Cet Atlas est une deuxième édition (la première date de 2012) revisitée par de grands spécialistes des questions coloniales ou du « fait colonial » comme on aime à le qualifier depuis les années 2000. Depuis les recherches outre-Atlantique appelées les « Post colonial studies », les sociétés coloniales sont largement interrogées dans leur interaction selon la notion d’agency, faisant référence à l’idée de résistance à toutes les dominations, la possibilité de l’individu de tirer partie de sa position même si cette dernière se situe en bas de l’échelle, malgré les contraintes imposées. Les rédacteurs de cet ouvrage ont largement contribué aux recherches sur ces questions : Jean-François Klein est professeur d’histoire contemporaine à l’université du Havre-Normandie et chercheur au CNRS. Pierre Singaravélou est aussi professeur d’histoire contemporaine à Paris 1, chercheur au CNRS et membre de l’Institut universitaire de France. Marie-Albane de Suremain est maître de conférence en histoire à l’UPEC-ESPE de Créteil et membre du laboratoire CESSMA de l’université de Paris-Diderot. Elle a contribué à un ouvrage édité par Canopé « Enseigner les colonisations et les décolonisations », indispensable manuel pour traiter de ces sujets avec nos classes, alternant des mises au point scientifiques et des propositions didactiques très détaillées.
L’Atlas des empires coloniaux fournit un écho à cet ouvrage, les illustrations nécessaires aux cours que nous pouvons bâtir dans le secondaire. Le programme de 2016 en 4ème aborde le sujet dans le chapitre 2 du thème 2 : Conquêtes et sociétés coloniales où il est précisé que les élèves pourront découvrir le fonctionnement d’une société coloniale. L’ouvrage décrit comprend quatre parties illustrant largement le sujet.
La première partie présente les continuités et les mutations des empires au XIXe siècle : à partir des empires coloniaux d’Ancien-Régime, s’opère un déplacement de gravité grâce à l’expansion ultra-marine multiforme des puissances coloniales, anciennes et plus récentes. Voyages et explorations n’aboutissent pas forcément à des entreprises de colonisation, mais aussi à une domination informelle en passant par le comptoir, le protectorat et la concession (rencontres d’organisations sociales et politico-religieuses, de modèles spatiaux et de logiques territoriales spécifiques…) Des études de cas d’expansions et de résistances sont à puiser dans cet atlas pour nourrir nos cours et nos diaporamas. Si l’expansion coloniale a suscité des résistances multiples, ces dernières sont vaincues par la supériorité de l’armement industriel des puissances expansionnistes et leur capacité à nouer des alliances locales. Le blanc des cartes se colorise pour marquer les conquêtes ou les emprises territoriales. Des échanges dissymétriques s’établissent grâce à l’exploitation minière et agricole des colonies associée à l’exploitation d’une main-d’œuvre soumise ainsi que leur potentiel débouché pour des productions industrielles métropolitaines.
La deuxième partie dépeint les impérialismes triomphants et leurs rivalités qui aboutissent à la Première Guerre mondiale alors qu’un grand effort de mise en relation des territoires coloniaux et des empires ont été réalisés, polarisés par de grandes villes portuaires comme Marseille ou Singapour. 1919 marque un tournant. L’Allemagne se voit confisquer ses territoires d’outre-mer tandis que Moscou et Pékin refusent l’impérialisme. Parallèlement, les États-Unis et le Japon deviennent des puissances coloniales. Le sang versé pendant le premier conflit mondial (16 % des effectifs français mobilisés viennent des colonies) introduit des ferments de changements sous formes d’oppositions multiformes qui doivent être prises en compte par les métropoles.
En partie médiane, cet atlas est une mine de documents sur la vie dans les colonies entre les deux guerres, entre interactions et tensions : les profits issus de l’économie coloniale, la main-d’œuvre employée et la circulation entre les espaces (importance des coolies, le travail forcé, l’action sanitaire pour préserver des populations utiles avec l’appui de colonisés formés mais subalternes), l’organisation variée des villes qui séparent les coloniaux des « indigènes », les systèmes éducatifs avec des taux de scolarisation des colonisés extrêmement faibles cantonnés dans le primaire sauf chez les Japonais et les États-uniens,la religion ou plutôt la pluralité religieuse avec des cas intéressants de syncrétisme et enfin un sujet original qui est le tourisme dans les colonies. Des politiques de préservation de l’environnement et de conservation de certains sites archéologiques sont mis en place (Angkor, Palmyre) parfois en contradiction avec les intérêts économiques. L’administration directe française est un mythe réaffirmé dans cet ouvrage. Un des paradoxes de la colonisation est le peu de colons physiquement présents sur le terrain. Ceci souligne l’importance des représentations de l’emprise coloniale et de l’appui nécessaire des métropoles sur des auxiliaires autochtones. Participer à l’entreprise coloniale peut offrir des chances de promotion sociale inespérée. Cependant des révoltes comme les répressions se multiplient. Ces mouvements sont animés par deux forces politiques émergentes, les nationalistes et les communistes. Les élites colonisées, même occidentalisées, restent dans des situations subalternes et la pression coloniale croissante alimente des contestations et encourage des revendications canalisées par des partis, des associations qui aspirent à une indépendance nationale.
La dernière partie interroge les circulations et les réseaux que suscitent les empires coloniaux. Si en Europe se créent des musées des colonies, des expositions « d’art nègre », la présence des colonisés au cœur des capitales est souvent une étape déterminante qu’il s’agisse d’élites ou de simples travailleurs. La contestation à l’ordre impérial s’apprend souvent en métropole. Parallèlement, une certaine acculturation s’opère en Europe dans les goûts, la cuisine, les arts décoratifs avec cet exotisme fantasmé présent dans les spectacles, les livres…
Le second conflit mondial exacerbe le rôle des empires dans les stratégies des métropoles et stimule les velléités d’indépendance. L’ONU et les deux grandes puissances vainqueurs soutiennent les aspirations des peuples colonisés à fonder des états nations alors que l’Europe meurtrie n’envisage pas encore la voie de la décolonisation.
On peut regretter que cet ouvrage complet et fort utile soit édité en format de poche ce qui rend parfois difficile la lecture des légendes. Attention aussi à la place des illustrations des textes proposés qui peut induire en erreur, comme page 79 où il est question de l’administration lacunaire de l’AEF et le graphique associé est le nombre d’employés au Dahomey en 1904, région située en AOF.