Mick Ashworth, cartographe et membre de la Royal Geographical Society de Londres, rend compte dans son ouvrage de la mise en place progressive et évolutive du langage cartographique. A toutes les époques, le cartographe cherche à traduire une part de vérité de la représentation du monde géographique et donne à voir une interprétation d’un espace. Au fil du temps, pour le rendre compréhensible et lisible, des conventions se mettent en place. Le langage cartographique s’enrichit et se précise.
La conception d’une carte suppose des choix qui s’opèrent à partir de l’usage de symboles, de leur combinaison, de leur traitement donné. Ces choix varient selon leur destination : militaire, administrative, marine, routière…

La structure des cartes

La carte de Mercator (1569) place le nord au sommet. L’introduction de la boussole en Europe et la redécouverte au XVe siècle des instructions cartographiques de Claude Ptolémée ont influencé cette adoption pour une orientation des cartes vers le nord, au temps des Grandes découvertes. Auparavant la norme dans l’occident chrétien privilégiait une orientation (du latin oriens, qui désigne l’est) à l’est. L’Asie est placée en haut, car Jérusalem (sorte de paradis terrestre) doit être près du ciel. Ce qui occupe la partie supérieure compte davantage.
On a retrouvé à Nuzi (actuellement en Irak) une tablette mésopotamienne en argile, datée d’environ 2 300 ans avant notre ère, qui est à la plus ancienne représentation cartographique indiquant une orientation (à l’est).
Les cartes arabes (comme celles d’al-Idrissi) sont orientées vers le sud, la direction sacrée du zoroastrisme, mais aussi de La Mecque depuis Bagdad.

Le principe d’un système de coordonnées géographiques terrestres, la latitude et la longitude, a été élaboré par Ptolémée d’Alexandrie, dans sa Géographie, publiée vers 150 avant notre ère. L’époque médiévale redécouvre l’œuvre de Ptolémée. Vers 1490, apparaît la première carte de l’époque moderne indiquant des latitudes et des longitudes. On la doit à Heinrich Hammer.
Alors que Ptolémée avait fixé son méridien origine sur les îles Canaries, l’extrémité occidentale du monde connu alors à son époque ; les délégués des vingt-cinq pays de la Conférence internationale des méridiens réunis à Washington en 1884 choisissent Greenwich comme zéro international pour la longitude et lieu de référence pour le calcul de l’heure à travers le monde.

Les premières projections cartographiques remontent à Hipparque au IIe siècle avant JC. Il pose la difficulté de transposer, « projeter » un objet sphérique tridimensionnel en une vision sur deux dimensions, comme quand on retire la peau d’une orange qu’on dispose à plat sur une table. Les travaux de Mercator au XVIe siècle (projection cylindrique) constitue une révolution dans ce domaine, tant sur le plan théorie que pratique. Les approches vont au fil du temps se diversifier, modifiant les orientations, les angles, distordant les formes et ajustant les surfaces.
La projection de Mercator a été critiquée en raison de la déformation des surfaces terrestres qui ne tient pas compte de la véritable dimension des continents. La proposition de Peters (1973) tente de corriger cette représentation. Son planisphère reconnaissable avec sa forme très allongée des parties de continents situées sous le tropique du Cancer, donne la prééminence aux pays en voie de développement.

La Yu ji tu (la carte chinoise des pistes de Yu), gravée dans la pierre est une des plus anciennes cartes à appliquer un carroyage. Elle a été conçue vers 1137. Chaque carreau mesure 100 lis, soit 57 kilomètres.
Pendant la Première Guerre mondiale, le quadrillage des cartes sert à comptabiliser les soldats tués.
Un intéressant extrait d’une carte militaire britannique au 1 : 40 000 montre l’usage d’une grille pour décompter au crayon bleu le nombre de morts pendant la bataille du bois Delville, dans la Somme, en 1916, en vue de leur inhumation. Chaque carreau correspond à 500 yards, soit 460 mètres.

La conception d’une carte suppose de déterminer l’espace à représenter, et donc de définir l’échelle la plus appropriée. La préoccupation de ce rapport entre l’échelle retenue et la réalité sur le terrain est très ancienne. Une statue datée d’environ 2200 ans avant notre ère représente Gudea, roi de Lagash, tenant le plan d’un temple avec l’indication par une règle graduée de l’échelle.
Le système métrique né pendant la Révolution française permet d’établir l’échelle en termes mathématiques.

La légende donne des clés de lecture. Elle est un outil pour la compréhension des cartes, et devient un élément conventionnel de la cartographie. Avec le développement des séries topographiques, les légendes, sorte de notices explicatives, se généralisent et se complexifient, notamment lorsque les cartes fourmillent de détails. En fonction de la thématique retenue et du public concerné, le cartographe opère des choix pour être amené parfois à se passer d’explication de certains figurés.

