Alors que Louis XVIII est mort il y a deux cent ans, les éditions Perrin font paraître une version actualisée de cette volumineuse et très complète biographie de Philip Mansel. L’historien britannique est un spécialiste de la France moderne et contemporaine, il préside actuellement le Conseil scientifique du Centre de recherche du château de Versailles et on lui doit quelques ouvrages de référence dont Paris – capitale de l’Europe (1814-1852) et Louis XIV : Roi du monde.

A rebours de l’image d’Épinal d’un roi pataud, faible et insignifiant qui n’aurait eu ni le charisme de Louis XVI ni la grandeur militaire de Napoléon, l’auteur propose un portrait détaillé, étayé par de nombreuses sources et nuancé de ce souverain malmené par ses contemporains et par l’histoire. Ici, est rendu à Louis XVIII tout son rôle politique essentiel dans le rétablissement et la stabilisation de la monarchie en France après plus de deux décennies de bouleversements révolutionnaires et impériaux.

Du temps de la monarchie absolue chancelante aux difficiles compromis de la monarchie constitutionnelle en passant par l’exil forcé, Philip Mansel nous donne à découvrir la vie et le règne passionnant de Louis XVIII et, au delà, démontre toute la complexité du monarque restauré après la chute de Napoléon Bonaparte.

 

De Louis Stanislas Xavier de France à « Monsieur » le frère du roi

Né en 1755, Louis-Stanislas-Xavier de France, futur Louis XVIII, est le frère cadet de Louis XVI. Le comte de Provence, élève particulièrement doué, reçoit une éducation poussée. Il épouse Marie-Joséphine de Savoie en 1771. De cette union, aucun enfant n’assurera la continuité dynastique. Les liens familiaux ne sont ni étroits ni affectueux et notamment avec Louis XVI qui est couronné en 1774.

Philip Mansel prend ensuite le temps de décrire avec finesse la vie de ce « prince sans pouvoir » qui n’est même pas appelé par son frère aîné afin de faire partie du Conseil du roi. « Monsieur » le frère du roi a quelques obligations publiques, des réceptions et des voyages à travers le royaume accompagné de sa Maison. En privé, il consacre son temps entre plusieurs occupations : en érudit, il est un grand lecteur, il s’occupe aussi de ses affaires (ses apanages) afin de trouver les ressources financières nécessaires à ses besoins,  étant très gourmand, il mange beaucoup, il fait bâtir et se lande dans des opérations immobilières, il collectionne les tableaux et les meubles et enfin il entretient des relations avec des femmes comme Madame de Balbi.

La Révolution subie et l’exil

Le 22 juin 1789, le comte de Provence est admis au Conseil du roi. Suite aux journées des 5 et 6 octobre 1789 et au départ de la cour de Versailles pour Paris, il s’installe au Petit Luxembourg, il le vit comme une période de captivité. Il prépare alors un plan d’évasion sûrement en lien avec Mirabeau. Le 22 février 1791, le peuple parisien se presse devant le Petit Luxembourg afin de montrer sa réprobation face à un éventuel exil. Finalement, la scène se transforme en triomphe.

Le , jour de la fuite de Louis XVI à Varennes, le comte de Provence quitte également sa résidence surveillée avec le comte d’Avaray. Grimé en marchand anglais et ayant même travaillé l’accent, il rejoint les Pays-Bas autrichiens. Il se réfugie à Bruxelles puis à Coblence, la capitale de l’électorat de Trèves.

Le long temps de l’émigration

Le portrait que Philip  Mansel dresse de Louis XVIII en exil est celui d’un homme résilient, calculateur et diplomate. Il reçoit, avec d’Artois, des émigrés et reconstitue une armée. Avec celle-ci, il envahit la France en 1791, non pour rétablir l’Ancien régime mais afin de s’opposer aux excès révolutionnaires. Accueilli souvent chaleureusement comme à Verdun, la « nouvelle Coblence », il bat en retraite suite à la défaite de Valmy. C’est désormais à Hamm, en Westphalie, qu’aura lieu son exil.

