L’époque moderne est une période de grandes mutations qu’elles soient sociales, économiques, scientifiques, techniques, culturelles mais aussi politiques et financières. Mais qu’en est-il d’un point de vue militaire ? Cette époque est-elle synonyme de « révolution militaire » comme le soutiennent certains historiens modernistes ? C’est notamment pour démontrer l’importance des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles dans ce domaine que les éditions Autrement nous proposent sous forme d’atlas ce panorama des guerres, des guerres d’Italie jusqu’à la révolution française.
Les auteurs
Olivier Aranda est professeur agrégé d’histoire spécialiste de la Révolution et doctorant allocataire du ministère des Armées. Il est chargé de cours à l’université Paris 1 et rédige actuellement une thèse intitulée La Marine de la République à Brest et dans l’Atlantique : direction politique, stratégie, opérations (1792-1799).
Docteur en histoire moderne, enseignant à l’université catholique de Lyon et chercheur associé au Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (UMR 5190), Julien Guinand étudie l’engagement en guerre des pouvoirs, des combattants et des populations au cours de la première modernité. Il a publié La Guerre du roi aux portes de l’Italie 1515-1559 (Presses universitaires de Rennes, 2020)
Maîtresse de conférences HDR en histoire moderne à l’université Bordeaux-Montaigne, Caroline Le Mao est spécialiste d’histoire navale ; elle a réalisé son habilitation à diriger des recherches sur les fournisseurs de la marine de guerre française au temps de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697) et a dirigé un ouvrage collectif sur les arsenaux de marine, du XVIème siècle à nos jours.
Les cartes sont réalisées par la cartographe indépendante Mélanie Marie. Elle a réalisé la cartographie de plusieurs atlas aux Editions Autrement, dont l’Atlas de l’Asie du Sud-Est, l’Atlas de la Shoah ou l’Atlas de l’Océanie.
La guerre au XVIe
Dans cette première partie, Julien Guinaud fait d’abord le point sur les différents conflits qui ravagent le continent européen au XVIème siècle : des premières guerres d’Italie (1494-1507) aux premières guerres de Religion en France (1562-1574), en passant par les guerres de la Sainte Ligue (1508-1513). Ce siècle est aussi marqué en Europe et autour de la Méditerranée par l’opposition militaire entre l’empire Habsbourg de Charles Quint et l’Empire ottoman de Soliman le Magnifique. Il voit enfin l’affirmation de puissances expansionnistes sur le continent européen telles que l’Angleterre des Tudor, la Suède de Gustave Vasa, l’état russe d’Ivan IV ou la Pologne-Lituanie.
Julien Guinand s’intéresse aussi particulièrement à quelques batailles emblématiques de ce siècle à l’image de la bataille de Marignan (1515), celles de Lépante (1571), d’Ivry (1590) ou de Nieuport (1600). A travers l’analyse de ces batailles, il met en exergue l’évolution des stratégies militaires comme les expérimentations de nouveaux modèles d’infanterie pour faire face aux tercios espagnols ou la redéfinition de l’emploi de la cavalerie face aux armes à feu. De même, il revient sur l’emploi des soldats suisses (Reislaüfers) et des lansquenets germaniques dans les armées du XVIème siècle faute d’infanteries suffisamment solides ce qui pose la question des coûts et de la logistique militaires. Enfin, il insiste sur la recherche de fortifications plus solides avec notamment la diffusion du système bastionné en Europe mais aussi en Amérique du Sud.
Pour terminer, Julien Guinand analyse les zones de conflits extra-européennes. Elles peuvent être liées à l’intrusion d’acteurs européens dans ces espaces comme c’est le cas en Amérique avec les Espagnols ou dans l’Océan Indien avec les Portugais. Mais, elles sont aussi dues à l’opposition de puissances : c’est ainsi le cas dans le monde musulman où s’affrontent les Ottomans, les Safavides et les Moghols. En Asie, les évolutions politiques et géopolitiques peuvent enfin entraîner des guerres comme le montre la Chine des Ming ou le Japon au XVIème siècle.
La guerre au XVIIe siècle
Dans cette deuxième partie, Caroline Le Mao met d’abord l’accent sur deux périodes de conflits importants sur le continent européen au XVIIe siècle, à savoir la guerre de Trente Ans (1618-1648) et les guerres du début du règne de Louis XIV, de la guerre de Dévolution (1667-1668) à la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697). Mais, elle n’oublie pas non plus d’autres conflits qui ont marqué ce continent comme la guerre des Trois Royaumes (1639-1653) opposant l’Angleterre, l’Ecosse et l’Irlande ou la confrontation persistante entre l’Empire ottoman et celui des Habsbourg. Elle note enfin la montée en puissance de la Suède sous le règne de Gustave Adolphe qui instaure une « révolution militaire » en mettant en œuvre un système conscription et une répartition des troupes alignant les soldats sur 3 ou 6 rangs pour un tir par salves successives (comme l’illustre la bataille de Breitenfeld en 1631).
