« Chez de Gaulle, il n’y a pas de Charles » note André Malraux dans Les chênes qu’on abat.

Si pour le Général, un homme de caractère doit préserver une part de mystère, la grandeur impose aussi une réserve sur la manifestation des sentiments et l’exposition de la vie privée. Ainsi s’exprime Bonaparte : « Oui, c’est triste comme la grandeur ! « 

Fruit de la collaboration entre le ministère des armées et l’ECPAD, la fondation Charles de Gaulle, les archives nationales et le SHD (Service historique de la Défense), cet ouvrage collectif réunit des documents souvent inédits pour atteindre une image peu connue, inattendue du Général. La préface de Julian Jackson, « le plus français des historiens britanniques », explique la fascination de ceux qui ont rencontré l’homme du 18 juin. Ce dernier a su si bien surprendre. L’année de Gaulle (130 ans de sa naissance, 80 ans de l’appel et 50 ans de sa mort) a permis la parution d’archives inédites, insolites, qui complètent les nombreuses biographies parues pour l’occasion.

De Gaulle inattendu se subdivise en cinq parties chronologiques qui rassemblent des documents variés, beaucoup de photos et de lettres, présentés par des historiens, des archivistes ou même des témoins des événements, certains peu connus.

La carrière militaire

L’homme providentiel est-il prédestiné ?

Dans les notations de Charles de Gaulle à Saint-Cyr, le jeune officier est classé 13e derrière Alphonse Juin. Puis il sera qualifié de piètre exécutant à l’École supérieure de guerre, sorti seulement 53e, dans le ventre mou du classement : « il gâte malheureusement d’incontestables qualités par son assurance excessive ».

Le lecteur apprend que la future épouse fait l’objet d’une enquête de moralité comme toute femme qui souhaite se marier un officier. « La moralité de Mademoiselle Yvonne Vendroux est irréprochable ».

Les documents sur les 18 mois passés en Pologne de 1919 à 1920, montrent la réflexion du jeune capitaine sur la guerre de mouvement. En témoignent ces notes jetées hâtivement sur le maréchal Pétain datées des années 30. Elles préparent La France et son armée,  publié en 1938.

La France libre

En 1940, De Gaulle désobéit alors que Juin suit les autorités de Vichy (il se rachètera plus tard). Pourtant le 20 juin 1940, un télégramme montre que de Gaulle est prêt à rentrer en France. L’explication serait que l’armistice n’est pas encore signé et que le gouvernement de Bordeaux pouvait encore fléchir. Cependant ce document indique que rien n’était décidé…

De nombreuses photos de Jacques Curtis accompagnent la destinée de la France libre. Cet ancien employé de chez Kodak rejoint Londres dès juillet 1940 et reçoit la mission de constituer un service cinématographique. De Gaulle à Londres est aussi abondamment illustré.

Le chapitre sur « De Gaulle dans la bande dessinée » a de quoi surprendre. La guerre des images mobilise ce médium de 1939 à 1945. Discrédité par ses contempteurs mais magnifié par les alliés, de Gaulle inspire des planches étonnantes comme celles de Jean-Yves Ferri. (De Gaulle à la plage est paru en 2007 et adapté sur Arte en 2020). On se moque du personnage avec une certaine tendresse.

Depuis sa prison, Georges Mandel adresse son soutien au chef de la France libre par une lettre datée du 20 août 1942. Celui qui s’était préparé à résister, part trop tard et tombe sous la coupe de Vichy avec le destin que l’on connaît.

La traversée du désert

Pendant cette période, les échanges épistolaires entre Charles de Gaulle et certaines personnalités sont nombreux. Il est intéressant de découvrir dans cet ouvrage des échanges inédits entre de Gaulle et Pompidou au début des années 50, après la fondation du RPF que son fondateur refuse de considérer comme un parti. Pourtant, le Général multiplie les contacts et les voyages afin de combattre les institutions de la IVe République.

Le goût gaullien pour les écrivains est notoire, en témoigne sa correspondance avec Paul Claudel (1858-1955). On peut lire la qualité des échanges même si leurs opinions divergent, par exemple au sujet de la ratification du traité de Paris en décembre 1951.

De belles photos dévoilent l’intimité des époux de Gaulle, la douleur du décès d’Anne, leur fille handicapée ou le secret d’une famille réunie autour des enfants et des petits enfants.