Après l’exécution de son frère aîné en 1793 puis la mort de Louis XVII, il devient l’héritier légitime du trône, mais il ne montera sur celui-ci qu’après cette longue période d’exil. L’auteur retrace avec soin cette période d’attente et d’incertitude, marquée par des errances à travers l’Europe, notamment en Italie, en Pologne, en Lettonie ou en Angleterre alors que la Révolution française bouleverse l’ordre monarchique. S’il est régulièrement expulsé par des souverains qui le considèrent comme un indésirable, il peut compter sur la solidarité et l’honneur de l’aristocratie monarchiste européenne ainsi que sur la puissance de l’opinion publique. Philip Mansel décrit ici avec rigueur l’organisation de ce gouvernement en exil qui multiplie les déclarations politiques (Véronne, Blankenbourg, …)  et continue d’espérer un retour au pouvoir en multipliant les échanges avec les émigrés mais aussi les politiques et  militaires restés en France.

La monarchie de Louis XVIII : un équilibre entre tradition et modernité

Lors de la chute de Napoléon en 1814, puis après la période des Cent-Jours et son exil à Gand, Louis est à nouveau accueilli favorablement en France. Nombreux sont ceux, comme Fouché, Sieyès ou Carnot, qui ne voient pas d’un mauvais œil le retour de la monarchie. En accédant enfin au trône, il met en place une monarchie constitutionnelle reposant sur la Charte de 1814, qui concilie les principes monarchiques et certains acquis révolutionnaires. Il accepte le suffrage censitaire, la liberté de la presse et une relative tolérance religieuse, tout en veillant à préserver l’autorité royale.

Philip Mansel montre avec justesse que Louis XVIII n’était ni un réactionnaire ni un fervent réformateur. Il cherche avant tout à maintenir l’équilibre entre les différentes forces politiques qui traversent la France post-révolutionnaire : les ultraroyalistes, qui souhaitaient un retour à l’Ancien Régime pur et dur (son frère le comte d’Artois, futur Charles X), les libéraux, héritiers des idéaux révolutionnaires ou encore les bonapartistes. Cette politique du juste milieu lui permet de gouverner la France de manière relativement stable, malgré les tensions et les conflits internes. Conseillé par des ministres aux opinions variées, il délègue beaucoup. Il signe sans forcément débattre avec ses ministres mais il est capable d’influencer le Conseil en fonction des sujets traités.

Le roi sait aussi naviguer au fil de l’eau et des évènements, particulièrement lors des crises politiques majeures telles que l’assassinat du duc de Berry en 1820 qui menace sérieusement la survie de la dynastie des Bourbons. Cet assassinat entraîne, par réaction, la fin du ministère Decazes avec son remplacement en 1820 par le second ministère Richelieu, puis en 1821 par le ministère Villèle et le retour des ultras. Mais, Louis XVIII parvient cependant à maintenir un équilibre entre les factions rivales au sein de la cour et du gouvernement.

Les fragilités d’un règne

Cependant, Philip Mansel n’idéalise pas Louis XVIII. Il ne cache pas les difficultés de son règne, notamment l’épisode des Cent-Jours, lorsque Napoléon, de retour d’exil, tente de reprendre le pouvoir en 1815. L’auteur décrit avec minutie la panique de la cour et la fuite précipitée du roi, qui ne retrouvera son trône qu’après la défaite définitive de Napoléon à Waterloo. Cette période marque les fragilités du régime, tiraillé entre les velléités de retour à l’absolutisme et la pression des libéraux. Aussi, Louis XVIII est un roi qui souffre dans sa chair, notamment à cause de la goutte.

La biographie de Philip Mansel soulève également des questions sur l’héritage de Louis XVIII. Si le roi parvient à maintenir un semblant de paix intérieure et à négocier avec les puissances européennes, son règne est aussi marqué par une restauration monarchique qui reste fragile. À sa mort en 1824, c’est son frère Charles X, beaucoup plus conservateur, qui lui succède, et dont le règne prendra fin en 1830 avec la Révolution de Juillet. Philip Mansel souligne ainsi les limites du compromis de Louis XVIII, qui, s’il parvient à stabiliser temporairement la France, ne réussit pas à garantir la pérennité de la monarchie.

 

Le Louis XVIII de Philip Mansel est une biographie érudite et captivante qui réévalue la figure de ce monarque méconnu et souvent mal compris. En s’appuyant sur des archives riches et variées, l’auteur brosse le portrait d’un homme subtil, dont le règne mérite une plus grande attention dans l’histoire de France. En insistant sur sa résilience, son pragmatisme et son intelligence politique, Philip Mansel montre que Louis XVIII fut bien plus qu’un roi de transition, mais un acteur clé dans la difficile réconciliation de la France post-révolutionnaire.