la météorologie. En 1961, le présentateur put pour la première fois montrer en direct à la télévision l’oeil d’un ouragan. Aujourd’hui, le traçage des navires de pêche peut permettre de révéler des activités illégales. Les satellites font désormais partie des moyens utilisés pour les premiers secours comme le montre l’exemple d’un séisme en 2018. Grâce aux images avant-après cela a permis de mesurer l’ampleur des déplacements de terrain. Ainsi, on peut mieux cibler les zones sur lesquelles intervenir prioritairement. Facebook veut numériser toutes les routes de la planète. Chaque mois, 40 000 contributeurs s’inscrivent sur Openstreet map pour cartographier leur quartier  par exemple.

Epilogue

Il est fondamental de mesurer que les données nous permettent d’améliorer notre compréhension du monde. Les auteurs reviennent sur la période du covid et développent l’exemple de la politique menée par la Corée du sud. La question de la préservation de la vie privée se pose et se posera toujours plus. Chacun doit être conscient qu’il crée des miettes numériques par ses activités quotidiennes. Le livre prend le temps de décortiquer l’exemple d’un tweet et montre combien de données il contient. Le livre se termine par quelques pages sur les projections cartographiques.

Cet ouvrage propose une approche qui renouvelle la cartographie. Les données sélectionnées permettent d’établir de nouvelles représentations. Stimulant et agréable visuellement, voilà en tout cas un atlas qui rend bien visible ce qui jusqu’alors était invisible. Pari réussi et plaisir de lecture garanti.