Ce nouveau livre de Jean-Jacques Bavoux retrace sur un temps long, 4 siècles, les rencontres entre les mondes européens et américains. Du milieu du XVI siècle au milieu du XIXe siècle, l’auteur s’appuie sur les bouleversement sociaux, économiques, politiques, religieux et techniques pour retracer l’histoire des Grandes Découvertes et, à travers, l’évolution de la science géographique. Intéressant, passionnant et interpellant, il saura satisfaire les esprits les plus curieux.
L’ouvrage est divisé en 4 grandes parties, divisées elles-mêmes en 3 chapitres. Le livre s’accompagne d’une solide bibliographie et de nombreux documents iconographiques (dont certains en couleurs) qui peuvent servir à de potentielles études de documents.
Cette dernière réflexion amène dès à présent à réfléchir sur le public visé par cette publication. Les professeurs de secondaire, notamment ceux qui ont des classes de Seconde générale, seront particulièrement sensibles à la première partie qui permet de se remettre à jour lorsqu’on aborde cette thématique avec nos élèves. Les professeurs d’HGGSP s’intéresseront au développement de notions géopolitiques importantes comme la frontière. Les étudiants de Licence en HG sont aussi une cible parfaite pour cet ouvrage qui permet de pousser la réflexion en embrassant à la fois des réflexions historiques, géographiques, sociétales, sociologiques aussi. Enfin, tout curieux ou passionné de Géographie ou d’Histoire sera intéressé par cette démonstration qui mêle ces disciplines.
Le monde dévoilé
La première partie est axée sur la découverte de l’autre, l’apprentissage de la différence, dans tous ses aspects positifs et ses travers, notamment dans la manière de traiter des sociétés humaines jugées primitives. « L’élargissement de l’oïkoumène » transforme les sociétés amérindiennes et européennes à plusieurs titres. L’ouvrage a ceci de profondément marquant qu’il montre ces bouleversements sur le temps long, alors que beaucoup d’ouvrages ne restent que sur les XVe-XVIe siècles.
Le monde imaginé
La deuxième s’élargit aux mondes pacifiques et à l’influence que les Grandes Découvertes ont sur la littérature. Les récits de voyage connaissent un succès littéraire monstre et touche des publics toujours plus larges au fur et à mesure de la période étudiée. Ils nourrissent un imaginaire fertile fait d’utopies, de quêtes de ville idéale, de paysages magnifiés et de bestiaire fantastique que l’on retrouve dans tous les arts. C’est bientôt la montagne qui vient compléter l’imaginaire marin. Tout ceci nourrit les envies des futurs explorateurs et permet aussi de s’évader de l’obscurcissement des paysages en raison de l’industrialisation
Le monde sous influence
La troisième partie traite notamment de l’influence de la religion et du carcan mental qui préexiste aux géographes. S’émanciper des dogmes de la religion chrétienne pour comprendre le monde autrement que par la volonté d’une puissance divine ne va pas de soi, et ce, jusqu’au XIXe siècle (encore un atout de ce livre que de mener l’analyse sur ces 4 siècles). Mais c’est aussi la religion et les religieux qui sortent profondément bouleversés des Grandes découvertes et de la présence de ces multiples sociétés humaines dont il va falloir s’interroger sur l’origine divine voire la nature humaine. Enfin, l’auteur raconte le développement de l’environnementalisme, théorie de la détermination des caractères sociaux et humains par l’environnement de vie des sociétés humaines. Entre déterminisme, possibilisme et finalisme, le débat fait déjà rage chez les penseurs modernes, dans une volonté d’émancipation des penseurs antiques.
Le monde expliqué
Les scientifiques de la fin de l’époque moderne tente ici de décrypter les mécanismes, les rouages de la planète, dans un état d’esprit qui mêle rupture avec les modèles antiques, volonté de rationaliser le fonctionnement de la planète, taxonomie, utilisation des mathématiques et conceptualisation du monde environnant. C’est ainsi que se perfectionnent les réflexions autour des divisions spatiaux de l’espace à travers des notions amenées à perdurer comme celles de frontière ou de région. De cette perspective découlent aussi la fin du géocentrisme et son remplacement, progressif, par l’héliocentrisme, d’une part, de la réflexion autour de la composition interne du globe d’autre part, sans oublier la naissance de l’analyse spatiale.
La géographie se découvre comme une science touche à tout. Elle se « crée » par cette volonté d’abord de cartographier et de « combler les blancs ». Ensuite, elle se nourrit d’éléments qui mélangent (avant l’heure) la sociologie, l’anthropologie, la technologie (inventions d’instruments de mesure et de navigation), mais aussi des rêves des découvreurs (quête des terres australes par exemple). Ce qui marque ici, c’est cette quête de rationalité, cette envie de se libérer d’étaux mentaux et sociaux majeurs, afin de créer une science qui va s’intéresser à l’environnement dans sa définition la plus large possible, ce qui fait toute la complexité et l’intérêt de la géographie actuelle.