Les ornements embellissent les cartes avec des cartouches et des bordures. La science laisse alors une place à l’expression artistique. Au XVIIe siècle, dans les Provinces-Unies, l’éditeur Blaeu publie (en 1606) un des meilleurs exemples de ce raffinement. Son planisphère s’accompagne dans les marges de dessins soignés des quatre saisons et des quatre éléments, ainsi que des planètes et des sept merveilles du monde. Les Hollandais dominent alors la production cartographique.
Le Theatrum orbis terranum d’Abraham Ortelius (1570), est perçu comme le premier « atlas » au monde. Les cartouches enrichissent la publication. Par la suite, ces illustrations peuvent avoir une portée symbolique par la représentation d’armoiries, de drapeaux, de figures mythologiques, de vertus… La mode de ces ornementations passe à la fin du XVIIIe siècle. Dès lors, on préfère une conception plus « scientifique », autrement dit plus fonctionnelle.

Les symboles

Cette partie traite du langage cartographique. Il convient de simplifier et codifier les informations à représenter par des formes simples : points, lignes, surfaces. Au fil des siècles les symboles abstraits s’imposent.
La copie médiévale (du XIIe siècle) de la célèbre table de Peutinger (vers 300 après JC) fait apparaître une approche hybride des symboles utilisés. Alors que les routes sont tracées par une seule ligne rouge, les villas et les temples sont dessinés. Au XIXe siècle, le nombre de symboles augmentant, une homogénéisation se mit en place.

L’ouvrage reproduit les contributions gagnantes du concours organisé par l’Ordnance Survey (le service cartographique britannique) en 2015 pour la création de nouveaux symboles cartographiques, autant esthétiques que fonctionnels.
De tout temps, les objectifs sont la clarté et la compréhension du propos cartographique. Afin de permettre d’en saisir les nuances et les hiérarchies de l’espace, le recours à des variables graphiques ou visuelles (la forme, la taille, la couleur) s’est généralisé.

L’auteur présente rapidement les trois grands types de figurés (reposant sur trois symboles élémentaires : les points, les lignes, les surfaces), notamment à travers des exemples historiques significatifs.
Lors de la crise de Cuba, Kennedy griffonna des croix pour localiser les missiles soviétiques. Dans l’urgence de la situation, le recours à la plus simple expression de figurés ponctuels suffisait.
La carte topologique du métro de Londres, créée par Harry Beck en 1933, montre un réseau de lignes. Ces figurés linéaires écartent la précision géographique afin que l’usager ait une vision synoptique de l’enchaînement des localités, des gares et des interconnexions existantes.
Pour ce qui concerne les figurés de surface, la carte des accords Sykes-Picot de 1916 (négociations portant sur le démantèlement de l’Empire ottoman), coloriée à la main, est un exemple intéressant. Le bleu correspond aux zones placées sous le contrôle des Français et le rouge celles sous administration britannique.
Bien avant que l’on établisse des conventions de couleur, les Grecs associaient déjà des teintes pour désigner les quatre éléments : le blanc pour l’air, le noir pour la terre, le rouge pour le feu et l’ocre (ou le jaune) pour l’eau.

La représentation du relief

Les sondages maritimes précèdent les relevés d’altitude (points cotés). Pierre Pourbus en 1551 représente pour la première fois les profondeurs océaniques, celles de la côte flamande. L’indication des altitudes terrestres se développe au XVIIIe siècle. John Laurie, en 1763, est le premier à considérer qu’il faut prendre le niveau de la mer comme référent altimétrique (le zéro). Ainsi chaque pays choisit son propre point de référence : Marseille pour la France, Alicante pour l’Espagne, Newlyn dans les Cornouailles pour le Royaume-Uni.
Les sondages océaniques visent à garantir la sécurité des marins en évitant les périls.

Le cartographe maltais Giovanni Francesco Abela commence à utiliser les hachures en 1647.
Avec les progrès de la gravure sur cuivre, l’Autrichien Johann Georg Lehmann invente en 1799 les hachures de pente, pour représenter l’inclinaison et la direction du relief. Au cours du XIXe siècle, les cartographes suisses améliorent cette technique, qui annonce le procédé d’ombrage des zones montagneuses.

On doit au mathématicien et géomètre Charles Hutton, en 1774, le concept de courbes de niveau, en réunissant les points relevés d’une même altitude. En 1791, le Français Jean-Louis Dupain-Triel adopte de manière méthodique ce procédé à une carte de France.