La République gaullienne

Ce chapitre aborde les « événements » plus ou moins célèbres de l’Algérie. Documents d’archives et photos illustrent l’envoi de Georges Pompidou comme émissaire secret auprès du FLN en février 1961. On prend connaissance des notes du président ainsi que des comptes rendus qui lui sont faits sur la situation algérienne au moment où de Gaulle  » veut liquider l’Algérie française ». On peut aussi lire les positions de Michel Debré, partisan de la présence française. Il mène une politique contraire à ses convictions par fidélité à l’homme de la France libre. Dans ses mémoires, le premier ministre aborde des points qu’il regrette pendant son gouvernement.

Vernon Walters, interprète d’Eisenhower, puis ambassadeur américain, montre les positions variées que le Général a dû prendre vis à vis des États-Unis. Lors d’une conférence au sommet à Paris en mai 1960, le président de la Ve République apparait comme le plus ferme soutien des Américains : « Nous serons avec vous jusqu’au bout ». Au cœur de la guerre froide, entre les crises de Berlin et de Cuba, Vernon Walters témoigne que la France n’est pas antiaméricaine. De Gaulle souhaite que son pays ne soit pas à la merci de la puissance de feu des puissances mondiales. La France doit donc disposer de moyens tactiques et stratégiques contre des ennemis potentiels et sortir de l’OTAN.

Dans l’affaire Ben Barka, Charles de Gaulle n’a jamais pardonné à Hassan II, le roi du Maroc. Une note inédite sortie des archives Foccart aide à comprendre sa position…

On découvre également la correspondance du Général avec son éternelle agente depuis la Résistance, Joséphine Baker.

Une prémisse au fameux, « Vive le Québec libre », est évoqué lors du 50e anniversaire de la bataille de Vimy qui est devenue le symbole de la participation de soldats canadiens au sein de l’armée britannique pendant la Grande Guerre.

Des photos de la vie à l’Élysée accompagnent ces pages.

De Gaulle intime

Ce dernier volet permet d’approcher les convictions du président. La première lettre de l’abbé Pierre montre le soutien de la famille de Gaulle aux compagnons d’Emmaüs.

André Ducret, le commissaire responsable de la sécurité du Général de mai 1959 à avril 1969, raconte l’affaire de Cochin. Il s’agit d’une opération chirurgicale subie par le Général qui devait restée top secrète.

On a souvent dit que Charles de Gaulle n’appréciait pas le cinéma. Ce sont les circonstances qui l’en ont tenu éloigné. Les époux de Gaulle ont toujours refusé de patronner les avant-premières. René Clément essaie de solliciter des facilités de tournages, pour Paris brûle-t-il ?. Le Général refuse d’être incarné par un acteur.

De façon exceptionnelle, le président intervient dans la polémique sur l’adaptation de La Religieuse de Diderot par Jacques Rivette. Dans le film, une jeune sœur subit des avances d’une mère supérieure homosexuelle. La commission de censure est chargée de négocier des aménagements avec la production. Le tournage commence malgré des essais de blocage. Alors qu’André Malraux n’est pas pour l’interdiction, on sait que le Général a donné des instructions pour faire barrage au film. On sait aujourd’hui que nombre de lettres de protestations ont été adressées à Mme de Gaulle, très sensible aux suppliques de l’Église. Finalement, Malraux se conformera aux avis du couple, pour des motifs politiques mais aussi conjugaux.

Des « vedettes » de l’époque ont été accueillies à l’Élysée comme Brigitte Bardot, Gilbert Bécaud ou Sophia Lauren. Alain Delon a été un grand admirateur du président et lui a écrit une lettre touchante lors de sa démission.

Les derniers jours à l’Élysée sont illustrés par l’agenda du président, rédigé par son directeur de cabinet. La semaine du 21 avril 1969 n’est pas trop chargée. Vendredi 25 avril, trois mots résument la démission du fondateur de la Ve République : départ pour Colombey…

On laissera Hervé Gaymard conclure dans la postface, « Décidément, le continent de Gaulle est encore à explorer ».

Ce beau livre rassemble des pépites d’archives, des images insolites qu’il n’est pas coutume de montrer quand on évoque le Général. Il donne à voir l’homme du 18 juin sous un jour différent. L’historien, le professeur, le passeur d’histoire pourra ainsi approcher au plus près le personnage historique à partir de ces sources, même si une part de ses décisions et de ses ressentis restera toujours secrète.