En dehors de cette « révolution militaire » suédoise, Caroline Le Mao met en exergue d’autres évolutions militaires du XVIIème siècle. Elle s’intéresse d’abord au rôle de Vauban dans l’évolution des sièges et des fortifications aussi bien en Europe que dans le reste du monde. Elle relève aussi l’émergence de marines de guerre pérennes en Europe dans lesquelles les galères laissent la place progressivement aux vaisseaux de ligne. Les guerres navales qui opposent alors essentiellement les Français, les Anglais et les Néerlandais prennent la forme de guerre d’escadre (longues lignes de vaisseaux s’affrontant dans des duels d’artillerie) mais aussi de guerre de course (forces navales éclatées, pour une large part privées, harcelant le trafic maritime marchand ennemi). Enfin, le XVIIème siècle correspond à une croissance brutale des effectifs militaires européens et la constitution de « géants du Grand Siècle ». Ces derniers font alors face à des défis logistiques et financiers pour entretenir et déplacer les troupes qui contribuent à l’émergence d’Etats « militaro-fiscaux ».
Pour terminer, Caroline Le Mao analyse quelques conflits extra-européens au XVIIème siècle. Ainsi, la restauration de la puissance de la Perse séfévide l’amène à affronter à plusieurs reprises l’Empire ottoman. De même, la dynastie mandchou des Qing fait la conquête de la Chine, chassant du pouvoir la dynastie Ming. Enfin, l’Amérique du Nord devient un territoire convoité par les Anglais, Français et Néerlandais qui souhaitent s’y implanter durablement au détriment des peuples amérindiens.
La guerre au XVIIIe siècle
Dans cette dernière partie, Caroline Le Mao note d’abord une recomposition de la géopolitique européenne au XVIIIème siècle avec certes le maintien de grandes puissances comme la France, l’Angleterre ou les Habsbourg mais aussi le repli d’autres comme la Pologne ou la Suède. En parallèle, d’autres puissances s’affirment comme la Prusse ou la Russie de Pierre le Grand et Catherine II. Ces changements géopolitiques sont à la fois la source et la conséquence des grands conflits européens de ce siècle comme la guerre de Succession d’Espagne (1701-1713), la grande guerre du Nord (1700-1721) ou la guerre de succession d’Autriche (1740-1748).
Mais, surtout, le XVIIème siècle est marqué par une exportation des rivalités européennes sur les autres continents. Ainsi, la guerre de Sept Ans, parfois qualifiée de première guerre mondiale, voit s’affronter les Français et les Anglais en Inde, aux Antilles et en Amérique du Nord. De même, en Afrique, les implantations européennes entraînent une déstabilisation des équilibres politiques sur le continent avec l’affirmation de l’empire Ashanti, par exemple, au détriment des empires Mali et Songhaï. Mais, cette hégémonie européenne est parfois contestée comme l’illustre la guerre d’indépendance américaine (1775-1783).
Pour conclure cette partie, Olivier Aranda s’intéresse à la guerre pendant la Révolution française. Il revient notamment sur certains faits d’armes de cette période en les démythifiant parfois : c’est la cas par exemple de la bataille de Valmy (1792) ou des campagnes de Bonaparte en Italie (1796) et en Egypte (1798-1799). Il analyse aussi les guerres défensives de la République aussi bien avec ses ennemis extérieurs qu’intérieurs (guerre civile en Vendée), notant désormais une irruption du fait politique dans le militaire et vice-versa. Il termine sur des aspects plus méconnus des guerres révolutionnaires que ce soit la continuité des guerres de siège ou l’importance des enjeux maritimes durant cette période.
Mon avis
Comme souvent, la qualité de cet atlas d’Autrement n’est pas à démontrer. En effet, les textes sont synthétiques et précis. Ils sont de plus parfaitement complétés par plus de 200 cartes, documents et infographies.
Cet atlas est une vraie mine d’informations concernant le fait militaire à l’époque moderne. Tout d’abord, il permet d’avoir une vision synthétique des grands conflits de la période aussi bien en terme géopolitique que stratégique. De plus, il ne se contente pas d’avoir une vision européanocentrée : il permet de savoir ce qu’il en ait des conflits sur les autres continents (même si parfois, la compréhension pour des néophytes de l’histoire de la Chine, du Japon ou du continent africain peut être difficile).
Mais, surtout, cet atlas permet de dégager les grandes lignes directrices du thème. En effet, même si le découpage chronologique des parties en siècle peut être critiquable, les doubles pages thématiques (comme, par exemple, « Le soldat en campagne » ou « Tirer sur l’adversaire au XVIIIème siècle : évolutions ») sont particulièrement intéressantes. Elles permettent, notamment, de dégager des constantes et des évolutions en terme de stratégie militaire aussi bien dans le domaine de l’artillerie que de poliorcétique ou de guerre maritime. On saisit bien aussi le lien qui se noue à l’époque moderne entre la guerre et la construction des Etats avec l’avènement d’armées étatiques nécessitant des finances et une logistique importante. Enfin, à travers la perspective mondiale de cet atlas, on voit apparaître durant cette période une mondialisation des conflits avec l’exportation des conflits des puissances européennes sur les continents asiatique, africain et surtout américain.
Pour conclure, les éditions Autrement nous offrent un ouvrage indispensable à toutes personnes s’intéressant de près ou de loin aux guerres à l’époque moderne. Cet atlas, qui trouvera pleinement sa place dans les rayons des CDI des lycées, sera notamment un outil essentiel pour les professeurs et les élèves de Terminale HGGSP. En effet, ils y trouveront des informations claires et synthétiques ainsi que des exemples pour traiter le thème « Faire la guerre, faire la paix ».