Lors de l’exposition universelle de Paris en 1878, les visiteurs découvrent la technique des couleurs de couches ou teintes hypsométriques pour indiquer l’altitude, perfectionnée par l’écossais John Bartholomew.
Une gradation de bleus, du plus clair au plus foncé voit le jour pour les données bathymétriques.

Toponymes et frontières

Le traitement des toponymes peut s’avérer complexe, entre utilisation des noms locaux, d’exonymes, selon la langue de publication. Mais aussi recours à une transcription ou translittération pour obtenir une forme conventionnelle (de l’alphabet romain). Au fil du temps, avec l’évolution des préférences linguistiques et l’adoption de nouveaux noms (exemple : Kolkata/Calcutta) les toponymes se modifient.
Loin d’être universel et consensuel, le choix d’un toponyme renvoie aux tensions géopolitiques, qui opposent golfe Persique à golfe Arabique et mer du Japon à mer de l’Est.

La question du tracé des frontières internationales reste sensible. On peut s’appuyer sur quelques exemples. Déjà au début de l’époque moderne, le planisphère de Cantino conçu en 1502, montre le partage du Nouveau Monde entre l’Espagne et le Portugal résultant du traité de Tordesillas en 1494. Plus tard la carte « Red Lined » (« à lignes rouges ») de John Mitchell de 1755, représentant les dominions britanniques en Amérique, a servi pendant les négociations du traité de Paris de 1783 pour établir les limites territoriales des États-Unis d’Amérique.

La typographie a son importance, pour rendre lisible la toponymie, en variant le style et les formes de la police de caractères. La façon de représenter les textes sur une carte semble être une préoccupation dès l’époque de Mercator.

Les cartes thématiques

Les prémices de la carte thématique débutent en 1854, lorsque le médecin John Snow cartographie avec précision l’emplacement des cas de décès durant l’épidémie de choléra dans le quartier de Soho à Londres. Il s’agissait de constater que l’on mourait davantage à proximité de la pompe à eau de Broad Street.

En guise d’exemples de premières cartes thématiques de l’histoire, Mick Ashworth cite la carte des courants océaniques d’Athanasius Kircher (1687) et celle de l’astronome Edmond Halley qui montre les vents (1686). Ce dernier est le premier à utiliser les isolignes pour représenter les variations du champ magnétique terrestre.
L’Allemand Alexander von Humboldt propose une carte des isothermes en 1817.

La carte de l’ingénieur des ponts et chaussées Charles-Joseph Minard (1869) figure les pertes successives en hommes de l’armée française pendant la campagne de Russie de 1812. L’épaisse ligne brune, qui représente les effectifs au cours l’avancée des troupes napoléoniennes, s’amenuise progressivement. La ligne noire du retour est particulièrement effilée. Cet exemple de carte thématique est particulièrement efficace dans sa conception.

Les conventions spécifiques

Il revient à William Smith d’être le créateur de la carte géologique, avec la publication de sa Delineation of the Strata of England and Wales (1815). Les couleurs représentent les types de roches, et l’intensité des teintes leur profondeur relative.

A la fin du XVIe siècle, Lucas Janszoon Waghenaer fixe la norme des cartes marines en établissant des conventions, par exemple des petites croix pour figurer les roches immergées.
La carte Pisane, vers 1290, reste le plus ancien portulan conservé. Déjà des conventions se mettent en place : les noms des grands ports sont écrits en rouge, et ceux d’une moindre importance en noir. Elle est reconnaissable à ses loxodromies, ces lignes qui coupent les méridiens terrestres sous un angle constant formant ainsi des routes qui facilitent la navigation.

Les premières cartes militaires ont été découvertes à Changsha en Chine. Elles datent du deuxième siècle avant notre ère. Imprimée sur soie, on y voit les positions des unités de soldats, les postes de commandement, les tours de guet et les agglomérations avec leur nombre d’habitants.
En Europe, les premières cartes de ce type sont conçues à la fin du XVe siècle.
Enjeu majeur dans un conflit, les cartes jouent un rôle déterminant. On recense la fabrication de 34 millions de cartes par les Britanniques durant la Grande guerre. La reconnaissance aérienne fournit des renseignements essentiels.

Cet ouvrage, d’accès très facile et bien utile, va à l’essentiel, et rend sa lecture très agréable. Il n’a pas vocation à l’exhaustivité. Les exemples sont bien choisis. Les nombreuses illustrations accompagnent parfaitement le texte.
A noter toutefois, parce qu’il s’agit d’un auteur anglo-saxon, que les références à l’histoire de la cartographie britannique prédominent.