James CHESHIRE est professeur de géographie et de cartographie à l’University College de Londres. Oliver UBERTI est designer. Dans cet atlas, ils nous proposent une soixantaine de cartes avec pour objectif de nous ouvrir « les yeux sur le monde d’aujourd’hui et de demain ». Elles sont complétées par des textes, traduits par Laurent CANTAGREL et Martine SGARD, qui ouvrent chacune des parties : D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Comment allons-nous ? Où allons-nous ?

Pendant des siècles, les atlas représentaient en effet ce que les gens pouvaient voir autour d’eux : des routes, des rivières, des montagnes. Aujourd’hui, nous avons besoin de représentations graphiques révélant les modèles invisibles qui façonnent nos vies. « L’Atlas de l’invisible est une ode à ce que l’on ne voit pas, à un monde d’informations que l’on ne peut pas transmettre uniquement par des textes ou des chiffres ». On le peut aujourd’hui grâce à la révolution numérique qui, dès le début des années 1960, nous permet plus rapidement et plus facilement de représenter (carto-)graphiquement des informations de plus en plus nombreuses, variées et diffuses. « A chaque seconde, les données du monde entier s’accumulent en un écheveau toujours plus grand. » L’objectif est donc principalement de rendre visibles des schémas ou des tendances, et non des lieux.

Le début de l’atlas est consacré à l’analyse et à la visualisation d’ensembles de données qui remettent en question certains mythes concernant notre passé, notamment ceux concernant la façon dont les humains se sont déplacés à travers le monde. On est surtout ému par la carte sensible de WESTERVELD (p.32-35) retraçant les trajets des survivants de la Shoah : Jacob BRODMAN et Anna PATIPA. « Pour chaque lieu évoqué, il a dessiné un cercle ou une tache de taille proportionnelle à celle de ce lieu par rapport aux autres (échelle relative) et dont l’opacité correspondait à la fréquence avec laquelle ce lieu était mentionné (c’est-à-dire son importance dans le récit du témoin) ». De même, les représentations schématiques de la traite négrière transatlantique (p.48-51) sont un moyen de mieux représenter les flux entre régions d’embarquement et de débarquement et de rendre hommage à « ces millions de personnes dont nous n’entendrons jamais l’histoire ».

Ensuite, plusieurs cartes nous montrent en quoi l’afflux de données nous venant des téléphones mobiles ou des satellites et les modélisations informatiques nous renseignent sur ce que nous sommes, individus ou sociétés, des fois bien plus que de bons vieux recensements de populations. Ainsi elles ont permis de repérer les lieux où la population avait diminué après le passage de l’ouragan Maria à Porto Rico (p.70-71) et de mesurer approximativement les transferts de population vers la Floride. Les géographes Garrett NELSON et Alasdair RAE (p.72-75) proposent de leur côté de redéfinir les frontières des Etats américains en se basant sur les déplacements pendulaires de leurs habitants. On peut aussi représenter la révolution des deux-roues (p.88-89) par un graphique combinant le nombre de vélos en libre-service dans une métropole et le nombre de trajets effectués chaque jour. S’opposent alors Auckland en Nouvelle-Zélande et Rio de Janeiro au Brésil.

Par ailleurs, les cartes peuvent être une grande alliée de la démocratie, révélant les inégalités voire les exclusions. Des cartes à différentes échelles ou des schémas peuvent nous montrer les émissions de gaz à effet de serre des avions (p.112-115), la pollution atmosphérique due aux déplacements ou à l’industrie en Europe (p.116-117), la gentrification de certains quartiers et donc le déménagement d’habitants à New York (p.126-127) ou même les inégalités des tâches ménagères (p.130-131). Mais « elles ne suffisent pas à faire cesser les injustices ».

Autre thème dont nous sommes de plus en plus témoin : le réchauffement climatique. « Il influence tout, depuis les ouragans jusqu’au pèlerinage à La Mecque ». Le monde se réchauffe globalement d’année en année mais une comparaison de cartes de 1890 à 2019 (p.153-157) montre que ce phénomène n’est pas uniforme. A ce point que le risque encouru par les pèlerins de La Mecque en 2044-2051 et 2075-2083 – les années où le hajj a lieu pendant les mois chauds – sera très élevé avec des températures avoisinant les 50°C (p.158-159). Là encore les incendies (p.160-161), l’augmentation de la température marine (p.162-163), la fonte du champ de glace de Juneau aux Etats-Unis (p.164-165) ou l’élévation du niveau de la mer (p.168-169) peuvent être cartographiés, rendant l’invisible visible, mêmes pour les plus sceptiques. Davantage que « lanceuses d’alertes », ces cartes doivent d’abord être des aides à la décision.

Cet altas est d’abord une source d’émerveillement devant les capacités infinies permises par la collecte et le traitement des données. Les représentations utilisées sont souvent originales, mais toujours avec l’objectif de la clarté au service de l’information. Les changements d’échelles, parfois sur des double-pages, sont particulièrement pertinents : ce qui ne se voit pas à une certaine échelle peut se voir sur une autre, ou différemment. Toutefois, l’auteur conclut sur l’importance de la gestion de ces données qui, par leurs représentations graphiques, peuvent constituer une aide à la décision au-delà d’un simple constat. Mais la pandémie du Covid-19 montre également qu’une sur-collecte de données infiniment personnelles (notamment médicales) par les gouvernements, particulièrement dans les pays asiatiques, peut être une source de danger et une menace, celle-ci, bien visible.